Affronter l’apartheid a tout à voir avec le féminisme

Soutenir le féminisme des 1% ou le féminisme des 99 % ?
L’article a été publié en 2017, mais garde toute son importance.

Quand ils s’en sont pris à la Grève internationale des femmes, le 8 mars, des partisans d’Israël ont prétendu qu’il n’y avait pas de place pour la décolonisation de la Palestine dans le féminisme et ont demandé en outre s’il y avait une place pour le sionisme au sein du mouvement féministe.

Nous retournons la question et demandons à notre tour si l’occupation de la Palestine, les bombardements de Gaza, l’apartheid qui applique deux systèmes séparés et inégaux à la relation d’Israël à l’égard des Palestiniens, peuvent être compatibles avec le féminisme. Alors que les apologistes d’Israël posaient ces questions, l’armée israélienne, comme l’a rapporté le Centre palestinien pour les droits humains, se chargeait d’interdire à Jérusalem deux événements célébrant cette Journée internationale des femmes.

Gaza, 8 mars 2017, Journée Internationale des Femmes : des Palestiniennes participent à une manifestation contre la violence à l’égard des femmes et réclament la fin de l’occupation israélienne. (Photo: Ashraf Amra/APA Images) 

Si les sionistes qui s’auto-proclament féministes avaient perçu la Grève internationale des femmes (IWS) comme le reflet d’un sentiment indivisible de la justice, ils auraient rapidement compris aussi que l’IWS ne peut en aucun cas tolérer le racisme. Un féminisme inclusif a rejeté à juste titre les justifications sionistes des violations par Israël des droits de millions de femmes et de filles palestiniennes, y compris les réfugiées et celles qui vivent sous un situation barbare d’occupation et de siège.

Historiquement, certaines femmes, y compris des femmes très riches et des femmes de tout premier plan, se sont identifiées à un féminisme qui ignore race et classe et qui, partant, ignore la plupart des femmes qui subissent directement les effets de la pauvreté, du racisme, de la guerre, de l’occupation et des destructions environnementales dans le monde industrialisé ou non industrialisé. Ces féministes célèbrent les femmes qui ont brisé leur cage de verre et ont choisi leur voie vers le 1 %. Pour elles, le féminisme signifie le droit des femmes à être les égales des hommes dans la gestion du capitalisme avec tout ce que ce dernier suppose en fait d’exploitation, d’occupation, de racisme et, sous-jacent à tout ce qui précède, de sexisme.

À sa racine, le féminisme est un mouvement qui revendique la libération des femmes. La lutte pour les droits des femmes sous la bannière du féminisme ne peut exister de façon significative sans s’engager et œuvrer à l’élimination de l’oppression enracinée dans le racisme, le colonialisme et le capitalisme. C’est le cas des femmes de nombreux pays, lesquelles soutiennent le féminisme des 99 %. En d’autres termes, les femmes de la base ne constituent pas seulement la toile de fond de leur mouvement, mais également sa préoccupation centrale. Par conséquent, la plate-forme de l’IWS a mis en lumière bon nombre des problèmes les plus importants qui portent atteinte à la survie des femmes dans le monde : la fin de la violence sexuelle, la justice sur le plan de la procréation, les droits au travail, des programmes sociaux, la fin de la détérioration de l’environnement – en bref, un agenda antiraciste et anti-impérialiste.

Dans ce climat nouveau, ce qui arrive aux femmes palestiniennes n’est pas un détail, mais une question vitale. Cela explique que Rasmea Odeh était l’une des femmes invitées à participer à la direction de la grève aux États-Unis.

Rasmea Odeh est une dirigeante de la communauté palestinienne vivant à Chicago et elle n’a cessé de lutter pour l’empowerment (autonomisation) des femmes immigrées arabes en leur fournissant des formations en direction et des services de cours de langue anglaise, ainsi qu’en contribuant à alléger le sentiment d’isolement éprouvé par les familles immigrées de très fraîche date.

Madame Odeh a été soumise à la torture et à des agressions sexuelles pour avoir résisté à la colonisation et à l’occupation. Sa vie incarne l’expérience de toutes les femmes qui ont survécu à la violence raciste de l’État. Les fausses accusations dont Madame Odeh a été la cible et qui ont été réitérées par des gens s’identifiant comme sionistes, sont malveillantes et n’ont d’autre but que de criminaliser Madame Odeh et les gens qui la soutiennent. Cela a eu pour effet de légitimer le recours à la torture contre les prisonniers politiques en tant que moyen de coercition destiné à obtenir des informations justifiant leur emprisonnement.

Ce qui est arrivé à Madame Odeh alors qu’elle était en détention en Israël, c’est le même traitement appliqué partout dans le monde par des gouvernements répressifs et impérialistes. Le féminisme des 99 % qui apparaît aujourd’hui rejette ces persécutions et ces tortures, en quelque endroit que ce soit.

« Féminisme sioniste » est un oxymore. Il peut avoir un héritage en commun avec le féminisme des « femmes blanches uniquement », mais il ne reflète pas la conviction des militantes d’aujourd’hui qui refusent de s’arrêter à la notion de justice pour quelques-unes tout en la refusant à d’autres. Nous rejetons le sionisme et le féminisme sioniste. Un nombre sans cesse croissant de femmes reconnaissent qu’un féminisme qui n’affronte pas le capitalisme, le racisme et le colonialisme ne mènera pas à la libération, pas plus qu’il n’y a de libération possible sans affronter le sexisme. Toute voie se voulant progressiste se doit de venir à bout des voix du féminisme sélectif qui défendent les systèmes d’oppression et tentent de réduire nos propres voix au silence.


Publié le 21 mars 2017 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal

Rabab Abdulhadi est professeure associée en Études ethniques et en Études sur les races et la résistance, ainsi que professeure de l’Initiative en faveur des ethnies et diasporas arabes et musulmanes au Collège des Études ethniques de l’Université de l’État de San Francisco. Elle est coéditrice d’une anthologie qui a été récompensée par un prix littéraire : Arab and Arab American Feminisms: Gender, Violence and Belonging (Féminismes arabe et arabo-américain : Genre, violence et appartenance) et ses travaux ont été publiés dans des dizaines de journaux et revues spécialisés en genre et justice (Syracuse University Press). Elle est également cofondatrice et membre du comité éditorial de l’Islamophobia Studies Journal. Abdulhadi est vice-présidente de Feminists for Justice in Palestine, le groupe Internet qui a initié et organisé cette campagne de la NWSA en faveur de BDS en 2015.

Suzanne Adely est une juriste et activiste de niveau mondial en droits humains du travail. Elle est membre du Comité américain de planification de l’IWS, vice-présidente du Comité international de la Guilde nationale des avocats, membre du bureau de l’Association internationale des avocats démocratiques et organisatrice au sein du Réseau de la communauté palestinienne des États-Unis et de la Coalition du droit au retour en Palestine.

Angela Davis s’est révélée comme une activiste de tout premier plan dans les années 1960 en étant membre du Parti communiste des États-Unis et elle a eu des relations étroites avec le Parti des Black Panthers. Elle a cofondé Critical Resistance, une organisation œuvrant à l’abolition du complexe carcéro-industriel et a été professeure (désormais retraitée) au département Histoire des consciences à l’Université de Californie, à Santa Cruz. Elle a également été directrice du département des Études féminines de l’université.

Selma James est une militante, une penseuse politique et une femme de lettres. Elle est la fondatrice de la Campagne internationale en faveur de la rémunération du travail ménager et a contribué à lancer la Grève mondiale des femmes. Elle est l’auteure de nombreuses publications, y compris, plus récemment, Sex, Race and Class — The Perspective of Winning: A Selection of Writings 1952-2011 (Sexe, race et classe – La perspective de victoire : Un choix de textes 1952-2011). Mariée avec feu C.L.R. James (avec qui elle était engagée dans des activités politiques), elle a rédigé son essai de référence en 1952 : « A Woman’s Place » (La place d’une femme).

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