L’héritage de Ghassan Kanafani déblaie la voie vers une nouvelle tendance révolutionnaire
Ghassan Kanafani : « La cause palestinienne n’est pas une cause réservée aux seuls Palestiniens, c’est une cause pour chaque révolutionnaire (…) en tant que cause des masses exploitées et opprimées de notre époque. »
Robert Inlakesh (analyste politique, journaliste et cinéaste documentaire), 8 juillet 2022
Cinquante ans se sont écoulés depuis la mort de l’icône révolutionnaire palestinienne, assassinée à Beyrouth au cours d’un violent attentat à la voiture piégée orchestré par des agents du Mossad en 1972. Immortalisé par son refus de renoncer à ses principes face à la terreur sioniste, on prétend qu’aujourd’hui plus que jamais l’exemple posé par Kanafani inspire universellement une jeune génération de Palestiniens.
Ghassan Kanafani était un révolutionnaire palestinien, souvent cité pour son rôle en tant que porte-parole du mouvement de résistance marxiste appelé Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP). En compagnie de l’iconique poète palestinien Mahmoud Darwich, Kanafani est resté l’un des écrivains palestiniens les plus influents de la littérature arabe moderne. Ghassan Kanafani fut aussi une importante force de transformation dans le journalisme du Moyen-Orient. En cimentant sa place dans l’histoire via son introduction de techniques de communications uniques et novatrices, il était bien connu pour son rôle prépondérant dans la création d’un certain nombre de journaux et magazines régionaux, et surtout de l’hebdomadaire aligné sur le FPLP, Al-Hadaf.
Bien que son existence physique se soit terminée à l’âge précoce de 36 ans, l’œuvre littéraire de Ghassan Kanafani a été préservée et, du fait qu’elle a été rendue largement accessible à la postérité, elle a mené sa propre vie depuis la mort de son auteur. Né avant la formation de l’entité sioniste et ayant été la victime d’un nettoyage ethnique en même temps que sa famille, à Acre, en 1948, Kanafani a proposé un encouragement unique à entrer dans la pensée révolutionnaire palestinienne et, à ce jour, il représente toujours une voix puissante dans l’opposition à la corruption, à l’impérialisme, au colonialisme et plus encore. Ghassan Kanafani a fait connaître la cause palestinienne au monde, et pas simplement en la limitant à ses confins géographiques, manifestement réduits. Et il avait eu cette phrase fameuse :
« La cause palestinienne n’est pas une cause réservée aux seuls Palestiniens, c’est une cause pour chaque révolutionnaire (…) en tant que cause des masses exploitées et opprimées de notre époque. »
Selon Omar Zahzah, un poète, écrivain et intellectuel indépendant palestinien,
« Kanafani incarnait et opérait une solide convergence entre l’activisme, la créativité et l’art littéraire. Il nous a tous enseigné que, à sa racine, la résistance est une tentative profondément créative, et même intellectuelle, et que les travailleurs culturels au sein d’un mouvement ont le devoir de diffuser la lutte par le biais de leurs efforts ».
J’ai demandé à Omar Zahzah à quel point l’héritage de Ghassan Kanafani avait exercé un effet sur sa vision et ses perspectives concernant la lutte palestinienne via les médias d’aujourd’hui, en tant que personne née après la mort de Kanafani. Il a répondu :
« Ghassan Kanafani a grandement modelé ma vision et mes perspectives concernant la lutte par le biais des médias, du journalisme, de la littérature et de la culture dans un sens plus large. Kanafani a montré au monde que les mots peuvent être les armes ultimes des masses qui résistent à l’impérialisme, au colonialisme et au colonialisme de peuplement en nous inspirant tous afin de défier les natures logiques et répressives des systèmes dominants et en donnant au peuple l’espoir que même les États oppressifs apparemment les plus puissants peuvent tomber, quand ils sont défiés par la résistance justifiée d’un peuple luttant pour sa libération totale. Ce qu’a fait Kanafani, ç’a été de fusionner l’art d’écrire au sein de la rubrique plus large de la résistance anticoloniale. Il nous a montré à tous que la littérature et le journalisme peuvent émaner, venir du peuple, plutôt que de l’élite et, en dernier ressort, s’adresser au peuple, plutôt qu’à l’élite. »
Omar Zahzah croit que,
« paradoxalement (…) la politique d’assassinat d’Israël prouve à quel point l’État colonial israélien est réellement faible, fragile et, finalement, sans valeur. Il pensait pouvoir réduire Kanafani au silence en l’assassinant parce que, en tant qu’État raciste, colonial de peuplement, le seul langage qu’Israël comprend ou manipule en permanence est la violence ».
Il dit que par le biais de l’assassinat de Kanafani, le 8 juillet 1972, « Israël » a prouvé qu’
« il n’a pas un iota d’égalité, d’amour, de justice ou d’égalitarisme dans sa constitution très symbolique – rien que du racisme impitoyable et des hiérarchies coloniales d’humanité ».
Et de poursuivre également en disant que
« l’assassinat de Kanafani en a fait un martyr et même plus encore : il a montré que les mots du peuple palestinien suffisent pour attiser et inspirer la résistance jusqu’à la libération. Le fait même que l’État sioniste a senti qu’il n’avait pas d’autre choix que de liquider un géant intellectuel palestinien d’une telle puissance prouve à quel point l’État israélien est moralement failli et faible, et qu’il l’a toujours été ».
J’ai également demandé à Omar Zahzah si nous pouvions tirer des parallèles entre l’assassinat de Ghassan Kanafani et la politique de « Tel-Aviv » en 2022, consistant à cibler des journalistes palestiniens et je l’ai spécifiquement questionné à propos de l’assassinat de la journaliste vétérane d’Al-Jazeera, Shireen Abu Akleh. Il a répondu ce qui suit :
« Certainement. Le cas de Shireen Abu Akleh a fait une percée au niveau international – et c’est une bonne chose. Mais, en fait, l’État sioniste exécute des journalistes et travailleurs médiatiques palestiniens en toute impunité. Depuis 2000, l’État israélien a massacré près de 50 journalistes palestiniens. Ce n’est en aucun cas un nouveau phénomène. En réalité, cela suit une parfaite logique, de façon maladive et cynique : Les journalistes et les écrivains sont les gens qui témoignent de la violence de l’entité sioniste et qui la montrent au monde, en aidant d’autres Palestiniens, non seulement à la comprendre, mais aussi à trouver le courage, le moral et la résolution de continuer de résister et de s’exprimer contre leur oppression injuste. Ils sont les ennemis naturels de l’État israélien, précisément parce que plus on examinera, remettra en question et défiera le génocide du peuple palestinien par Israël, plus forts seront les coups portés à l’impunité de l’État sioniste. Naturellement, cette impunité est toujours bien assurée, grâce aux ‘relations spéciales’ d’Israël avec les États-Unis, une autre colonie de peuplement militarisée et suprémaciste blanche mais, au fil des années, les efforts incessants des Palestiniens sont néanmoins parvenus à asséner des coups importants à la fausse image de l’État sioniste en tant que prétendue réussite de l’antiracisme. Les gens sont de plus en plus conscients de la perversion des relations publiques israéliennes quand elles déguisent le colonialisme raciste de peuplement et l’apartheid comme un ‘mouvement de libération’. Désormais, il devient de plus en plus manifeste qu’Israël n’est rien d’autre qu’un État d’apartheid de peuplement colonial qui tue en toute impunité et qui transforme en armes des accusations de ‘terrorisme’ et d’’antisémitisme’ pour cacher ses propres crimes, et les écrivains et journalistes palestiniens ont joué un rôle important dans cette conscientisation croissante. »
« Pourquoi Kanafani est-il toujours capable de toucher la jeunesse palestinienne actuelle via ses œuvres ? » ai-je demandé à Omar Zahzah.
« Kanafani était un partisan impénitent de la révolution et de la libération. C’était quelqu’un dénué de prétention, quelqu’un qui a affiné son don avec les mots en vue de l’amélioration et du soutien de toute la communauté. En ce sens, il reste un personnage aussi vivant que jamais pour les nouvelles générations, qui rejettent de plus en plus le paradigme du prétendu ‘processus de paix’ que sont les accords d’Oslo, et ce, infiniment plus que les bureaucrates corrompus qui ne poursuivent la lutte qu’au nom de leurs propres intérêts. Kanafani reste un antidote symbolique contre l’intérêt personnel, la trahison et la néo-libéralisation de la lutte palestinienne, quelqu’un qui nous montre qu’un autre exemple, que des formes différentes, plus égalitaires de dévotion au peuple et à la lutte sont possibles, et qu’elles le sont dans l’immédiateté. »
Et de poursuivre :
« Ce qui est incroyable à propos de chaque aspect de l’œuvre de Kanafani, c’est la façon dont elle est truffée de ses propres convictions éthiques et politiques. Je peux lire une nouvelle comme ‘La terre des oranges tristes’, un compte rendu émouvant sur le sacrifice tel que ‘Lettre de Gaza’, ou un roman court comme ‘Des hommes dans le soleil’ et, alors que ses textes ne donnent pas nécessairement des réponses faciles et directes, ils sont néanmoins très habités par le large courant d’une expérience collective palestinienne qui, d’elle-même et en elle-même, nécessite une plus grande conscientisation censée déboucher sur une résolution politique. »
« Mais, au fil des années, je me suis moi-même senti particulièrement remué par la critique de Kanafani, depuis son étude des soulèvements de 1936 jusqu’à ses écrits littéraires satiriques rédigés sous des pseudonymes comme Faris Faris, par exemple, ou jusqu’à son étude de la littérature sioniste »,
ajoute Omaar Zahzah.
« Une partie du génie de Kanafani réside dans sa capacité de nommer et d’identifier une expérience palestinienne plus large. Il ajoutait à cette capacité une compréhension sophistiquée et perçante du rôle de la littérature, tant dans la libération que dans la colonisation. C’est ce qui, à mon sens, sépare Kanafani de tant d’autres : Il considérait le rôle de l’esthétique et des idées tels qu’ils existent, ont existé ou peuvent être mobilisés dans le cadre de mouvements politiques. Il nous a montré que le sionisme a débuté en tant que mouvement littéraire avant de se muer en mouvement politique et qu’une fois qu’il a assumé cette dernière forme, il a puisé lourdement dans son incarnation des débuts. Mais Kanafani a également compris comment la littérature peut galvaniser tout un peuple – et il a appliqué cette connaissance sans relâche, jusqu’à ses tout derniers instants. »
L’une des devises de l’hebdomadaire Al-Hadaf, dont Ghassan Kanafani était le rédacteur en chef, était que « la vérité est toujours révolutionnaire ». À l’époque contemporaine, les œuvres de Kanafani constituent un testament sur la façon dont les vérités qu’il a communiquées sont devenues immortelles et nous voyons que son martyre sur la voie de la justice n’a fait qu’encourager d’autres personnes à reprendre le flambeau ou, dans son cas, la plume ou la révolution.
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Publié le 8 juillet 2022 sur Al Mayadeen
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine