Ascension pour la liberté : L’homme qui a escaladé Big Ben.

L’homme qui a escaladé Big Ben en redescendra pour entrer dans l’histoire. Ses actions attelleront à jamais le gouvernement britannique à un génocide.

Amy Abdelnoor, 18 mars 2025, The Electronic Intifada.

Daniel Day perché sur la tour de l'horloge Big Ben avec le drapeau palestinien.

Daniel Day perché sur la tour de l’horloge Big Ben avec le drapeau palestinien.

 

Le 25 février 2024, l’aviateur américain Aaron Bushnell s’immolait par le feu en face de l’ambassade d’Israël, à Washington, D.C. Ce faisant, il s’était écrié : « Libérez la Palestine ! »

Le 8 mars dernier, des gens se sont rassemblés à Londres, devant le parlement britannique, pour soutenir un homme qui avait enfreint la sécurité pour escalader sur 25 mètres Big Ben, la tour de l’horloge du parlement, où il est resté perché pendant plus de 16 heures en tenant un drapeau palestinien et en nouant un keffieh autour d’une pièce de maçonnerie de la tour.

En postant par intermittence sur Instagram, Daniel Day a expliqué que cet acte non violent de résistance à ce qu’il appelait une « prétendue plaque tournante de la démocratie » était un appel à la libération de la Palestine et à la fin de « la répression d’État ».

Le fait que quelqu’un s’engage dans un acte de protestation si personnellement exigeant en réponse au génocide semble totalement incompréhensible aux yeux de ceux qui occupent des positions de pouvoir et qui essaient d’organiser la réponse collective de la société aux problèmes internationaux.

En effet, les comptes rendus de l’action par les médias traditionnels ont mis en lumière les lacunes de la sécurité au parlement, se faisant l’écho de l’inquiétude du MP conservateur Ben Obese-Jecty du fait que « ce protestataire était parvenu à se soustraire aussi facilement à la sécurité ».

La BBC a pris le relais avec l’analyse de la sécurité souhaitée par le speaker du Parlement, sir Lindsay Hoyle, « afin de s’assurer que soient retenues les leçons » tirées de l’incident.

Les députés ou les médias n’ont vu que peu d’intérêt à se demander pourquoi Day avait pris le risque et d’enfreindre la sécurité et d’escalader la tour à mains nues.

 

Une réponse rationnelle

Day avait prévu ces risques, de même qu’il avait prévu son arrestation inévitable. Il est vraisemblable qu’il ait également envisagé une condamnation possible, étant donné qu’il avait réclamé, de là-haut, la libération des « 18 de Filton », un groupe de jeunes activistes arrêtés, condamnés et emprisonnés pour leurs actions ciblant la principale société d’armement israélienne, Elbit Systems, en son site de production de Bristol.

Après que Bushnell s’était immolé par le feu – selon un journaliste du Guardian – il y avait eu « des spéculations débridées autour de sa santé mentale ». Newsweek avait dûment fait état d’un rapport de la police déclarant que l’homme âgé de 25 ans « avait fait montre de signes de détresse mentale », avant de commettre son acte mortel.

Ces critiques (sans fondement et passablement condescendantes) de la santé mentale des activistes sont utiles pour ceux qui préféreraient que la société reste enchaînée à la grotte de Platon à fixer les ombres, plutôt que d’affronter les problèmes réels : non seulement la réalité du génocide des Palestiniens par Israël, mais aussi celle de leur occupation depuis des décennies.

Aborder ces deux formes de violation flagrante du droit international procurerait un aperçu plus précis des raisons réelles expliquant pourquoi quelqu’un en Amérique choisirait de se tuer de façon brutale afin d’attirer l’attention sur des crimes contre l’humanité commis de l’autre côté de la planète.

Jusqu’à présent, personne aux yeux du public ne semble s’être posé des questions sur la santé mentale de Day. Toutefois, des premiers commentaires, alimentés par l’ignorance ou le racisme et publiés en compagnie des posts de ses médias sociaux, ont tenté de saper la validité de ses actions.

Pourtant, dans un même temps, alors que l’homme qui a escaladé Big Ben est devenu viral au niveau international, de nombreuses personnes ont reconnu que, dans cet acte de résistance non violente, Day, 29 ans, avait manifesté les sentiments de ceux qui, en Occident, ont regardé le génocide avec une désespérance grandissant de concert avec notre indignation morale quant à la complicité de nos gouvernements.

Il est absolument rationnel de répondre viscéralement au massacre généralisé et à l’affamement de centaines de milliers de civils par l’une des armées les plus puissantes de la planète. Le gouffre moral entre les partisans de Day, de Bushnell (et, bien sûr, de tous les activistes) et ceux qui s’ingénient à défendre Israël est pour ainsi dire incompréhensible.

 

Les actions comptent

Les médias traditionnels (partiaux, quoi qu’il en soit) ne parlent quasiment plus de Gaza, aujourd’hui, encore que cela pourrait changer au vu de l’info qu’Israël a tué plus de 400 personnes au cours d’un bombardement lourd dans les toutes premières heures du 18 mars, bombardement qui semblerait signifier la fin du prétendu cessez-le-feu convenu en janvier.
Et il règne un quasi-silence à la fois sur la diffusion des méthodes génocidaires d’Israël en Cisjordanie et sur les actions d’Israël au Liban.

En lieu et place, les médias s’occupent du président américain Donald Trump, avec ses affirmations provocatrices sur la transformation de Gaza en Riviera du Moyen-Orient, sur ses relations publiques horribles et grossières, y compris une vidéo promotionnelle fabriquée par IA sur le même sujet, ainsi que sur la litanie des perturbations et mises en œuvre politiques des 50 premiers jours de son mandat.

C’est sur la Palestine que Day a concentré à nouveau l’attention en escaladant Big Ben. Les médias n’ont pas eu d’autre choix que d’écrire sur l’infraction à la sécurité. Les déclarations de Day ont forcé les journalistes de la BBC à faire figurer le mot « Palestine » dans leurs commentaires, ce qui constitue en soi un puissant acte de résistance non violente, étant donné que la société de diffusion (comme bien d’autres au Royaume-Uni et aux EU) interdit effectivement aux journalistes d’utiliser certains mots, dont « génocide » et « Palestine ».

Par conséquent, l’action de Day, sur les plans oral, auditif et visuel, a réaffirmé le droit des Palestiniens à la vie face à la violence sponsorisée par l’État et à l’oblitération. Les 16 heures et plus qu’il a passées sur Big Ben ont représenté davantage que 16 mois de génocide. Son choix de monument a attiré l’attention sur le gouffre moral flagrant dans lequel opèrent la majorité de nos hommes politiques, à quelques rares et remarquables exceptions près. Ce qu’a fait Day nous a par conséquent rappelé que nos actions individuelles comptent réellement.

Quand l’équipe des services d’urgence dans sa nacelle élévatrice a tenté de négocier pour qu’il descende, Day est resté calme, a expliqué ses buts et ses intentions et a résisté aux délégués d’une société dont les dirigeants sont bien déterminés à tenter de détourner notre attention de ce qui doit être décrit comme la chose immorale par excellence de notre époque.

Grimper à mains nues implique un risque ; grimper nu-pied plus encore. Faire les deux en public et enfreindre la sécurité du siège du gouvernement requiert un immense courage.

Le courage de Day reflète le désespoir aigu éprouvé et en effet vécu sur base quotidienne par beaucoup, quand nous nous demandons comment les dirigeants du monde prétendument libre peuvent continuer aussi scandaleusement de nous endormir à propos de crimes aussi flagrants que ceux que perpètre Israël.

 

Une hypocrisie scandaleuse

Chaque jour apporte ses nouvelles atrocités en Palestine, au Liban et en Syrie et ses nouvelles hypocrisies quand Trump, le Premier ministre britannique Keir Starmer et leurs acolytes se muent en l’incarnation du double langage orwellien, apparemment plus engagés à adopter des positions manifestement aussi immorales qu’illégales.

L’action de Day dénonce la véritable folie de notre monde en ce deuxième quart du vingt-et-unième siècle. Lorsqu’il a escaladé la tour, il savait sans nul doute qu’en osant révéler la complicité du gouvernement du Royaume-Uni dans des crimes de guerre, en osant recentrer l’attention du monde sur le droit des Palestiniens à vivre en liberté – et, partant, en nous rappelant les actions du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, à l’encontre de qui la Cour pénale internationale a émis un mandat d’arrêt pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité – lui-même serait arrêté.

Et, avec son arrestation pour un acte qui n’a fait de tort à personne, un acte qui a été un appel au clairon à la libération et à la liberté, la scandaleuse hypocrisie des classes dirigeantes va être dénoncée une fois de plus.

On peut bien menotter les poignets de Day mais, au contraire des prisonniers de la grotte de Platon – au contraire des gens des EU, de la Grande-Bretagne et d’une grande partie de l’Europe qui s’obstinent à ignorer les tonnes de preuves si facilement accessibles dans notre monde actuel, technologiquement interconnecté – l’esprit de Day est libre. En compagnie des millions de personnes qui le soutiennent au niveau international, Day a quitté la grotte et il a vu la vérité que nos hommes politiques tentent désespérément d’obscurcir : La liberté n’est est réalisable qu’en mettant un terme aux dizaines d’années d’occupation et d’oppression des Palestiniens.

L’homme qui a escaladé Big Ben en redescendra pour entrer dans l’histoire. Ses actions attelleront à jamais le gouvernement britannique à un génocide auquel, comme un si grand nombre d’entre nous l’ont remarqué, tout le monde, un jour, se sera opposé.

 

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Amy Abdelnoor est écrivaine et enseignante. Pendant ses études d’anglais et d’arabe à Trinity Hall, Cambridge, elle a renoué avec ses racines familiales arabes, vivant dans des camps de réfugiés palestiniens au Liban, puis sous l’occupation militaire israélienne en Cisjordanie pendant la seconde Intifada. Son premier roman, Ever Land ( La Terre Eternelle ) , est né de ces expériences. Présélectionné pour le Prix Lucy Cavendish de fiction 2023, il a été acquis par Hutchinson Heinemann et Penguin Random House, et sera publié en 2026.

Elle vit aujourd’hui dans l’Essex avec son mari et ses trois enfants. Parallèlement à son activité d’écrivaine et d’enseignante d’anglais au secondaire, elle est membre du Critical Collective, un groupe de femmes qui lutte contre le racisme et les crimes contre l’humanité. En attendant la publication de son roman, vous pouvez retrouver ses écrits sur Electronic Intifada et Substack .

On peut également la retrouver sur Twitter/X: @amyabdelnoor.

 

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Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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