Des corps de police locaux belges en Israël pour une formation sur l’antisémitisme et le terrorisme

Le journaliste Frank Olbrechts a publié le 31 août 2023, un article sur le site Apache concernant le séminaire que plusieurs corps de police ont suivi en Israël et dont vous trouvez des extraits ci-dessous. Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine.

 

35 agents de sept corps de police locaux se sont rendus en Israël pour suivre une formation sur l’antisémitisme et ses liens avec le terrorisme.

35 agents de sept corps de police locaux se sont rendus en Israël pour suivre une formation sur l’antisémitisme et ses liens avec le terrorisme. (Photo via Twitter)

 

La ministre de l’Intérieur, Annelies Verlinden (CD&V) prétend ne pas avoir été mise au courant au préalable de la participation de sept zones de police flamandes à un séminaire en Israël. Sur invitation du ministère israélien des Affaires de la diaspora, 35 agents belges ont suivi une formation sur l’antisémitisme et ses liens avec le terrorisme. Le ministère des Affaires étrangères, par contre, était parfaitement au courant de cette formation, à laquelle s’est également joint le bourgmestre d’Anvers, Bart De Wever (N-VA).

Dans un communiqué de presse en ligne du 14 juillet dernier, également publié dans les médias sociaux, la zone de police locale Westkust (côte occidentale : Nieuport, Coxyde et La Panne) annonçait que deux de ses agents allaient suivre un programme de formation en Israël. Explication fournie :

« La formation s’inscrit dans l’engagement, et de la Belgique, et d’Israël, à vouloir mettre un terme ensemble aux manifestations haineuses et de veiller à rendre la société plus sûre ».

En tout, pendant une semaine, 35 agents de sept zones de police locales ont suivi en Israël une formation intitulée On coping with antisemitism and global terror (Comment faire face à l’antisémitisme et au terrorisme mondial).

Sur la photo d’accompagnement que la zone de police Westkust a publiée en ligne, quatorze agents de police sont visibles sous les drapeaux de la Belgique, de la Flandre et d’Israël s’agitant au vent. Juste au milieu du groupe, on peut également voir le bourgmestre d’Anvers, Bart De Wever (N-VA).

 

La police belge en Israël

Photo via Twitter

 

Les corps de police flamands ont répondu à une invitation du ministère israélien des Affaires de la diaspora, qui s’adresse aux juifs vivant en dehors d’Israël. À la formation participaient également des agents des zones de police anversoises Antwerpen (Anvers), HEKLA (Hove, Edegem, Kontich, Lint et Aartselaar), Grens (Frontière : Wuustwezel, Kalmthout et Essen) et Rivierenland (Pays des rivières : Bornem, Malines, Puurs-Saint-Amand et Willebroek), et les zones de police de Flandre-Occidentale Damme/Knokke-Heist et Ostende.

Seule la zone de police Boortmeerbeek/Haacht/Keerbergen a décidé de ne pas répondre à l’invitation des autorités israéliennes, a fait savoir la cheffe de corps Peggy Mauriën.

Les autorités israéliennes ont adressé leur invitation à des zones de police ayant des institutions juives sur leur territoire et pour lesquelles le Centre national de crise impose des mesures spéciales. Ce Centre de crise tombe sous la compétence de la ministre de l’Intérieur Annelies Verlinden (CD&V). Il est remarquable que Verlinden, qui a dans ses attributions la lutte contre le terrorisme, n’ait pas été mise au courant au préalable de l’initiative de ce séminaire antiterrorisme, comme l’a fait savoir à Apache son porte-parole Nick Gyselinck.

 

« Sous couverture diplomatique »

Au cours d’un voyage d’affaires, le bourgmestre Bart De Wever s’est joint à la formation policière. En compagnie de Flanders Investment & Trade, de l’ambassade de Belgique à Tel-Aviv et du consulat général à Jérusalem, De Wever a finalisé un programme de voyage élargi du 12 au 15 juillet. Il a visité la ville de Haïfa, jumelée avec Anvers, mais aussi Jérusalem-Est, illégalement annexée par Israël, ainsi que Bethléem, dans les territoires palestiniens occupés par Israël.

Le Service public fédéral Affaires étrangères, qui défend les relations diplomatiques de la Belgique, était toutefois au courant, lui, ce qui fait qu’aussi bien la formation policière que la visite de De Wever étaient diplomatiquement « couvertes ».

Le porte-parole Nicolas Fierens Gevaert fait savoir que l’ambassadeur de Belgique en Israël, Jean-Luc Bodson, était lui aussi présent à la remise de diplôme de Beit Shemesh, une ville située à quelque trente kilomètres à l’ouest de Jérusalem. Cette cérémonie a eu lieu après les sept journées du programme de formation des policiers.

Détail piquant : selon le consultant de la police Timmy Van Assche, de la zone Oostende, le séminaire a eu lieu dans un local d’IMI Academy. Il s’agit d’une filiale du producteur d’armes IMI Systems, une ancienne entreprise publique israélienne reprise par Elbit Systems (*) en 2018. IMI Academy se profile comme étant spécialisée

« dans les formations et projets sur le plan de la sécurité, de la lutte contre le terrorisme, de la sécurité intérieure et des projets de formation complémentaire pour les militaires et des représentants de l’ordre ».

 

Une pétition contre la visite

Quand la nouvelle du voyage de De Wever en Israël a été connue, les conseillers communaux anversois des partis de l’opposition PVDA (PTB flamand) et, la veille, Groen (les verts) aussi, ont émis à ce propos des considérations critiques. Le PVDA Anvers a collecté quelque 2 000 signatures contre la visite de travail de De Wever et la fraction anversoise de Groen a déclaré vouloir introduire une motion afin de rendre impossibles à l’avenir de tels voyages d’affaires.

Dans les six autres zones de police, les plans en vue de la formation en Israël sont passés inaperçus, nous apprend une vérification d’Apache auprès des conseillers communaux qui siègent dans les conseils de la police.

Aucun des conseillers communaux contactés par Apache dans les communes concernées n’a voulu y aller d’un commentaire supplémentaire. Et le président du conseil communal ostendais Wouter De Vriendt (Groen) non plus, lui qui, en tant que membre de la Commission de la Chambre sur les relations extérieures, avait bel et bien remis en question à diverses reprises les violations des droits humains dans les territoires occupés par Israël.

Le conseiller communal d’Anvers, Ben Van Duppen (PVDA) explique à Apache qu’il estime extrêmement inquiétant que la police d’Anvers ait répondu favorablement à l’invitation à ce séminaire.

« Les services de sécurité israéliens violent constamment les droits humains des Palestiniens. Diverses organisations, dont Human Rights Watch, Amnesty International, les Israéliens de B’Tselem et des experts des Nations unies affirment depuis longtemps déjà qu’Israël organise un État d’apartheid. »

Selon Van Duppen, du fait que la ville d’Anvers répond à une telle invitation, il s’agit dans la pratique d’une collaboration avec un régime extrêmement répressif.

« Aussi plaidons-nous pour que la Ville d’Anvers mette un terme immédiat à toute collaboration policière avec Israël et propose la transparence sur tous les contacts qui ont eu lieu. »

Van Duppen renvoie également à une visite de l’organisation patronale Voka à Israël en 2016, déjà sous la direction de Bart De Wever.

« À l’époque, d’après De Wever, la mission était ‘essentiellement économique’. Mais, avec cette visite de travail, nous nous sommes bien vite retrouvés sur une pente savonneuse. Aujourd’hui, les policiers de notre ville vont écouter sur place quelles sont les pratiques policières dont se servent les services sécuritaires en Israël. »

 

« Optimaliser le fonctionnement »

Le porte-parole Wouter Bruyns dit que la police d’Anvers n’a pas joué de rôle coordinateur au cours du séminaire. La communication de Bruyns a toutefois été reprise textuellement par les porte-parole des zones HEKLA et Grens.

Bruyns confirme en des termes plus diplomatiques à l’adresse d’Apache ce que le ministre des Affaires de la diaspora, Chikli, disait du séminaire. Selon lui, la formation s’inscrivait dans un programme financé par les autorités israéliennes et auquel des pays du monde entier étaient invités en Israël pour échanger du savoir sur la communauté juive et, en particulier, sur l’antisémitisme.

Bruyns explique que, dans un programme étalé sur une semaine, on a examiné entre autres les manifestations possibles d’antisémitisme.

« Est venu également s‘ajouter le lien avec le terrorisme, son approche et sa prévention telles qu’elles sont abordées en Israël. Outre nombre de conférences intéressantes et enrichissantes par des spécialistes, la délégation a pu effectuer également diverses visites de travail dans lesquelles une grande attention a été consacrée aux divers aspects sécuritaires. »

Timmy Van Assche, de la zone de police Oostende, où vit une communauté juive et qui héberge une synagogue, dit que, lors du voyage d’étude, des conférences ont été données durant lesquelles ont été expliquées les diverses coutumes de la communauté juive.

« En même temps, nous avons eu un aperçu du fonctionnement des divers services de police et on nous a communiqué comment les collaborateurs de la police et de la sécurité sont formés pour réagir aux attentats terroristes internationaux, tout cela dans le but d’optimaliser le fonctionnement des services de sécurité. »

Le chef de corps Nicolas Paelinck, de la zone Westkust, fait savoir qu’il a décidé lui-même que son corps participerait à cette série de formations. Il a pris cette décision, dit-il, « à la lumière de la présence de la communauté juive » dans sa zone de police.

Paelinck renvoie à des formations similaires dans le passé, comme

« au Royaume-Uni, dans le cadre de la problématique des trans-migrants, en France, dans le cadre de la problématique des frontières, en Lettonie, en rapport avec la technologie des drones »,

et dans le cadre du projet SafeShore financé par la Commission européenne. Sa zone de police y a collaboré avec divers acteurs venus de Roumanie et d’Israël.

Paelinck, qui est également président de la Commission statutaire de la police locale, l’organe de coordination des zones de police locales, explique que l’internationalisation de la police locale figure en très bonne place dans l’agenda, de même que la police fédérale, d’ailleurs.

Sur le contenu, Paelinck a refusé de répondre aux questions d’Apache. « Le reste concerne le fonctionnement interne et n’intéresse pas les journalistes », fait-il savoir dans une réaction par écrit. Des zones de police Damme/Knokke-Heist et Rivierenland, Apache n’a pas reçu la moindre réponse.

Lors de la remise des diplômes, le ministre israélien des Affaires de la diaspora, Amichai Chikli, prenait lui aussi la parole en la présence de De Wever et de l’ambassadeur de Belgique. Dans un article du journal israélien The Jerusalem Post, intitulé « Le personnel sécuritaire belge reçoit en Israël une formation sur l’antisémitisme », Chikli dit que ces initiatives israéliennes sont nécessaires pour aborder les incidents antisémites dans le monde entier.

Avec ce programme, le ministre Chikli veut renforcer les liens d’Israël avec les services responsables de la sécurité de la communauté juive de la diaspora, dont en dehors d’Israël.

« Le programme de formation apporte aux participants le savoir et les compétences qui sont nécessaires pour combattre efficacement les crimes antisémites »,

explique Chikli.

 

Quid de la police bruxelloise et wallonne ?

Du fait qu’il était difficile, au niveau pratique, d’assurer une communication multilingue, les zones de police bruxelloises et wallonnes n’ont pas été invitées, explique le porte-parole de la police d’Anvers, Bruyns.

« La communauté juive, qui a contribué à assurer le contact avec les différentes zones de police avec communautés et/ou institutions juives sur leur territoire, s’est d’abord concentrée sur les zones de police flamandes. Plus tard seront également proposées ensemble les zones bruxelloises et wallonnes. »

On peut se demander si les zones wallonnes et bruxelloises répondront à l’invitation d’Israël. Il semble peu probable, en tout cas, que la zone de police Liège, malgré sa minorité juive et sa grande synagogue, y donne suite. Au début de cette année, la Ville de Liège a adopté une motion en vue de suspendre provisoirement toutes relations avec l’État d’Israël, tant que les autorités israéliennes « ne mettront pas un terme à la violation systématique des droits du peuple palestinien » et qu’elles ne respecteront pas intégralement le droit international.

 

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Frank Olbrechts est journaliste à Apache. Ses centres d’intérêt sont la politique culturelle et celle du patrimoine, la problématique identitaire et celle de la diversité, la culture du débat public, sans oublier le militantisme et l’activisme au sein de la société.

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(*) Elbit est le plus gros exportateur d’armes israéliennes et un fournisseur clé de drones et d’outils de surveillance pour l’armée israélienne. En Belgique, Elbit est le propriétaire des entreprises OIP qui se trouvent à Audenarde et à Tournai.

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