Les activistes de la Marche mondiale vers Gaza font le vœu de continuer

 

15 juin 2025. Toute une coalition d'organisations de solidarité avec la Palestine marche vers Downing Street, dans le centre de Londres, dans le même temps que les activistes de la Marche mondiale vers Gaza tentent d'atteindre le passage de Rafah.

15 juin 2025. Toute une coalition d’organisations de solidarité avec la Palestine marche vers Downing Street, dans le centre de Londres, dans le même temps que les activistes de la Marche mondiale vers Gaza tentent d’atteindre le passage de Rafah. (Photo : Joao Daniel Pereira Imago)

 

 

Camilla Donzelli, 21 juillet 202

 

À la mi-juin, des délégations de plus de 50 pays se sont rassemblées en Égypte dans une tentative en vue de marcher jusqu’à la frontière de la bande de Gaza et de rompre le siège.

Au lieu de rompre le siège et de percer la bulle de l’impunité d’Israël, les activistes ont pu voir de tout près jusqu’où peuvent aller les autorités égyptiennes dans le but de maintenir le blocus israélien contre Gaza.

Quand on lui a demandé pourquoi elle avait décidé de rallier la Marche mondiale vers Gaza, Nadia, une activiste qui vit dans un pays arabe et qui a insisté pour qu’on modifie son nom dans le présent article, a déclaré :

« Il est clair que nous avons échoué et que les institutions veulent se replier sur elles-mêmes et sur leurs privilèges. »

« En tant que citoyens, nous devons créer quelque chose qui va au-delà des modèles de mobilisation que nous connaissons »,

a-t-elle ajouté.

Le 13 juin, Nadia et des milliers d’autres devaient faire leurs premiers pas à partir de la ville égyptienne d’al-Arish, dans le nord de la péninsule du Sinaï, et se diriger vers Rafah. La marche, longue d’environ 50 kilomètres, était censée se terminer par un campement en face du passage de Rafah, la seule connexion entre Gaza et l’Égypte et qui a été fermée par Israël en mai 2024.

Les participants prévoyaient d’occuper pacifiquement la zone entourant le passage de Rafah du 15 au 19 juin. La revendication était la même que celle répétée dans les rues des villes du monde entier depuis près de deux ans : rouvrir les frontières, permettre à la population épuisée de Gaza d’avoir accès à l’aide humanitaire et mettre un terme au génocide.

Entre-temps, le 9 juin, la « Caravane Soumoud » avait quitté Tunis en direction de Rafah. Les quelque 1 500 participants – venus principalement de Tunisie, d’Algérie et de Libye – avaient prévu de voyager par voie terrestre jusqu’au nord du Sinaï, où ils se seraient joints aux protestations pacifiques de la Marche mondiale vers Gaza.

Les choses, toutefois, n’allaient pas se dérouler comme prévu.

Des obstacles

Antonietta Chiodo, porte-parole et coordinatrice de la délégation italienne, a déclaré que la préparation de la marche impliquait une coordination intensive.

La législation égyptienne interdit les rassemblements non autorisés de plus de 10 personnes et la délégation espagnole, dirigée par l’activiste palestinien Saif Abukeshek, avait été chargée d’obtenir des permis – mais aucune réponse n’était jamais venue du Caire.

Par conséquent, les activistes espéraient atteindre l’Égypte et, une fois sur place, négocier les permis.

Le 11 juin, le ministère égyptien des Affaires étrangères publiait une déclaration accueillant le soutien international aux droits humains palestiniens et exprimant son opposition au siège de Gaza par Israël, tout en insistant sur le fait que les participants à la marche devaient suivre les procédures bureaucratiques, s’ils voulaient obtenir des permis. La déclaration avait été perçue par les organisateurs comme une ouverture partielle de la part de l’Égypte.

Toutefois, le même jour, des messages inquiétants s’étaient mis à circuler dans les groupes Signal des délégations entrantes.

« Jeudi soir, le permis n’était toujours pas arrivé, mais les gens avaient déjà commencé à affluer au Caire »,

a raconté Nadia.

« Dans le chat (conversation) de notre groupe, certains ont dit qu’ils avaient été arrêtés à l’aéroport, d’autres qu’ils avaient été questionnés avant de pouvoir entrer et d’autres encore se plaignaient d’avoir été suivis à l’intérieur de leurs hôtels par des policiers en civil ou par des gens des services secrets »,

a-t-elle encore dit.

« Tout le monde était très effrayé. »

Bairbre Ní Chaoimh, qui faisait partie de la délégation irlandaise, s’était débarrassée de tout ce qui pouvait l’identifier comme participante à la Marche mondiale vers Gaza, alors qu’elle était en route vers l’Égypte.

« Je voyageais via Francfort, où je disposais d’un délai extrêmement court. Je m’étais rendue aux toilettes et il m’avait fallu abandonner un t-shirt et jeter un drapeau irlandais et un drapeau palestinien à la poubelle »,

a-t-elle dit.

« Je n’ai toutefois pas jeté mon sac de couchage ; je l’ai tout simplement placé dans un endroit moins évident de mes bagages à main. C’est ainsi que j’ai continué. On m’avait prévenue de me conduire comme une touriste, une fois arrivée au Caire. »

Le 12 juin, le jour où la marche était censée commencer, le nombre de personnes bloquées à l’arrivée, interrogées ou déportées par les autorités égyptiennes était déjà de près de 200.

 

« Ils se sont juste lâchés »

Les plans avaient changé une fois qu’il était apparu clairement que les autorités égyptiennes ne permettraient jamais à la marche d’atteindre al-Arish.

Le matin du 13 juin, les délégations ont été informées que tout le monde allait devoir prendre un taxi et converger indépendamment vers le nouveau point de rencontre à Ismaïlia. Certains groupes, dont celui des Italiens, ont décidé de rester au Caire pour des raisons de sécurité. D’autres délégations et personnes ont décidé de se rendre à la ville d’Ismaïlia, sur le canal de Suez.

« Il a été impossible d’atteindre Ismaïlia »,

a déclaré Bairbre Flood, une autre participante de la délégation irlandaise.

« Nous avons essayé, nous avons commandé un Uber à cinq reprises et, chaque fois, les conducteurs ont annulé la course par qu’ils connaissaient l’adresse. »

Helen Lawlor, elle aussi membre de la délégation irlandaise, est parvenue à atteindre le premier check-point installé par les autorités égyptiennes sur la route d’Ismaïlia. À son arrivée, la police l’a forcée à descendre du taxi et lui a confisqué son passeport.

En compagnie de centaines d’autres, Lawlor s’est assise sous le soleil dans un acte de protestation pacifique. Au bout de plusieurs heures, des cars et des voitures non identifiées sont arrivés d’où sont descendus des groupes d’hommes en civil. La police a adressé un ultimatum aux manifestants : ils avaient un quart d’heure pour monter à bord des cars qui allaient les ramener au Caire, sans quoi on allait les y embarquer de force.

La foule a refusé d’obtempérer.

« Ils ont commencé à éteindre l’éclairage public. Nous étions dans l’obscurité totale et nous ne savions pas ce qui allait se passer, parce que nous savions que ces hommes étaient venus pour une sinistre raison »,

a déclaré Lawlor.

« Ils avaient apporté de gros cordages, des fouets, des ceintures et des barres métalliques avec des pointes à l’extrémité. »

« Très vite, ils sont allés vers les gens »,

a-t-elle ajouté.

« Ils jetaient des bouteilles pleines d’eau au visage des gens pour tenter de leur briser le nez, et ils inondaient les gens d’eau. Et alors, ils se sont juste lâchés. »

« Une femme en face de moi a été attrapée par trois hommes. Elle avait les cheveux courts et ils l’ont traînée peut-être sur 50 mètres par les cheveux »,

a expliqué Lawlor.

« Le bras d’une autre femme a été ouvert d’un coup de fouet. Les gens avaient des yeux au beurre noir. Un membre du groupe a été frappé à la tête. Il a dû s’en aller le lendemain pour recevoir un traitement médical. Moi-même, j’ai un gros bleu au bras. »

Bairbre Ní Chaoimh, qui était parvenue à éviter les check-points et avait pu atteindre Ismaïlia par des routes secondaires, a connu une expérience similaire.

« La police armée nous a encerclés. Ils se tenaient les mains de façon que nous ne pouvions sortir du cercle et ils se sont mis à traîner les gens par terre. Ils se moquaient bien de l’âge qu’ils pouvaient avoir et du reste », a-t-elle dit.

Après minuit, les manifestants épuisés ont accepté de monter à bord des cars. Mais on ne les a pas ramenés au Caire comme promis. En lieu et place, on les a largués quelque part au milieu de la route, à des milles de la ville ou de l’aéroport.

 

Arrestation d’activistes

Le lendemain, le 14 juin, la Caravane Soumoud a elle aussi été forcée de faire demi-tour. Bloqué près de Syrte, en Libye, le convoi a dû subir des journées entières de surveillance et d’interrogatoires de la part des forces associées au commandant en chef, le maréchal Khalifa Haftar.

Entre-temps, au Caire, les intimidations ne cessaient pas.

« Samedi, je suis allée à l’auberge où séjournaient une partie de la délégation française et une partie de la délégation allemande »,

a déclaré Nadia.

Six participants à la marche, dont Nadia, ont organisé un appel vidéo avec d’autres délégations dans la salle commune de l’auberge afin de déterminer les prochaines étapes.

Nadia et d’autres activistes croient que le personnel de l’auberge avait renseigné les autorités à propos de leur réunion. Quelques heures plus tard, dit-elle, la police est venue sur les lieux et s’est mise à poser des questions sur l’appel et les personnes qui y avaient participé.

« La panique a éclaté : certains sont partis, certains ont changé d’auberge, d’autres sont retournés à leur chambre et n’en sont plus sortis »,

a raconté Nadia.

Antigoni Karnava, elle-même membre d’un collectif anarcho-communiste qui avait rallié la délégation grecque, a expliqué que son groupe était censé rentrer le 17 juin. Toutefois, leur départ a été reporté au lendemain matin du fait qu’ils avaient été arrêtés par les autorités égyptiennes.

« Le jour de notre retour en Grèce, nous avons été arrêtés, on nous a confisqué nos téléphones et nos passeports et on ne nous a pas permis de contacter des avocats »,

a déclaré Karnava.

« Le lendemain matin, les autorités égyptiennes nous ont tous accompagnés jusqu’à notre arrivée en Grèce, où elles ont remis nos passeports aux fonctionnaires grecs. »

Plus tard, le bureau des droits humains de l’ONU a condamné « le recours non nécessaire et disproportionné à la force » par les autorités égyptiennes et libyennes contre de paisibles activistes de la solidarité.

 

Perturber la complicité

Alors que les autorités égyptiennes ont recouru à la violence pour empêcher la marche d’atteindre Rafah, les participants disent qu’il faut se concentrer à mettre la pression sur les liens de leurs propres gouvernements avec Israël et sur leur complicité dans le siège et le génocide.

« On aurait vraiment dit que Gaza était une forteresse »,

a déclaré Bairbre Ní Chaoimh.

Faisant allusion à la Flottille de la Liberté pour Gaza, qui avait été interceptée début juin par des commandos israéliens, elle a ajouté :

« Les gens essaient de pénétrer à Gaza par voie terrestre et par mer, mais la collusion politique et financière entre les EU et Israël et tous les autres pays est ce qui force les Palestiniens à subir un génocide. »

Karnava a déclaré que la mobilisation pour la Marche mondiale vers Gaza se poursuivra et qu’il y a une responsabilité particulière à entreprendre des actions chez les gens des pays du Nord qui soutiennent Israël.

« La solidarité doit être dirigée contre nos propres gouvernements, nos exportations d’armes, nos accords commerciaux et tout soutien politique fourni à Israël »,

dit-elle.

« Son but devrait être de perturber cette complicité, non pas sa gestion. Ce doit être une solidarité qui ne se perçoive pas uniquement du côté des peuples oppressés mais qui se voie aussi dans son opposition aux oppresseurs. »

Alors que la violence et le siège s’éternisent sur Gaza, le défi pour ceux qui vivent dans les pays complices du génocide consiste à transformer la solidarité en actions concrètes susceptibles d’avoir un impact matériel.

« Depuis que je suis revenue, j’ai remarqué que des gens qui n’auraient jamais été impliqués en quoi que ce soit me posent des questions »,

a déclaré Lawlor.

« Et, désormais, ils écrivent à leurs chefs de gouvernement, ils boycottent Israël, ils font entrer la Palestine dans leurs tâches quotidiennes. »

De son côté, Chiodo était très critique envers la décision de certaines délégations et individus de faire route indépendamment vers Ismaïlia, du fait que cela aurait pu compromettre tout le travail effectué et mis en danger la possibilité de négocier un accès au passage de Rafah à l’avenir.

Mais elle a reconnu l’impact de ce qui s’est passé.

« Je crois que les gens qui ont participé porteront un message important »,

a encore dit Chiodo.

« Tout le monde peut se réunir, même s’il s’agit de personnes qui ne se connaissent pas. Et, une fois que nous l’avons fait une première fois, nous pouvons recommencer par la suite. »

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Camilla Donzelli est une journaliste free-lance qui vit et travaille en Grèce.

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Publié le 21 juillet 2025 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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En Belgique, un Collectif de soutien a été organisé et a organisé de multiples soirées et actions jusqu’au retour des dernier.e.s marcheuses et marcheurs. 

 

Collectif belge en soutien à la Marche mondiale vers Gaza

 

Lors d’un rassemblement  de la Plateforme Charleroi-Palestine contre le génocide, le 16 juin,  Nadine Rosa-Rosso, coordinatrice du Collectif de soutien (derrière le calicot à gauche), nous donnait des nouvelles des 250 personnes qui étaient parties de la Belgique vers le Caire.

 

 

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