Israël a-t-il tiré profit de la guerre en Europe ?

L’une des nombreuses conséquences horribles de la guerre en Europe, c’est qu’elle a créé de nouvelles opportunités pour les trafiquants d’armes.

La firme israélienne Rafael espère décrocher d’importants contrats en Europe. (Photo : via Facebook)

La firme israélienne Rafael espère décrocher d’importants contrats en Europe. (Photo : via Facebook)

David Cronin, 27 septembre 2022

Les marchands d’armes israéliens ont-ils été entraînés à être en même temps effrontés et évasifs ?

Dans une déclaration récente, la firme Rafael, installée à Haïfa, s’est vantée que son système de missile Spyder avait prouvé « son efficacité au combat, y compris en Europe ».

Comme je n’avais aucune idée de ce à quoi « combat » faisait allusion, j’ai contacté Daniel Tsemach, un représentant de la firme.

En guise de réponse, il m’a transmis par courriel quelques liens internet au sujet de l’armée de la Géorgie.

Aucun de ces liens ne déclarait explicitement que les missiles Spyder avaient prouvé leur efficacité au combat sur le sol européen. Et c’est ainsi que j’ai adressé à Tsemach un nouveau courriel lui demandant qu’il me donne une « réponse claire » à ma question.

« Vous pouvez aisément obtenir votre réponse via des sources ouvertes »,

m’a-t-il répondu.

« C’est tout ce que j’ai à vous proposer. Nous ne parlons pas au nom de nos clients. »

Un peu de recherche allait contribuer à clarifier le problème, du moins en partie.

En 2008, un certain nombre de missiles Spyder – à l’époque, de développement récent – ont été livrés à la Géorgie, paraît-il.

Une firme israélienne a-t-elle cette fois admis – du moins avec un clin d’œil entendu – que la Géorgie a utilisé ses armes dans sa guerre contre la Russie la même année ?

Il est malaisé de voir quelle autre conclusion on pourrait tirer de la fanfaronnade de Rafael.

Aujourd’hui, bien sûr, la Russie est en guerre avec l’Ukraine. L’une des nombreuses conséquences horribles de la guerre, c’est qu’elle a créé de nouvelles opportunités pour les trafiquants d’armes.

Plutôt que d’adopter l’option sensée – mettre sur pied des pourparlers de cessez-le-feu et chercher à réduire les tensions – l’Union européenne a accru le flux d’armes vers l’Ukraine, prolongeant ainsi la guerre sans nécessité.

Un consensus dangereux

Un consensus dangereux s’est développé parmi l’élite politique eu Europe : Les budgets militaires devaient passer à la hausse.

De façon prévisible, Israël entend entrer dans l’action autant que possible.

Avant l’invasion russe de l’Ukraine, l’Europe constituait déjà la principale destination des exportations d’armes d’Israël. De nombreuses opportunités nouvelles ont vu le jour depuis.

Récemment, la Suède et la Finlande – nominalement neutres jusqu’au moment où elles ont demandé leur affiliation à l’OTAN un peu plus tôt cette année – ont toutes deux acheté ou envisagé d’acheter des armes à Israël.

L’Allemagne a consacré près de 100 milliards de USD pour remettre son armée en état. Les armes israéliennes sont susceptibles de figurer en tête sur les listes de shopping dressées à Berlin.

En 2021, la firme susmentionnée, Rafael, a signé un contrat de 627 millions de USD afin d’installer le système Spyder en république tchèque.

La firme espère désormais dynamiser ses affaires ailleurs en Europe. Cela explique pourquoi elle recourt à des euphémismes comme « testé au combat » afin de commercialiser ses armes.

L’irrespect envers la vie privée

RT, un fabricant israélien de technologie de surveillance, a été plus insolent encore dans la promotion de ses activités.

On peut le voir dans un article publié récemment par le magazine d’affaires IsraelDefense.

Celui-ci rapporte comment Israël utilise des « ballons d’observation » de RT au-dessus de Gaza.

Les données rassemblées par ces engins gonflables se déplaçant à haute altitude sont relayées vers une chambre d’opération, où des images de la « vie quotidienne dans la bande de Gaza » apparaissent sur des écrans.

« Deux femmes travaillent dans le champ », dit l’article, décrivant les images perçues.

« Un poids lourd est garé près de la clôture du périmètre [la frontière entre Gaza et Israël], une jeep roule lentement sur une route en mauvais état. Un peu plus loin, c’est un village avec des maisons et du linge pendu à l’extérieur. »

Même selon les normes israéliennes, le culot affiché dans ces quelques lignes est extraordinaire.

Voici une reconnaissance manifeste de ce qu’une vie privée a été totalement refusée aux gens de Gaza. Chaque aspect de leurs existences est désormais contrôlé par l’armée israélienne.

Il est difficile d’imaginer qu’Israël et ses amis puissent être aussi désinvoltes à propos de l’espionnage de masse s’il était dirigé sur des Occidentaux. Ils sont généralement restés silencieux, par exemple, à propos de la controverse autour de Pegasus et des révélations selon lesquelles les téléphones d’activistes et de journalistes de divers pays avaient été infectés par des logiciels espions de conception israélienne.

Le Parlement européen a réclamé une enquête, sur ce scandale. Alors qu’il est d’une importance vitale que la pleine vérité soit établie sur Pegasus, il est virtuellement impensable que les institutions de Bruxelles se chargeraient d’une telle enquête si les Palestiniens étaient les seules victimes.

C’est un secret de polichinelle que de dire qu’Israël teste ses nouvelles armes sur les Palestiniens.

Israël a gagné une tranche très lucrative du marché mondial des drones. Israel Aerospace Industries et Elbit Systems ont décrit leurs drones comme « ayant fait leurs preuves au combat » ou « testés sur les champs de bataille », même si l’État n’a pas admis d’avoir utilisé des drones armés au cours d’opérations militaires.

Ce n’est qu’en juin de cette année que la censure israélienne a levé une très vieille consigne de silence. Via cette ordonnance, les médias du pays étaient empêchés de parler de la façon dont les Palestiniens étaient tués ou mutilés à l’aide de drones armés.

Avec cette transparence plus grande, l’Union européenne semblera encore un peu plus ridicule quand elle se posera en défenseuse des droits humains alors qu’en même temps, elle encourage le commerce avec Israël, et particulièrement dans le domaine de son industrie de l’armement.

Après avoir été remisé dans la naphtaline pendant une décennie, le Conseil associatif EU-Israël se réunira à nouveau le 6 octobre.

Revivre ce conseil n’importe quand constituerait une horreur. Il est inexcusable de le faire quelques mois à peine après qu’Israël a tué la journaliste Shireen Abu Akleh et a lancé une autre offensive majeure contre Gaza, ainsi qu’au beau milieu d’autres horreurs en cours, comme les tueries régulières d’enfants palestiniens à Jénine et les menaces d’expulsion à Masafer Yatta.

La réunion du Conseil associatif produira presque à coup sûr pas mal de verbiage à propos de la quête de paix et de justice.

En achetant des armes à Israël, les pays de l’UE prouvent à quel point ils se soucient peu de ces buts.

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David Cronin est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Europe Israël : Une alliance contre-nature (Ed. La Guillotine – 2013) et  Europe’s Alliance With Israel: Aiding the Occupation (Pluto Press, 2011 – L’Alliance de l’Europe avec Israël contribue à l’occupation). Il a participé à la rédaction du rapport “The israeli lobby and the European Union”. 
Son dernier livre est : Balfour’s Shadow: A Century of British Support for Zionism and Israel (Pluto Press – Londres 2017).

Il a écrit de nombreux articles pour de nombreuses publications, dont The Guardian, The Wall Street Journal Europe, European Voice, the Inter Press Service, The Irish Times and The Sunday Tribune. En tant qu’activiste politique, il a tenté d’appliquer un état d’ “arrestation citoyenne” à Tony Blair et Avigdor Lieberman pour crimes contre l’humanité. 

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Publié le 27 septembre 2022 sur The Electronic Intifada  

Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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