Aya Halaf, chanteuse et enseignante palestinienne soucieuse de garder vivant son héritage
Les chansons d’Aya Halaf mettent l’accent sur le pouvoir de la musique en tant que résistance créative à l’occupation.
Eman Abusidu, 17 août 2021Nous sommes nombreux à n’avoir jamais entendu parler des martyrs de la révolution Al-Buraq (*) autrement que par le biais de la chanson populaire « Min Sijjin Akka » (« Depuis la prison d’Acre »), qui parle de Fouad Hijazi, Atta Al-Zeer et Mohammed Khalil Jamjoum. Les paroles de cette chanson ont fini par faire partie de l’héritage palestinien et elles sont chantées lors des événements nationaux, des mariages et des célébrations culturelles. Qu’il s’agisse de protester contre l’oppression, de critiquer le pouvoir de l’occupation ou de résister à cette dernière, la musique dispose d’un potentiel unique au profit de la lutte palestinienne.
J’ai rejoint la chanteuse populaire et professeure de musique Aya Halaf afin de lui poser des questions sur ce phénomène. « Pour moi », a-t-elle expliqué, « l’art et le chant sont une façon pour moi d’expliquer la réalité de la façon d’où je vis et de celle dont mon peuple vit sa vie quotidienne. »
Nous avons discuté juste après que les forces d’occupation israéliennes l’avaient empêchée de chanter des chansons traditionnelles dans la Vieille Ville de Jérusalem parce qu’elle n’avait pas reçu une autorisation de le faire. Aya Halaf et certains de ses copains musiciens avaient prévu de faire un pop-up show dans la Vieille Ville.
« Nous avons commencé à chanter alors que la police israélienne nous observait. Ils nous ont fait cesser, nous ont demandé ce que nous chantions et ont dit que ce n’était pas autorisé sans un permis de la municipalité »,
m’a-telle expliqué.
« C’était une décision spontanée que de partager quelques chansons avec les gens. Nous avions choisi la Vieille Ville parce qu’elle est délibérément vidée de ce genre d’activités, de sorte que nous avons voulu chanter un peu avec les gens. »
Aya Halaf est née au village de Jatt, dans le nord de la Cisjordanie. Elle chante et enseigne en même temps l’héritage musical palestinien. Elle a obtenu un diplôme en musique orientale à l’Académie de musique de l’Université hébraïque de Jérusalem. Pendant tout le temps qu’elle a passé à l’université, elle a travaillé comme professeure de musique pour les enfants de Jérusalem et dans de nombreuses villes des territoires palestiniens.
Elle est particulièrement intéressée par la tradition orale palestinienne et elle collectionne des éléments de folklore authentique qu’elle glane auprès des Palestiniens âgés.
« J’utilise la méthode qu’on appelle le ‘bouche à oreille’. J’écoute directement les femmes qui chantent à des mariages et en d’autres occasions ; je mémorise ce qu’elles disent et je le retranscris. »
Aya Halaf estime que c’est une excellente façon de sauvegarder l’héritage palestinien et de le transmettre de génération en génération afin de le sauver de l’oubli.
La chanteuse est précisément l’une des artistes palestiniennes qui ont grandi sous la domination de l’occupation israélienne. Selon elle, la musique se prête très bien à être créée au beau milieu du chaos et de la souffrance.
« C’est un fait. Vos amertumes et vos joies peuvent toutes se transformer en colère, de sorte que vous chantez, tout simplement. »
Elle m’a parlé de son enseignement de la musique à l’école primaire du camp de réfugiés de Shuafat, dans la périphérie de Jérusalem, où elle et les enfants pouvaient entendre tirer à l’extérieur de l’école.
Les chansons d’Aya Halaf mettent l’accent sur le pouvoir de la musique en tant que résistance créative à l’occupation. Toutes les formes de résistance sont légitimes, d’après les lois internationales, pour tous ceux dont la terre est occupée. Le peuple palestinien a recouru à de nombreuses tactiques, dans sa résistance légitime à l’occupation israélienne, qui lui a volé sa terre, ses droits et ses lieux sacrés.« Telle était la routine quotidienne des enfants. Ils entendaient de la musique à l’école et des détonations en dehors. Malgré cela, les enfants choisissaient souvent de continuer de chanter. D’eux, j’ai appris comment créer de la musique en dépit de la souffrance. »
« En Palestine, même chanter fait l’objet de répression, de sorte que la musique fait partie de la lutte et du refus d’accepter l’injustice »,
faisait-elle remarquer.
Aya Halaf l’artiste est confrontée à de nombreux obstacles réels, sous l’occupation. Par exemple, il n’existe pas de bonnes sociétés de production pour sponsor ou soutenir les artistes palestiniens. Le financement des chansons palestiniennes et des musiciens qui les jouent constitue souvent une tentative de « placer l’art palestinien sous l’aile d’institutions israéliennes ».
La propriété historique de leur terre par les Palestiniens fait partie de l’héritage dont Aya Halaf dit qu’on peut le retrouver au travers des chansons traditionnelles. Dans un effort de garder cette culture en vie, elle utilise sa voix pour chanter ces chansons mêmes et réfuter ainsi le discours de l’occupation prétendant que c’était une terre sans peuple, sans héritage ou sans identité.
« Personne ne peut dire que cette tradition orale n’est pas palestinienne. Nous avons toujours des mariages, des fêtes et des occasions où nous chantons les mêmes chansons paysannes qui remontent à des décennies. Comment quelqu’un peut-il emporter cela, quelque chose que nous possédons, et l’utiliser ensuite à son profit ? C’est impossible ! »
La chanteuse et professeure palestinienne rêve que sa voix sera entendue partout.
« Qu’elle pénétrera dans chaque maison et fera partie de la vie quotidienne en Palestine et bien au-delà aussi. J’espère que ma voix sera entendue dans la rue, sur le marché, dans les voitures, dans les spectacles, partout. »
Son rêve est partagé par tous les Palestiniens du monde entier qui veulent que leurs voix soient entendues.
Publié le 17 août sur Middle East Monitor
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine
(*) Lisez ici : La révolution d’Al-Buraq : l’héritage et la lutte qui se poursuit