L’absurdité manifeste de l’amour entre l’Allemagne et Israël
Friedrich Merz, le nouveau chancelier, vient précisément de décrire l‘« amitié » de l’Allemagne envers Israël comme un « grand trésor qui doit être préservé 80 ans après l’Holocauste perpétré par l’Allemagne ».

Johann Wadephul, le nouveau ministre allemand des Affaires étrangères d’Allemagne, en visite chez Benjamin Netanyahou
David Cronin, 14 mai 2025
Richesse et vitalité.
Souvenez-vous de ces deux mots. Ils apparaissent dans un document de l’Union européenne, daté du 26 mars.
Huit jours plus tôt, Israël avait repris ses attaques à grande échelle contre Gaza, violant l’accord de cessez-le-feu dégagé en janvier.
La reprise des attaques suivait un blocus – toujours en place – contre l’entrée de vivres et de médicaments. La faim et la malnutrition avaient explosé en conséquence.
Malgré toutes les privations et la mort en Palestine, certains responsables de Bruxelles ont senti que c’était le moment idéal pour célébrer « la richesse et la vitalité des relations entre l’Union européenne et Israël ».
Le document du 26 mars peut avoir suscité peu d’attention, mais il ne s’agissait pas simplement d’un document de discussion interne. C’était plutôt une proposition officielle de développer plus avant un « plan d’action » afin d’intensifier la coopération entre l’UE et Israël.
Ce « plan d’action » – qui requiert d’être renouvelé toutes les quelques années – tombe sous la rubrique de l’accord d’association qui sous-tend les relations entre l’UE et Israël.
Il y a peu de temps encore, cet accord semblait bénéficier du soutien solide de la quasi-totalité des gouvernements de l’UE. En 2024, l’Espagne et l’Irlande étaient les deux seuls pays qui réclamaient une révision de l’accord, citant une clause qui stipulait que les préférences commerciales et les activités communes de l’EU et d’Israël sont soumises au respect des droits humains.
L’Irlande et l’Espagne ne sont plus des exceptions. Ces dernières semaines, la France, les Pays-Bas, le Portugal, la Suède et la Slovénie ont tous demandé une révision ou fait savoir qu’ils y étaient favorables.
Les partisans d’Israël ont manifestement mal encaissé ce contrecoup. Les anciennes certitudes – comme le fait qu’Israël considère les Pays-Bas comme l’un de leurs alliés les plus fidèles – se détricotent lentement.
Il conviendrait toutefois de ne pas exagérer la signification de ce qui se passe.
La plupart de ces pays de l’UE qui réclament aujourd’hui une action minimale en vue de tenir Israël pour responsable ne le font que 19 mois après qu’une guerre génocidaire a débuté.
Si ces États étaient vraiment sérieux dans leur défense des droits palestiniens, ils ne devraient pas utiliser la probabilité qu’aucun consensus ne soit atteint au niveau de l’UE quant à la suspension de l’accord associatif comme une excuse pour poursuivre leur complicité dans les crimes d’Israël. Au lieu de cela, ils doivent se préparer à sanctionner Israël, soit à titre individuel, soit en tant que coalition ad hoc.
« Un grand trésor »
Sans surprise, l’Allemagne, le pays le plus peuplé, est absente de cette liste des gouvernements qui demandent tardivement la réévaluation des relations avec Israël.
Friedrich Merz, le nouveau chancelier, vient précisément de décrire l’« amitié » de l’Allemagne envers Israël comme un « grand trésor qui doit être préservé 80 ans après l’Holocauste perpétré par l’Allemagne ».
Pour préserver ce « grand trésor », l’Allemagne arme Israël au moment où, en plein 21e siècle, il commet un holocauste à Gaza.
Après sa victoire électorale, Merz avait promis qu’il trouverait un moyen d’accueillir Benjamin Netanyahou, le Premier ministre israélien. En agissant de la sorte, il manifestait son mépris envers la Cour pénale internationale, qui avait émis un mandat d’arrêt contre Netanyahou.
De la même façon, Johann Wadephul, le ministre des Affaires étrangères du gouvernement Merz, a exprimé son mépris de la CPI en se rendant chez Netanyahou il y a quelques jours. Lors de cette visite, Wadephul a déclaré qu’il voyait avec sympathie la façon dont Israël – en collaboration étroite avec les EU – entend s’assurer à l’avenir un contrôle plus grand des livraisons d’aide à Gaza.
Wadephul a faussement suggéré que l’objectif d’Israël était de garder l’assistance humanitaire loin du Hamas. Le véritable objectif est d’instrumentaliser l’aide en donnant à des militaires et à des entrepreneurs privés une responsabilité dans des activités jusqu’alors menées par des agences de l’ONU et des ONG.
Cela s’inscrit parfaitement dans la manière dont Israël a orchestré la famine massive, commettant de la sorte un crime de guerre.
L’Allemagne a combiné son soutien au génocide de Gaza avec la répression sur son propre territoire des activités de solidarité avec la Palestine. Les autorités ont même cherché à déporter les protestataires parce qu’ils désobéissaient à la Staatsräson – une déclaration allemande disant que garantir la sécurité d’Israël est un devoir fondamental (littéralement une « raison d’État »).
Quatre activistes vivant à Berlin ont contesté en justice, et avec succès, leurs ordonnances de déportation. On peut néanmoins s’attendre à coup sûr à ce suivront d’autres tentatives en vue de museler les dissensions.
Katharina von Schnurbein, la Bavaroise qui a passé la décennie écoulée au poste de coordinatrice de l’UE dans la lutte contre l’antisémitisme, veut que ce musellement s’intensifie.
Prenant la parole à Berlin, elle a récemment réclamé avec insistance « des actions décisives et des poursuites là où c’est nécessaire » pour « prévenir un plus grave empoisonnement de l’espace public ».
Von Schnurbein a particulièrement déploré le slogan « du fleuve à la mer, la Palestine sera libre », prétendant qu’il équivaut à un souhait d’« annihilation » d’Israël et du « peuple qui y vit ».
Pour utiliser une vieille expression allemande, c’est un gros mensonge. Loin d’être un souhait d’annihilation, le slogan prône l’égalité entre tous les peuples qui vivent dans la Palestine historique, ce qui inclut Israël.
La libération en Palestine requerrait de détruire le système d’apartheid d’Israël, et non les Juifs israéliens en tant que communauté. Von Schnurbein devrait le savoir mais, du fait qu’elle est essentiellement une lobbyiste pro-israélienne se faisant passer pour une haute fonctionnaire, dire la vérité ne servirait en aucun cas son agenda.
Maintenant que certains gouvernements de l’UE remettent tardivement en question l’alliance avec Israël, la position de von Schnurbein et d’autres Allemands a l’air de plus en plus absurde. Comment peuvent-ils débiter des énormités à propos d’un « grand trésor » ou de « la richesse et la vitalité », quand des enfants palestiniens vont au lit l’estomac vide ?
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Publié le 14 mai 2025 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine