Smotrich accélère les vols de terre en Cisjordanie
Le gouvernement israélien accélère les faits sur le terrain en vue d’annexer la Cisjordanie occupée.
Le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich (extrême droite), a baptisé 2025 « année de la souveraineté en Judée en en Samarie » – l’appellation pseudo-biblique par laquelle Israël désigne la Cisjordanie afin de conférer un vernis de légitimité à son occupation illégale.

29 mars 2025. Un colon israélien qui se tient aux côtés de soldats israéliens sourit au moment où ses congénères envahissent Khirbet at-Twail, une localité située au sud de Naplouse, en Cisjordanie occupée et où vit désormais une communauté palestinienne récemment déplacée. (Photo : Avishay Mohar / ActiveStills)
Tamara Nassar, 23 avril 2025
En sus de l’intensification de la violence des colons, qui a augmenté de 30 pour 100 par rapport à la même période l’an dernier, le gouvernement israélien a appliqué à sa politique et à son administration en Cisjordanie une série de changements qui modifient fondamentalement le caractère du territoire tout en échappant à la surveillance internationale.
Tout cela contribue à concrétiser les ambitions israéliennes à long terme de resserrer les bantoustans palestiniens tout en favorisant la continuité entre les colonies juives et l’Israël d’aujourd’hui.
Au cours des trois premiers mois de l’année, Israël a approuvé plus d’unités de peuplement colonial que pour toute l’année 2024.
Le Conseil supérieur israélien de planification, qui gère les activités de peuplement, a approuvé plus de 14 000 unités de logement en moins de trois mois, dépassant ainsi de loin les quelque 10 000 unités approuvées tout au long de l’année dernière.
Ceci est dû en partie au changement « radical » de politique opéré par l’actuel gouvernement israélien qui a relancé le processus d’intensification de la mise en place et de l’expansion du peuplement, estime l’organisation de contrôle des colonies Peace Now.
Cette direction politique, ainsi que « le plan détaillé de l’annexion de la Cisjordanie, était définie dans les accords de coalition signés lors de la création du gouvernement », a rapporté The Jerusalem Post.
Une annexion « tranquille »
Le but est « de cimenter le contrôle israélien sur la Cisjordanie sans toutefois être accusé de l’annexer officiellement », pouvait-on lire en juin dernier dans The New York Times, qui citait un discours adressé par Smotrich aux colons.
« Je vous le dis, c’est méga-radical »,
avait dit Smotrich aux colons.
« De tels changements modifient l’ADN de tout un système. »
Smotrich s’employait alors à transférer l’autorité militaire israélienne de la Cisjordanie vers un contrôle civil en créant en 2023, au sein du ministère de la Défense, une « administration du peuplement » censée lui rendre directement des comptes.
« Ce sera plus facile à avaler dans le contexte international et juridique »,
avait déclaré Smotrich.
« Et, de la sorte, ils ne diront pas que nous procédons ici à une annexion. »
Les juristes israéliens croient que « la démarche en soi constitue une annexion de la Cisjordanie », a fait savoir ce mois-ici Haaretz, le quotidien de Tel-Aviv.
Le chef de cabinet de l’administration ne tente pas non plus de dissimuler ses objectifs, qui prévoient que l’État traite la Cisjordanie exactement comme il traite toute autre région d’Israël – telle la Galilée dans le nord ou le Néguev dans le sud – et
« impose la souveraineté israélienne en Judée et en Samarie ».
Quelques mois à peine avant le 7 octobre 2023, le gouvernement israélien avait transféré la responsabilité de la planification du peuplement sous l’autorité de Smotrich.
Le gouvernement avait également modifié la planification et les procédures d’approbation de construction et d’expansion des colonies. Le feu vert du Premier ministre n’était dorénavant plus requis, par exemple.
Les changements ont supprimé plusieurs étapes de l’approbation du peuplement au cours desquelles le ministre israélien de la « défense » pouvait influencer la procédure, et ils ont effectivement transformé la question de l’extension des colonies en Cisjordanie occupée – toutes sont illégales, selon le droit international, et constituent un crime de guerre – en
« une question israélienne interne, semblable à l’expansion d’un quartier dans les frontières d’Israël »,
a déclaré Peace Now.
Cela a ouvert la porte à une « construction sans restriction en Cisjordanie », avait dit Peace Now à l’époque.
« Cette décision pousse Israël vers une annexion complète et vers la mise en place d’un régime d’apartheid. La planification est désormais dans les mains de Smotrich »,
a ajouté l’organisation.
Aujourd’hui, près de deux ans après ces changements, le conseil de planification du peuplement, qui se réunissait quatre fois par an, se réunit désormais sur base hebdomadaire. Lors de ces réunions, des centaines de plans de construction coloniale sont examinés et approuvés.
Ce changement fait partie d’une stratégie du gouvernement
« visant à normaliser la planification du peuplement, à réduire la surveillance domestique et internationale et à capitaliser sur l’attention mondiale fixée sur Gaza pour faire progresser rapidement l’expansion coloniale »,
a déclaré Peace Now le mois dernier.
L’accélération par le conseil de l’approbation de l’expansion coloniale par le gouvernement va de pair avec une augmentation dramatique de la violence des colons israéliens à l’encontre des Palestiniens, violence qui a chassé de chez elles des dizaines de communautés d’éleveurs palestiniens.
Les restrictions d’accès
Le mois dernier, le gouvernement israélien a entrepris des démarches en vue de séparer les parties nord et sud de la Cisjordanie.
Le prétendu cabinet sécuritaire d’Israël a alloué plus de 90 millions de USD à la construction d’une route réservée exclusivement aux Israéliens et qui
« interdira aux Palestiniens l’accès à une vaste zone située au cœur de la Cisjordanie ».
La construction de cette route aiderait Israël à atteindre son objectif à long terme qui est d’étendre la méga-colonie de Maaleh Adumim dans la zone appelée E1, à l’est de Jérusalem, achevant ainsi l’isolement total l’une de l’autre des parties nord et sud de la Cisjordanie.
C’est pourquoi Naftali Bennett l’avait appelée la route de la « souveraineté », à l’époque où il était ministre de la Défense.
Dans l’Administration civile – le bras bureaucratique de l’occupation militaire israélienne – la route est surnommée le « tissu de la vie », manifestement
« parce qu’elle est destinée à permettre aux Palestiniens de maintenir un tissu de vie après qu’Israël leur aura interdit l’accès à toute la zone »,
a déclaré Peace Now.
Le cabinet a également alloué près de 3 millions de USD pour une route qui permettrait les allées et venues des Palestiniens entre la zone de Bethléem et Jéricho dans la zone ouest de la Cisjordanie, après leur avoir interdit l’accès à la partie centrale de cette dernière.
« Cette route ne sert aucun but en améliorant les transports palestiniens. Au lieu de cela, elle vise uniquement à faciliter l’annexion à Israël d’une vaste zone, approximativement 3 pour 100, de la Cisjordanie »,
a ajouté l’organisation.
La principale cause des déplacements forcés
Depuis le 7 octobre 2023, au moment où les raids militaires israéliens contre les villes et camps de réfugiés palestiniens ont atteint de nouveaux sommets de violence, Israël a sévèrement restreint les possibilités de mouvement des Palestiniens en Cisjordanie.
C’est en 2009 que l’organisation de contrôle des Nations unies, l’OCHA, a commencé à enregistrer des données en 2009 sur le nettoyage ethnique constant des Palestiniens en Cisjordanie. Récemment encore, les démolitions par Israël de maisons bâties sans permis constituaient la cause principale du déplacement forcé des Palestiniens.

Le 30 mars 2025, quelques jours après une attaque des colons, un habitant palestinien de Jinba, un village de la zone de Masafer Yatta, dans le sud de la Cisjordanie occupée, est assis contre un mur couvert de graffitis disant : « Nous resterons ici ! »
Israël a refusé à peu près toutes les demandes palestiniennes de permis de bâtir en Zone C, qui constitue 60 pour 100 de la Cisjordanie et qui se trouve sous contrôle total du pouvoir militaire israélien, selon les termes de l’accord d’Oslo signé dans les années 1990 entre Israël et l’Organisation de libération de la Palestine. En réalité, l’armée israélienne contrôle la totalité de la Cisjordanie et elle a mené des raids dans les zones plus petites dont l’Autorité palestinienne a le contrôle nominal.
Le refus d’Israël d’accorder des permis de bâtir force les Palestiniens à s’en passer pour construire et à vivre dans la crainte permanente de voir démolir leurs maisons ou leurs communautés.
Mais il y a eu un changement au cours de ces deux années écoulées.
En 2023, la violence des colons est devenue la cause numéro un du déplacement des Palestiniens, dont plus de 1 600 – surtout les communautés de Bédouins et d’éleveurs de ces zones – ont été déplacés de force de leurs foyers et communautés en raison de l’escalade de cette violence des colons et des restrictions d’accès. Cette année 2023, les démolitions par Israël pour absence de permis avaient déplacé de force quelque 300 personnes de ces communautés.
En 2024, ces chiffres ont été de 620 personnes déplacées par la violence des colons et les restrictions d’accès, et de près de 370 par les démolitions effectuées dans ces communautés.
Les incidents provoqués par les colons contre les Palestiniens se sont multipliés presque par sept, entre 2020 et 2024.
Davantage d’avant-postes, davantage de violence
Une raison de l’augmentation en flèche de la violence des colons à l’encontre des Palestiniens n’est autre que l’accélération de l’installation des avant-postes illégaux un peu partout en Cisjordanie.
Les installations qu’Israël désigne sous le nom d’« avant-postes » sont souvent bâties sans même sa permission et sont d’ailleurs considérées comme illégales aux yeux de la législation israélienne.
Dans leurs premiers stades, les avant-postes comprennent souvent un petit nombre de colons parmi les plus extrémistes, lesquels se rassemblent dans une certaine zone avec quelques caravanes ou structures, souvent sans raccordement à l’eau ou à l’électricité. Smotrich tente de rationaliser la procédure de légalisation et de reconnaissance des avant-postes par les lois israéliennes en leur fournissant les services élémentaires et en imposant les faits sur le terrain.
Au moins 59 « avant-postes » israéliens ont été établis en Cisjordanie l’an dernier – il s’agit d’un nombre sans précédent.
En guise de comparaison, une moyenne de moins de sept avant-postes avaient été installés chaque année en Cisjordanie en 1996.
Ces trois dernières années, les colons israéliens ont volé de larges étendues de terre palestinienne en établissant prétendument des élevages ou des avant-postes agricoles un peu partout en Cisjordanie occupée.

29 mars 2025. Des colons israéliens envahissent Khirbet at-Twail, au sud de Naplouse, en Cisjordanie occupée, où vit actuellement avec ses vaches une communauté palestinienne récemment déplacée. (Photo : Avishay Mohar / ActiveStills)
Ce vol des terres palestiniennes a été un outil longtemps utilisé par les colons israéliens – qui opéraient comme une sorte d’infanterie coloniale de l’État.
Smotrich avait précédemment discuté de la création d’une « voie de contournement de la législation » pour les avant-postes, en les finançant et en leur fournissant des services, ce qu’il estimait comme étant la méthode idéale pour préparer la voie à l’accaparement de la terre palestinienne.
« Les avant-postes agricoles sont un outil méga-stratégique pour la protection des terres »,
avait-il dit.
« Nous n’avons pas inventé la roue. Depuis toujours dans l’État d’Israël, le pâturage est l’outil le plus efficace pour sauvegarder les terres »,
avait-il ajouté.
Un rapport récent de Peace Now et de Kerem Navot, une organisation qui contrôle et suit de près la politique israélienne de la terre en Cisjordanie, révèle que 14 pour 100 de la superficie totale de la Cisjordanie a été accaparée par le biais des « avant-postes d’élevage ».
Mais, au cours des trois seules années précédentes, 70 pour 100 de toutes les terres saisies par les colons l’ont été sous le prétexte d’activités de pâturage.
Près de 36 pour 100 de cette terre est la propriété privée de Palestiniens.
Le rapport a révélé que les colons s’étaient vu accorder des « contrats » par la « Division peuplement » de l’Organisation sioniste mondiale, qui « avait été mandatée par l’État [israélien] pour gérer des centaines de milliers de dounams (= des dizaines de milliers d’hectares, un hectare équivalant à dix dounams, NdT) – sans contrôle et loin des regards publics ».
Les contrats fournissent aux colons des centaines, sinon des milliers d’acres (un acre = 0,4 hectare, NdT) prétendument à des fins de « pâturage ». L’Organisation sioniste mondiale octroie ces terres aux colons sans qu’il y ait le moindre appel d’offres et sans réclamer la moindre compensation financière.
De façon prévisible, « dans quasiment tous les exemples, les colons ont établi des avant-postes illégaux sur les terres ou à proximité des terres », explique le rapport.
Dans près de la moitié des contrats obtenus par les organisations de contrôle israéliennes via une requête adressée au ministère de l’Agriculture au nom de la liberté d’information, l’étendue des terres allouées aux colons n’est même pas mentionnée.
La plupart de ces contrats étaient mal dessinés et rédigés et ne spécifiaient pas les limites exactes des terres, et certaines d’entre elles empiétaient sur des terres qui étaient la propriété privée de Palestiniens.
« C’est une violation de la loi martiale en Cisjordanie, qui interdit l’octroi de terre privée à qui que ce soit – que ce soit à la Division peuplement ou à des colons », disait le rapport.
« Ces pratiques de cartographie défectueuses n’ont rien d’un hasard. La confusion et le manque de clarté servent les intérêts des avant-postes d’éleveurs, en leur permettant d’accaparer autant de terre que possible tout en déplaçant systématiquement les habitants palestiniens. »
Les colons sont également soutenus matériellement par le gouvernement israélien qui, « via un système financier complexe, fait parvenir chaque année des dizaines de millions de shekels à ces avant-postes illégaux », poursuivait le rapport.
De la sorte, les colons agissent comme fantassins d’Israël afin de créer des faits sur le terrain en vue de l’annexion de la Cisjordanie.
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Publié le 23 avril 2025 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine