Personne ne fronce les sourcils à propos du financement par l’UE des espions israéliens

Quand des gens reconnaissent qu’ils dirigent un syndicat du crime et qu’ils ne témoignent aucun remords d’agir de la sorte, vous penseriez qu’ils ne seraient pas jugés dignes d’être financés par des organes « respectables » comme l’UE.

Mais, là, une fois de plus, le Mossad n’est pas n’importe quel syndicat du crime. Il s’agit d’un syndicat du crime approuvé par un État d’apartheid disposant de l’arme nucléaire et constamment chouchouté par la « communauté internationale ».

 

Un hommage à Ghassan Kanafani, l’écrivain palestinien assassiné par le Mossad il y aura 50 ans cette semaine, dans le camp de réfugiés Dheisheh (Photo : Anne Paq)

Un hommage à Ghassan Kanafani, l’écrivain palestinien assassiné par le Mossad il y aura 50 ans cette semaine, dans le camp de réfugiés Dheisheh (Photo : Anne Paq)

David Cronin, 6 juillet 2022

Pour la seconde fois en l’espace de quelques semaines, le ressortissant hongrois en poste à Bruxelles a été empêché de nuire aux Palestiniens comme il l’aurait voulu. Pour commencer, l’Union européenne a décidé de relancer son aide médicale aux hôpitaux et autres services vitaux en Cisjordanie occupée et à Gaza. Ces paiements avaient été gelés par Olivér Varhélyi, un commissaire de l’UE.

Ensuite, le chien de garde des droits humains, Al-Haq, est parvenu à pousser l’UE à débloquer le financement alloué à l’organisation. Ce financement avait été gelé par Varhélyi après des campagnes de diffamation orchestrées par Israël et son réseau de lobbying.

Varhélyi avait été désigné à la Commission européenne par Viktor Orbán, le Premier ministre hongrois. Alors que les deux hommes sont des réactionnaires, ce serait une erreur de croire que la politique européenne au Moyen-Orient serait très différente si un gouvernement plus libéral entrait en fonction à Budapest.

Répugnant

Israël entretenait des relations plutôt chaleureuses avec l’élite de l’UE bien avant que Varhélyi n’occupe son poste actuel. Une conséquence de ces relations chaleureuses, c’est que des arrangements moralement répugnants passent très largement inaperçus.

Il y a deux ans, j’ai écrit un article sur la façon dont une firme fondée par Tamir Pardo, l’ancien chef du bureau d’espionnage et d’assassinat qu’est le Mossad, participait à un projet scientifique financé par l’UE.

En me servant des règles concernant la liberté d’information, j’ai désormais obtenu des copies du screening auquel avait été soumis le projet en question.

Connu sous l’appellation d’Impetus, le projet de 9,5 millions de USD se concentre sur le recours aux technologies de surveillance dans les villes.

L’éthique semble occuper le chœur de toute l’initiative. Pourtant, les documents du screening ne disent absolument pas si le projet peut être considéré comme éthique, pour qu’une firme mise sur pied par un ancien espion israélien puisse être impliquée dans ce genre de travail.

Le projet Impetus a été réalisé au beau milieu de toute une série de révélations au sujet du logiciel Pegagus de fabrication israélienne, utilisé pour espionner des journalistes, des activistes et des hommes politiques dans le monde entier.

Bien qu’il n’y ait aucune référence à Pegasus dans les documents de screening concernant Impetus, il est possible que la controverse autour du logiciel ait eu une incidence sur le projet.

Un « rapport succinct sur l’éthique » présenté initialement à propos d’Impetus – datant de 2019 – déclare qu’une « protection massive des données personnelles publiques sera mise sur pied » en Norvège et en Italie, dans le cadre du projet. Le même document indiquait que les données seraient rassemblées sur une base « involontaire » et qu’aucune personne placée sous surveillance ne saurait qu’on avait eu accès à son « dispositif ».

Pourtant, un « rapport de contrôle de l’éthique » de décembre dernier – voir plus bas – faisait remarquer que le consortium participant au projet avait requis plus de clarté sur ces questions. Le consortium prétendait « qu’il n’était pas prévu que la plate-forme Impetus ou quelque outil qui y est intégré collecte la moindre donnée dans les dispositifs personnels tels ordinateurs ou mobilophones ».

Un « syndicat du crime »

J’ai contacté Joe Gorman, le coordinateur du projet, et lui ai demandé s’il avait quelques réserves à propos de XM Cyber, étant donné les connexions de son fondateur avec le Mossad.

« Il n’y a pas la moindre indication quelle qu’elle soit que l’une ou l’autre organisation participant au projet aurait pu, de par la nature de ses activités, promouvoir des pratiques contraires à l’éthique »,

a-t-il répondu.

XM Cyber et une autre firme israélienne appelée Sixgill « ont des rôles très similaires dans le projet », a déclaré Gorman.

Leurs rôles consistent à

« développer des softwares qui peuvent être utilisés par les autorités de la ville afin de détecter de potentielles cyber-vulnérabilités dans leur infrastructure IT, de coopérer avec elles en apprenant la façon d’utiliser efficacement le logiciel dans des scénarios opérationnels pratiques et d’améliorer le logiciel afin qu’il s’adapte mieux aux nécessités »,

a-t-il ajouté.

« Les deux sociétés ont déjà des produits de pointe dans ce domaine, et c’est en raison de cette expertise tant technique que commerciale qu’elles ont été sélectionnées afin de rallier le consortium. »

D’après Gorman, XM Cyber est « en passe de quitter le consortium ».

La raison du départ de la firme, a-t-il dit, « n’a rien à voir avec des questions éthiques ».

« Il s’appuie sur une évaluation selon laquelle il s’est avéré que sa participation au projet ne remplissait pas ses attentes au départ du projet. »

Tout baigne, alors, dans ce cas ?

Tamir Pardo a qualifié un jour le Mossad de « syndicat du crime doté d’une licence ».

Cette semaine marque le cinquantième anniversaire d’un crime particulièrement haineux. Le 8 juillet 1972, l’écrivain palestinien Ghassan Kanafani et sa nièce étaient assassinés dans un attentat à la bombe orchestré par le Mossad à Beyrouth.

L’assassinat a peut-être eu lieu quelques dizaines d’années avant que Pardo rallie le Mossad, mais ce genre de comportement a de toute façon perduré sous sa direction.

Quand des gens reconnaissent qu’ils dirigent un syndicat du crime et qu’ils ne témoignent aucun remords d’agir de la sorte, vous penseriez qu’ils ne seraient pas jugés dignes d’être financés par des organes « respectables » comme l’Union européenne.

Mais, là, une fois de plus, le Mossad n’est pas n’importe quel syndicat du crime. Il s’agit d’un syndicat du crime approuvé par un État d’apartheid disposant de l’arme nucléaire et constamment chouchouté par la « communauté internationale ».

Pour les bureaucrates de Bruxelles et les bénéficiaires de leurs largesses, il est en effet interdit de froncer les sourcils.

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David Cronin est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Europe Israël : Une alliance contre-nature (Ed. La Guillotine – 2013) et  Europe’s Alliance With Israel: Aiding the Occupation (Pluto Press, 2011 – L’Alliance de l’Europe avec Israël contribue à l’occupation). Il a participé à la rédaction du rapport “The israeli lobby and the European Union”. 
Son dernier livre est : Balfour’s Shadow: A Century of British Support for Zionism and Israel (Pluto Press – Londres 2017).

Il a écrit de nombreux articles pour de nombreuses publications, dont The Guardian, The Wall Street Journal Europe, European Voice, the Inter Press Service, The Irish Times and The Sunday Tribune. En tant qu’activiste politique, il a tenté d’appliquer un état d’ “arrestation citoyenne” à Tony Blair et Avigdor Lieberman pour crimes contre l’humanité. 

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Publié le 6 juillet  2022 sur The Electronic Intifada  

Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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