Bernie Sanders demande de «modérer ses propos» sur les crimes de guerre d’Israël

Personne ne devrait écouter le conseil de Bernie Sanders. Ne modérez pas vos propos. Faites-les entendre davantage.

Photo : Najla Sawla sur Twitter

Ali Abunimah, 24 mai 202

Les Palestiniens sont toujours étourdis par l’horrible tribut de mort et de destruction infligé ce mois-ci par Israël à la bande de Gaza.  

En 11 jours, plus de 240 Palestiniens ont été tués à Gaza, y compris plus de 60 enfants, et 2 000 autres ont été blessés.  

En Cisjordanie occupée, près de 30 familles pleurent des êtres chers tués par les forces d’occupation ces deux dernières semaines uniquement. Et, en Israël, des citoyens palestiniens ont été confrontés à des pogroms organisés par des foules d’Israéliens juifs soutenues par les autorités.

Pendant ce temps, Israël poursuit ses agressions partout dans la Palestine historique, et plus particulièrement à Jérusalem occupée.

De simples chiffres ne peuvent rendre le degré de terreur et de traumatisme qu’Israël continue d’infliger.

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Mais le sénateur Bernie Sanders, le supposé porte-parole par excellence des progressistes américains, veut que les Palestiniens et leurs partisans fassent un petit peu moins de tapage.

Des décennies après que les Palestiniens ont pour la première fois défini avec pertinence Israël comme un État d’apartheid, des organisations des droits humains ayant pignon sur rue, comme B’Tselem en Israël et Human Rights Watch à New York, en sont arrivées à la même au cours de ces derniers mois

« Modérer ses propos »

Dimanche, dans l’émission Face The Nation, de CBS, Sanders a été interrogé sur l’utilisation de ce terme.

John Dickerson, qui l’accueillait et qui, tout au long de l’interview, prit des airs d’avocat de la défense d’Israël, déclara à Sanders que « nombre de libéraux utilisent le mot ‘apartheid’ pour désigner la façon dont Israël traite les Palestiniens ».

Citant un groupe de pression en faveur d’Israël, Dickerson prétendit que ce genre de critique alimentait une recrudescence de l’intolérance à l’égard des juifs.

Il laissa ensuite entendre à Sanders qu’utiliser le mot ‘apartheid’ « avait accru le niveau de vitriol ayant contribué à cet antisémitisme ».

Plutôt que d’affirmer qu’en effet, Israël pratiquait l’apartheid et de rejeter l’assimilation de la critique des crimes d’Israël à de l’antisémitisme, Sanders se dit d’accord avec son interviewer.  

« Eh bien, je pense que nous devrions modérer nos propos », dit Sanders, avant d’y aller de toute une salade verbale qui concluait que « le boulot des États-Unis, c’est de rassembler les gens ».

Mohammed El-Kurd, un poète palestinien qui milite contre l’épuration ethnique dans le quartier de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est occupée, a dit de la réponse de Sanders que c’était « une infâmie ».

Il y a eu un torrent de critiques similaires contre Sanders de la part de Palestiniens et de leurs partisans.

Malheureusement, ce ne furent pas les seuls choses infâmes que Sanders prononça dans cet extrait de 8 minutes concernant la Palestine et que vous pouvez découvrir dans la vidéo publiée en tête de cet article.

Alors que le monde se retourne contre l’horrible impudence des crimes de guerre coloniaux d’Israël, Sanders insistait en disant :

« Nous devons être pro-israéliens, mais nous devons être propalestiniens » – en s’accrochant catégoriquement à cet équilibre fallacieux qui met sur un pied d’égalité le perpétrateur des méfaits et sa victime.

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Et, plutôt que de contester le langage utilisé depuis des décennies pour diaboliser et délégitimer la moindre résistance palestinienne, Sanders a qualifié le Hamas « de groupe de terroristes, de gens corrompus et autoritaires » et a même insisté en disant : « Nous devons leur tenir tête ! »

Aussi significatif que ce qu’a dit Sanders, c’est ce qu’il n’a pas dit.  

Pas plus qu’il n’a appelé à une solidarité réelle, populaire avec les Palestiniens en soutenant et promouvant BDS – le mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions organisé selon le modèle de la campagne mondiale qui a contribué à mettre un terme à l’apartheid en Afrique du Sud.

En effet, Sanders s’oppose à BDS et la chose a été enregistrée.

Sanders n’a pas demandé que l’on exige des comptes des dirigeants israéliens pour leurs crimes de guerre.

Il n’a pas exigé que l’administration Biden laisse tomber son opposition à l’enquête de la Cour internationale de justice sur les crimes de guerre en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

En lieu et place, le sénateur a cherché à mettre Israël à l’abri de la critique en détournant le blâme sur son gouvernement actuel.

« Au fil des années, le gouvernement Netanyahou est passé extrêmement à droite », a affirmé Sanders, et « il y a des gens aujourd’hui, au sein du gouvernement israélien, qui sont des racistes affirmés ».

Chaque gouvernement israélien de chaque tendance, depuis la « gauche » sioniste jusqu’à la droite sioniste, a été raciste depuis que l’État a été créé sur base de l’épuration ethnique, en 1948.

Mais, de la même façon que de nombreux libéraux pendent que les problèmes de l’Amérique ont débuté avec l’élection de Donald Trump en 2016, Sanders, apparemment, croit que Benjamin Netanyahou a inventé le racisme en Israël.

« Le modéré blanc »

Rien de tout cela ne devrait nous surprendre.

Tout cela a trait au long passé de Sanders dans le soutien au sionisme, sans parler de son fervent passé de soutien à l’impérialisme américain.

Toutefois, ses derniers commentaires devraient enterrer tout espoir de le voir changer fondamentalement ou de se muer en véritable allié des Palestiniens.

Les efforts de Sanders pour contrôler et « modérer » le langage qui décrit avec à-propos les crimes d’Israël rappellent l’archétype du « modéré blanc » si brillamment décrit par Martin Luther King, Jr. dans sa « Lettre depuis la prison de Birmingham », de 1963 :

« J’en suis presque arrivé à la conclusion regrettable que la grande pierre d’achoppement du noir dans sa marche vers la liberté n’est pas le conseiller [suprémaciste] des citoyens blancs ou le membre du Ku Klux Klan, mais le modéré blanc, qui est plus attaché à ‘l’ordre’ qu’à la justice ; qui préfère une paix négative, c’est-à-dire l’absence de tension, à une paix positive, c’est-à-dire la présence de la justice ; qui dit constamment : ‘Je suis d’accord avec vous dans le but que vous recherchez, mais je ne puis être d’accord avec  vos méthodes d’action directe’ ; qui croit avec  paternalisme qu’il peut définir le calendrier de la liberté d’un autre ; qui vit selon une conception mythique du temps et qui conseille en permanence au noir d’attendre ‘une saison qui convienne mieux’. La compréhension superficielle des gens de bonne volonté est plus frustrante que l’incompréhension absolue des gens de mauvaise volonté. L’acceptation tiède est bien plus déconcertante que le rejet pur et simple. »  

Il en va de même avec le soutien tiède de Sanders aux Palestiniens.

À l’instar du modéré blanc qui a condamné la ségrégation, Sanders reconnaît certains des maux perpétrés par Israël.

Lors de l’émission Face the Nation, par exemple, il a déclaré que, dans l’agression récente contre Gaza, Israël

« avait tué 64 enfants et détruit une partie importante des infrastructures de Gaza, dans une communauté qui était déjà devenue l’un des territoires les plus inhabitables de la planète ».

« Les États-Unis d’Amérique doivent diriger le monde afin de rassembler les gens, et non se contenter de fournir des armes pour tuer des enfants à Gaza », a-t-il ajouté.

Des mesures inefficaces

Sanders a mis en évidence une résolution du Sénat visant à bloquer 735 millions de USD dans de nouvelles ventes de bombes de précision des EU à Israël.

Vu qu’en 2014 encore, Sanders excédé réprimandait ses électeurs et leur imposait le silence quand ils s’opposaient au massacre par Israël de Palestiniens à Gaza cette même année, on pourrait percevoir ceci comme un « progrès ».

Mais, en fait, ce dont il s’agit, c’est d’un détournement de l’attention.

Si Sanders mettait en évidence la résolution du Sénat tout en soutenant la lutte et la résistance légitimes du peuple palestinien, et BDS en particulier, la chose pourrait être perçue comme un élément constructif.   

Mais il propose une résolution qui n’a pas la moindre chance d’être adoptée, tout en s’opposant à toutes les formes de résistance palestinienne, et en les condamnant, utilisant même le mot « terrorisme », qui fait partie de la terminologie de diabolisation dont se sert le lobby pro-israélien.  

Même avec toute sa critique à l’encontre des dirigeants israéliens – le pire qu’il dira de Netanyahou, c’est qu’il est « de droite » et « raciste »Sanders s’obstine toujours à plus de virulence dans sa dénonciation des Palestiniens.

Au mieux, Sanders apporte un soutien rhétorique aux Palestiniens, au pire, il sape leur lutte de libération en désamorçant la colère et les demandes d’action afin de les détourner vers une impasse.

De la même façon qu’à deux reprises, il a mené par le bout du nez ses électeurs de gauche en direction du Parti démocrate partisan des entreprises et belliciste lui aussi, Sanders cherche à éloigner les partisans des droits palestiniens d’un diagnostic clair et d’une solidarité réelle pour les rapprocher de son sionisme libéral moribond.

À un moment où le soutien à Israël s’écroule au sein de la base du Parti démocrate, voici que Bernie Sanders s’amène à la rescousse, avec ses douces critiques à l’encontre d’Israël et ses mesures absolument inefficaces.

Lorsqu’il écrivait depuis sa cellule en prison, King rejetait la critique « modérée » disant que l’action directe non violente engendrait la crise et les tensions et que ce qu’il devait faire, lui, façon de parler, c’était modérer ses propos.

« Nous amenons simplement en surface la tension cachée qui vit déjà. Nous l’amenons ouvertement à l’air libre, où elle est visible et où on peut la traiter »,

rétorquait King.

« Comme un furoncle qu’on ne peut pas soigner tant qu’il est couvert, mais qui doit être percé dans toute sa laideur et entrer en contact des médicaments naturels que sont l’air et la lumière, l’injustice elle aussi doit être dénoncée au grand jour. »

C’est aussi vrai aujourd’hui du régime israélien d’occupation, d’apartheid et de colonialisme de peuplement, que ce ne l’était de l’apartheid américain combattu par King, et qui, malheureusement, a persisté jusqu’à nos jours.

Personne ne devrait écouter le conseil de Bernie Sanders. Ne modérez pas vos propos. Faites-les entendre davantage.


Publié le 24 mai 2021 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Ali Abunimah, cofondateur de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country: A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse

 

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