Sur les traces de ma mère : Une réfugiée palestinienne rentre chez elle
Dans In My Mother’s Footsteps: A Palestinian Refugee Returns Home (Sur les traces de ma mère :Un extrait du livre « Sur les traces de ma mère : Une réfugiée palestinienne rentre chez elle » de Mona Hajja Halaby, sorti de presse en août 2021.), Mona mêle l’histoire de sa mère et sa propre année sabbatique passée à enseigner la résolution du conflit à Ramallah.
Voici un extrait du livre de Mona Hajja Halaby, sorti de presse en août 2021 (en anglais).
En 2002, mon mari David, mes trois fils adolescents et moi-même avons voyagé en famille en Israël et en Palestine en tant que délégation d’enquête de la Middle East Children’s Alliance (MECA), une organisation humanitaire non marchande qui soutient des enfants et des familles en Palestine, en Irak et au Liban.
En cours de déplacement en Cisjordanie, j’ai constaté de mes propres yeux les effets de l’occupation. La réalité la plus choquante se dressait dans l’ombre du mur de béton de 25 pieds (7,50 mètres) de haut érigé par Israël et présent partout parmi de très vieux oliviers. Il détruisait les paysages, créait des ghettos et des barrières qui séparaient les Palestiniens de leurs champs et les Palestiniens d’autres Palestiniens.
Le moment le plus dur pour moi est venu lorsque je me suis retrouvée à Beit Hanoun, à Gaza. On m’avait demandé de traduire de l’arabe en anglais, pour ma délégation, les propos de Fadwa, une mère de six jeunes enfants, qui avait subi la nuit précédente une incursion israélienne dans sa maison. Elle était seule avec ses enfants quand, sans le moindre avertissement, les soldats israéliens avaient forcé l’entrée de sa maison et l’avaient réquisitionnée.
Elle allait leur fournir une position stratégique, avaient-ils dit, puisqu’elle était située au sommet d’une colline et qu’elle surplombait une route importante. Fadwa et ses six enfants avaient été obligés d’entrer dans la salle de bain où ils avaient été enfermés pendant 48 heures. Quand on m’avait demandé de traduire, la tâche m’avait paru assez simple, puisque mon arabe parlé est très bon. Pourtant, ce que je n’avais pas compris, c’est qu’en traduisant et en utilisant le discours à la première personne, je m’étais placée au beau milieu de l’expérience traumatisante que cette femme avait subie et que m’identifiais ainsi à ses circonstances personnelles. Le soir, dans notre chambre d’hôtel, je n’avais pas cessé de pleurer, éprouvant toute la crainte et l’impuissance de cette mère.
Le lien très fort de ma mère avec la Palestine était une histoire de perte, un inébranlable désir envahi de mélancolie. Peut-être était-ce la raison pour laquelle j’avais été attirée par David, qui avait également chanté le même chant tragique, puisque lui aussi était un réfugié palestinien. J’étais attirée par leurs aspirations frappées de chagrin, de la même façon qu’un papillon de nuit est attiré par la lumière. Même si je ne subissais pas leur nostalgie, je ressentais leur chagrin et j’avais de l’empathie pour le fait d’avoir perdu un foyer, puisque moi aussi j’avais perdu le mien quand j’étais encore petite. Je comprenais ma mère et la perte subie par David, mais je voulais une relation tout autre avec la Palestine et je voulais que ce soit une relation selon mes propres termes.
Heureusement pour moi, une succession d’événements heureux m’avaient amenée, de 2006 à 2008, à vivre à Jérusalem, à faire des recherches sur l’histoire de ma famille et à enseigner la résolution du conflit à l’École des amis de Ramallah.
À Jérusalem, j’avais rapidement appris à mener l’existence d’une Palestinienne ordinaire, à acheter mes miches chaudes de pain pitta à la boulangerie du bas de la rue, une brique de savon à l’huile d’olive au marché du coin, ou une livre de concombres chez les fermières vêtues de leurs traditionnelles robes brodées et assises sur les marches de la porte de Damas avec les paniers tressés contenant leurs produits. Vivre à Jérusalem signifiait être réveillée à cinq heures du matin par les haut-parleurs au sommet des mosquées émettant leur languissant et mélodieux appel à la prière. Et, le dimanche matin, pareil au rire joyeux des enfants, le pot-pourri des cloches des nombreuses églises de la Vieille Ville noyait ma voix.
Mais la réalité de la vie à Jérusalem consistait également à devoir vivre sous l’occupation israélienne – franchir les check-points, le mur de séparation, assister à la brutalisation et à la déshumanisation de mon peuple. Mon passeport américain était une source de sentiments conflictuels. D’une part, il me protégeait et me permettait l’accès à des endroits non autorisés aux Palestiniens locaux. Mais, d’autre part, il me séparait de la population autochtone, m’empêchant de vivre comme une véritable Palestinienne.
Mais l’esprit palestinien est résolu. Contre toute attente, les Palestiniens ont survécu à l’occupation et à plus de soixante-dix ans de déportation et de dépossession. Ils ne prospèrent pas car qui pourrait prospérer économiquement et émotionnellement alors qu’un mur de béton de 25 pieds de haut se dresse face à votre fenêtre et vous sépare de vos cultures et de votre famille, et vous prive en plus de votre part d’ensoleillement ? Et qui pourrait prospérer quand un check-point vous refuse d’accéder à Jérusalem pour y suivre un traitement médical ? Et qui pourrait prospérer quand sa maison est démolie au beau milieu de la nuit et qu’on ne lui donne qu’une demi-heure pour tirer ses enfants endormis de leur lit ?
En dehors de l’occupation et des check-points, vivre à Jérusalem signifiait aussi revivre le passé de ma mère. J’ai fini par connaître l’histoire de sa vie comme si c’était la mienne, comme si j’étais la seule à descendre en sautillant les escaliers de pierre du quartier chrétien de la Vieille Ville, avec la légèreté de ses dix ans à elle ; comme si, moi-même, en ce jour fatal de mai 1948, j’avais pris sa valise, la valise censée la soutenir pendant deux semaines « jusqu’au moment où les choses se seraient calmées » et qu’elle aurait pu rentrer dans sa maison, mais hors de laquelle elle avait vécu sa vie entière. Réfugiée un jour, réfugiée toujours. Je m’étais approprié ses souvenirs et j’en avais fait les miens. Est-ce ce que font les enfants des réfugiés ?
°°°°°°
Mona Hajja Halaby est une éducatrice palestino-américaine, elle est également écrivaine et historienne sociale et elle réside en Californie, aux États-Unis. Afin de préserver la culture et l’héritage de la Palestine, elle a créé une page Facebook intitulée « British Mandate Jerusalemites Photo Library » (Photothèque des Jérusalémites sous le Mandat britannique). Elle a également collaboré au documentaire interactif « Jerusalem, We Are Here » (Jérusalem, nous sommes ici).
L’écriture a toujours constitué une part importante de l’existence de Mona. Enfant, elle rédigeait des histoires et, adolescente, elle tenait un journal intime. L’écriture a donné un sens à sa vie et l’a aidée à se comprendre. Jeune adulte, elle a rédigé des essais et des articles académiques à l’université. Durant sa carrière d’éducatrice, elle a écrit sur ses étudiants et publié : « Belonging : Creating Community in thee Classroom » (Le sentiment d’appartenance ou la création d’une communauté au sein de la classe). Au fil des années, elle a également rédigé pour « The Jerusalem Quarterly » des articles de recherche académique concentrés sur l’histoire sociale de Jérusalem.
Une fois à l’âge de la retraite, Mona a terminé son livre, « In My Mother’s Footsteps: A Palestinian Refugee Returns Home » (« Sur les traces de ma mère »), qui mêle l’histoire de sa mère et sa propre année sabbatique passée à enseigner la résolution du conflit à Ramallah. Actuellement, elle travaille sur son prochain livre qui traite de l’expérience consistant à avoir grandi à Alexandrie, en Égypte, dans les années 1950.
°°°°°
Publié le 5 août 2021 sur The New Arab
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine