L’histoire se répète : à propos de Huysmans-Vandervelde et Dewever-Bouchez

Camille Huysmans n’était pas connu au niveau international uniquement comme dirigeant de l’Internationale socialiste, mais aussi comme ministre et, à un moment critique, comme bourgmestre de la Ville d’Anvers. Et le port d’Anvers était d’une importance capitale pour les sionistes.

 

Camille Huysmans

 


Lucas Catherine
, 24 avril 2025

En 1947, Fernand Van Langenhove, représentant belge aux Nations unies, déclarait :

« Nous devons vraiment faire un effort pour comprendre le sionisme. Le foyer national de nos compatriotes juifs est la Belgique. Personne ne les a traités chez nous au point qu’ils ont dû chercher un autre foyer en Palestine. »

En 1891, au moment où la colonisation sioniste de la Palestine avait pris son essor, un célèbre philosophe judéo-russe, Ahad Ha’am, y était déjà allé d’une mise en garde :

« Que font nos frères juifs en Palestine ? (…) Ils sont hostiles envers les Arabes et les traitent avec cruauté, les dépouillent de tous leurs droits, les offensent sans raison et, par-dessus tout, s’enorgueillissent encore de leur façon d’agir. »

La critique à l’encontre de la colonisation sioniste remonte donc à très longtemps déjà. Manifestement, le problème était le sionisme, un mouvement politique créé par le Juif autrichien Theodor Herzl qui, en 1901, avait fondé la « Jüdische Colonialbank / Jewish Colonial Trust » (Banque coloniale juive) et lancé de la sorte le mouvement.

Les sionistes avaient tenté d’acheter du terrain aux autorités dirigeant la Palestine à l’époque, tout d’abord le sultan ottoman, ensuite la Grande-Bretagne. Ça n’avait pas très bien marché. C’est pourquoi ils étaient passés à l’accaparement de terres.

Yigal Allon, ancien général et dirigeant du parti travailliste, décrit le système dans son livre « The Shield of David » et explique comment, en 12 heures, pendant la nuit, construire un « kibboutz fortifié » en terre arabe :

« une double palissade remplie de pierres, une tour de guet de 15 mètres avec un projecteur et, dès lors, les kibboutzniks armés sont maîtres du terrain. »

 

Colons en train de monter des avant-postes.

Colons en train de monter des avant-postes.

 

De nos jours, les colons en Cisjordanie appliquent toujours cette tactique, bien que de façon un peu plus sophistiquée.

Partout où les sionistes achètent ou conquièrent du terrain, ils appliquent un principe d’apartheid : la main-d’œuvre est exclusivement juive (Avodat Ivrit). Au moment où, en 1947, l’ONU discute d’un plan de partition de la Palestine entre sionistes et Palestiniens, les juifs ne contrôlent toutefois que 6 % des terres.

Les juifs constituent alors un tiers de la population de la Palestine et sont surtout concentrés le long de la côte, dans la zone urbaine autour de Tel-Aviv, une ville qu’ils ont fondée sur les terres des villages entourant la ville arabe de Jaffa.

Le plan de partition de l’ONU qui émerge du vote prévoit toutefois qu’ils se voient accorder 56 % du territoire. C’est très injuste, estime le gouvernement belge qui, dès lors, décide de s’abstenir. Lors de l’Assemblée générale, notre représentant Van Langenhove avait préparé son discours en ce sens :

« Nous ne sommes absolument pas certains qu’il s’agisse d’un plan équitable. Nous doutons fortement qu’il soit réalisable dans la pratique et craignons qu’il ne comporte des risques trop élevés. »

N’empêche que, sur ordre de son ministre, il allait voter pour le plan ! Et ce, à la grande surprise de bien des hommes politiques qui savaient que le gouvernement avait décidé de s’abstenir.

Le démocrate-chrétien et député Carton de Wiart avait exprimé sa surprise et son indignation en ces termes :

« Grande a été notre surprise d’avoir à apprendre dans les journaux que la délégation belge a voté pour le plan. Et ce, malgré le vote à la commission des Affaires étrangères, où il avait été unanimement décidé de s’abstenir. »

Que s’était-il passé ? Le lobby pro-sioniste avait réagi sous la pression socialiste, surtout du ministre Camille Huysmans. Cela, nous le savons grâce à Israël Gatt, du parti travailliste israélien, qui avait expliqué plus tard que

« grâce à ses efforts [les efforts de Camille Huysmans], la délégation belge a voté pour nous ».

Il faut savoir que tout le parti socialiste était très partisan de la colonisation sioniste en Palestine.

Déjà en 1929, Émile Vandervelde, la grande figure de proue socialiste – aujourd’hui encore, un centre d’étude porte son nom – était allé visiter les colonies sionistes en Palestine. Il avait écrit un livre sur le sujet : « Schaffendes Palästina » (Dresde, 1930) [en français : « Le pays d’Israël, un marxiste en Palestine », Éditions Rieder, Paris, 1929].

Il ne pouvait contenir son enthousiasme à propos de cette alternative socialiste au communisme :

« Je ne sais pas s’ils sont encore nombreux, ceux qui adhèrent au matérialisme historique des bolcheviques. Si cette sorte de marxistes existe encore, j’aimerais leur donner le bon conseil de se rendre en pèlerinage à Jérusalem et de visiter la Palestine juive »,

et je ne veux pas vous priver de son allemand : « Von ihr strahlen die Hoffnungen einer neuen Welt aus » (De là rayonnent les espoirs d’un monde nouveau).

Camille Huysmans n’était pas connu au niveau international uniquement comme dirigeant de l’Internationale socialiste, mais aussi comme ministre et, à un moment critique, comme bourgmestre de la Ville d’Anvers.

Le port d’Anvers était d’une importance capitale pour les sionistes.

Sylvain Brachveld, un Juif anversois, a beaucoup écrit à ce sujet dans Het Belgisch Israëlitisch Weekblad (september 1982) et, plus tard, ses écrits ont été réunis en recueil dans le livre Brabosh, publié par l’Antwerps Joods Historisch Archief (Archives historiques juives d’Anvers).

Son récit couvre 1937,  l’année où la milice sioniste Haganna s’est associée aux Britanniques pour combattre la lutte des Palestiniens pour leur indépendance.

« À cette époque, la Belgique était l’une des sources de la Haganna pour la livraison de mitrailleuses légères, de revolvers et de toutes sortes de munitions. Zakhar Arieli y avait été en poste pendant plusieurs années (…) Plus tard, il avait été commandant de la Haganna à Jérusalem. »

Durant l’un de ces transports, les choses avaient mal tourné : on avait commis une erreur dans les documents censés indiquer qu’il s’agissait tout simplement de tubulures métalliques. Le bourgmestre Huysmans avait été abordé, à ce propos. Il avait contacté Shlomo Kaplansky, une connaissance sioniste de l‘Internationale socialiste, afin de vérifier s’il ne s’agissait pas d’un piège et il avait ensuite donné le feu vert et le navire avait quitté « clandestinement » Anvers avec sa cargaison d’armes à destination de Haïfa.

Grâce à ces armes passées en fraude depuis la Belgique, mais aussi depuis la Tchécoslovaquie de l’époque, les milices sionistes allaient acquérir une supériorité militaire en Palestine et elles allaient la mettre à profit lors de leur « guerre d’indépendance » (1948).

Le mythe prétend que ç’a été un combat entre David et Goliath, mais les chiffres des sources sionistes et américaines disent tout autre chose : les sionistes (toutes les milices) : 120 000 hommes / du côté arabo-palestinien : 7 000 hommes. Les sionistes disposaient de 700 véhicules blindés, les Arabes de 123 ! Les sionistes possédaient 205 avions alors que du côté des Arabo-Palestiniens, il n’y en avait aucun.

Au cours de cette guerre, l’armée israélienne a détruit 420 villages et les habitants palestiniens en ont été chassés. Ç’a également été le cas des villes de Jaffa, Ramle, Lydda (Lod), Safad et Tiberiade. Ces personnes sont devenues les réfugiés qui peuplent aujourd’hui les camps en Cisjordanie et elles constituent les trois quarts des 2,2 millions de Palestiniens qui vivent dans la bande de Gaza. Là, les sionistes veulent une fois de plus qu’ils s’en aillent. Non plus en les chassant, cette fois, mais en les affamant et en leur imposant des bombardements génocidaires. Qui a dit un jour que l’histoire se répétait et, généralement, sous forme d’une tragédie ?

Et aujourd’hui ? Vandervelde et Huysmans s’appellent désormais De Wever et Bouchez.

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Lucas Catherine est l’auteur, entre autres, de « Palestine, la dernière colonie ? »

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Publié le 24 avril 2025 sur Salon van Sisyphus
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

Lisez également : La Haganah et les transports d’armes depuis le port d’Anvers dans les années 30

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