Les petits miracles de Gaza
Suzie, Omar et Maria illustrent le fait que les efforts d’Israël pour briser l’esprit palestinien n’ont jamais réussi. Et ne réussiront jamais. Que nous croyions ou pas aux miracles, le fait qu’ils ont survécu est étonnant.
Sarah Algherbawi, 12 octobre 2021
Il a fallu quelques mois avant que je ne sente que le temps était venu d’avoir une conversation avec mon ami Amjad Hassan. Il y a quatre ans, Amjad, qui est photographe, et moi-même travaillions ensemble au sein de l’organisation Press House (Maison de la presse) – Palestine.
Nous sommes restés en contact, depuis. Mais, après l’agression israélienne contre Gaza, en mai dernier, j’ai senti qu’il serait trop douloureux pour Amjad de parler. Mon impression reposait surtout sur une vidéo que j’avais vue. Elle montrait Amjad en train de pleurer dans une salle d’urgence sur le corps sans vie de sa sœur Yasmine. Sur ces images, Amjad semble inconsolable.
Finalement, lorsque nous avons discuté, Amjad m’a parlé des horreurs qui avaient été infligées à sa famille. Il prenait grand soin de sa sœur. Après le début de l’attaque contre Gaza, il avait appelé Yasmine pour ainsi dire d’heure en heure, histoire de voir si elle allait bien.
Dans les toutes premières heures du 15 mai, Yasmine et ses enfants étaient chez eux dans le camp de réfugiés « Beach Camp ». Le mari de Yasmine, Alaa Abou, était sorti acheter de la nourriture dans un magasin qui ouvrait jusque tard dans la nuit.
La sœur d’Alaa, Maha, avait appelé avec ses cinq enfants et ils étaient venus passer la nuit. Sans avertissement préalable, Israël avait largué des missiles sur l’immeuble. Yasmine et quatre de ses enfants avaient été tués, de même que Maha et quatre de ses enfants aussi.
Effondré
Mon ami Amjad est toujours effondré suite à la mort de tant de proches.
« Nous sommes une famille émotive »,
m’a-t-il dit.
« Quand Yasmine a épousé Alaa, j’ai eu un nouveau frère. Leurs enfants étaient davantage comme de petits frères et sœurs, pour moi, que des neveux et des nièces. Aujourd’hui, la plupart sont morts. Et c’en est trop pour une famille comme la mienne. »
La seule consolation qu’il soit possible de tirer d’un crime aussi horrible, c’est que deux enfants ont survécu. L’un est une gamine de 5 ans, Maria. Elle est la seule des enfants de Yasmine encore en vie.
Maria a été découverte par des voisins peu après l’attaque aérienne contre l’immeuble. Elle avait fait une lourde chute, mais sans être grièvement blessée – du moins sur le plan physique. Aujourd’hui, Faten, la tante de Maria, qui est psychologue, prend bien soin d’elle. J’ai vu Maria à deux reprises depuis l’agression de mai. Les deux fois, je l’ai trouvée très pâle. Ce n’est qu’après que je l’avais chatouillée qu’elle avait enfin souri.
« Maria est toujours traumatisée »,
m’a dit son père Alaa Abou Hatab.
« Elle s’éveille pendant la nuit et se met à pleurer pendant des heures, demandant après sa maman et ses frères et sœurs. »
S’accrocher à l’espoir
Un miracle sans doute plus grand encore – et miracle est le mot qui convient – c’est qu’un bébé a survécu au même incident. Le cousin de Maria, Omar, n’avait que cinq mois, à l’époque. Il a été retiré des décombres par les pompiers. Il était couché sur le corps de sa mère, Maha, quand on l’a découvert.
La survie d’Omar a été la source d’un grand soulagement, pour son père Muhammad al-Hadidi. Le fait de savoir son bébé en vie lui a donné la force si nécessaire au moment où il pleurait la perte de sa femme et de ses autres enfants.
« Je remercie Dieu de m’avoir permis de garder un de mes enfants »,
a déclaré Muhammad.
« Je ferai de mon mieux pour donner à Omar l’amour de sa mère. Mais je sais que c’est impossible. »
Le lendemain du bombardement du camp de réfugiés « Beach Camp », Israël avait commis d’autres atrocités à Gaza même. Plus de quarante personnes avaient été tuées au cours du massacre de la rue al-Wihda. Cette fois-là non plus, aucun avertissement n’avait été donné avant l’attaque par Israël des immeubles résidentiels et commerciaux de l’endroit.
Au beau milieu de toutes ces horreurs, la population de Gaza est quand même parvenue à se raccrocher à quelque espoir. Suzie Ishkintna, 7 ans, a survécu, ainsi que son père Riyad. Ils étaient les seuls membres de la famille à en sortir vivants.
Bien que l’histoire de Suzie ait fini par symboliser la résilience des Palestiniens, nous ne devrions pas oublier ses propres souffrances.
« Ma fille était pleine de vie, avant le massacre »,
a expliqué Riyad, son père.
« Suzie n’est plus elle-même, depuis. Elle s’est retirée dans un endroit des plus sombres. Elle demande toujours après sa mère. Elle veut savoir comment faire pour revoir sa mère. Quand je ne trouve pas de réponse qui l’apaise, elle se met à pleurer très longuement. »
N’empêche, je pense que nous avons raison de célébrer la survie de Suzie. Et d’Omar. Et de Maria. Ils illustrent le fait que les efforts d’Israël pour briser l’esprit palestinien n’ont jamais réussi. Et ne réussiront jamais.
Quelqu’un devrait faire un film sur ces enfants. Que nous croyions ou pas aux miracles, le fait qu’ils ont survécu est étonnant.
OOOOO
Sarah Algherbawi est une auteure freelance et une traductrice de Gaza.
Publié le 12 octobre 2021 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine