Le tribunal ordonne à Deutsche Welle de réintégrer une seconde journaliste palestinienne

Lundi était un « jour de célébration » , a écrit Farah Maraqa. La journaliste palestino-jordanienne venait tout juste de gagner son procès contre Deutsche Welle.

 

Farah Maraqa, une journaliste palestino-jordanienne, s’est dressée contre Deutsche Welle et a gagné.

Farah Maraqa, une journaliste palestino-jordanienne, s’est dressée contre Deutsche Welle et a gagné.

Ali Abunimah, 6 septembre 2022

Le diffuseur de l’État allemand s’est vu enjoindre par le tribunal du travail de Berlin de la réintégrer la journaliste et de lui rembourser tous ses frais juridiques.

Cette victoire décisive

« suggère que le tribunal a reconnu que le licenciement de Farah, s’appuyant sur une enquête controversée et des allégation infondées d’antisémitisme concernant des rapports publiés avant la signature de son contrat d’emploi, « était illégal »,

a expliqué le Centre européen d’assistance juridique (CEAJ).

Le CEAJ a assisté la journaliste Maraqa dans son combat pour la justice et il travaille avec d’autres journalistes dans la même situation.

Maraqa faisait partie de sept journalistes arabes licenciés par Deutsche Welle en février suite à une campagne officielle de diffamation qui les accusait de sectarisme antijuif en raison de commentaires ou de critiques à propos d’Israël.

C’est la seconde victoire en justice concernant cette purge motivée politiquement.

En juillet, un tribunal du travail de Bonn avait décidé que Deutsche Welle avait licencié illégalement Maram Salem, une autre journaliste palestinienne du réseau, en s’appuyant sur de fausses accusations d’antisémitisme.

Un troisième cas a été réglé hors tribunal, alors que les autres sont toujours en cours, rapporte le CEAJ.


« Un message clair »

Les licenciements ont suivi la publication d’un rapport commandité par Deutsche Welle en vue d’examiner des allégations d’antisémitisme au sein même du réseau.

Rédigé par Ahmad Mansour, un psychologue palestino-allemand aux liens étroits avec le lobby israélien, et par Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, une ancienne ministre allemande de la justice, le rapport accusait les journalistes de sectarisme antijuif en raison de commentaires et d’opinions critiques envers Israël.

Les opinions antimusulmanes, anti-arabes et pro-israéliennes de Mansour en ont fait une coqueluche dans le monde allemand des médias et des institutions financées par l’État, et il leur offre de la couverture pour leurs propres perspectives racistes.

« C’est un soulagement que le juge ait tranché en faveur de Farah et tenu Deutsche Welle responsable de ce licenciement illégal »,

a déclaré Giovanni Fassina, le directeur du CEAJ.

« Nous espérons que cela adressera un message clair, lequel devrait mettre un terme à leurs pratiques de censure. »

Fassina a ajouté que le cas illustrait la façon dont l’institutionnalisation de la prétendue définition de l’antisémitisme par l’IHRA – sur laquelle s’appuyait le rapport –

« peut mener à de très graves atteintes à la liberté d’expression et à celle de la presse ».

Promue par Israël et son lobby, la définition de l’IHRA confond critique d’Israël, d’une part, et sectarisme antijuif, d’autre part.

Elle est devenue l’arme clé du lobby pro-israélien en Amérique du Nord et en Europe quand il s’agit d’appliquer la censure à propos des crimes d’Israël contre les Palestiniens.

« Code de conduite »

Malgré ses défaites devant les tribunaux, très peu de signes montrent que Deutsche Welle va renoncer à sa politique antipalestinienne institutionnalisée.

Un nouveau « code de conduite » obligatoire applicable au personnel de Deutsche Welle lui impose de soutenir Israël.

« La liberté, la démocratie et les droits humains sont les pierres angulaires de notre message journalistique et de développement, ainsi que de notre profil »,

dit ce code de conduite.

« Nous prônons les valeurs de la liberté et, où que nous soyons, nous adoptons des positions claires et indépendantes, particulièrement contre toutes les sortes de discrimination, dont le sexisme, le racisme et l’antisémitisme. En raison de l’histoire de l’Allemagne, nous avons une obligation spéciale envers Israël. »

« La responsabilité historique de l’Allemagne à propos de l’Holocauste est également une raison pour laquelle nous soutenons le droit à l’existence d’Israël »,

affirme le document.

Dans ses effets, la prétention d’Israël au « droit à l’existence » en tant qu’État juif sur la terre des Palestiniens est une assertion disant qu’il a le « droit » de nettoyer ethniquement les Palestiniens et de les soumettre à des lois racistes destinées à sauvegarder la suprématie démographique et politique juive.

Le tour de passe-passe verbal de Deutsche Welle équivaut à un soutien obligatoire et inconditionnel au régime israélien d’occupation, d’apartheid et de colonialisme de peuplement – un édifice construit et maintenu en place via une violence et un racisme systémiques – en même temps qu’à l’antiracisme.

On ne peut soutenir « liberté, démocratie et droits humains » d’une part, tout en soutenant également l’idéologie d’État raciste qu’est le sionisme, d’autre part.

Dans l’Allemagne contemporaine, toutefois, l’extermination par le gouvernement allemand de millions de juifs pendant la Seconde Guerre mondiale signifie que les Palestiniens doivent désormais être soumis à l’occupation israélo-sioniste, à ses tueries, à ses déportations forcées et à sa colonisation, et ce, afin d’expier la faute allemande.

C’est une position profondément hypocrite qui non seulement signifie que les Allemands n’ont rien appris des crimes de leurs ancêtres, mais qu’ils sont heureux d’imposer les coûts de ces crimes à ceux que, selon toute évidence, ils considèrent comme moins humains.

La hiérarchie raciste de l’humanité est évidente dans le fait que Deutsche Welle n’exprime pas d’« obligation spéciale », disons, à la Namibie ou à la Tanzanie, sur les territoires desquelles l’Allemagne a perpétré d’horribles génocides des décennies avant de ramener cette même barbarie chez elle, sur le continent européen.

Le code de conduite dit qu’il est un

« ensemble contraignant de règles valables pour tout le personnel de Deutsche Welle »

et il encourage les travailleurs à rapporter confidentiellement les atteintes supposées – une atmosphère où la libre expression et l’exploration journalistique des questions difficiles peuvent difficilement prospérer.

Ceux qui sont découverts en état d’infraction peuvent être soumis à des mesures disciplinaires ou licenciés.

La racisme antipalestinien obligatoire imposé par Deutsche Welle à son personnel signifie que même quand ceux qui ont été indûment licenciés sont réintégrés, ils continueront de travailler dans un environnement qui les déshumanisera précisément en raison de qui ils sont.

Néanmoins, la victoire de Maraqa, comme celle de Salem en juillet, est une date importante dans le combat visant à mettre un terme au racisme et au sectarisme officiellement homologués en Allemagne.

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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse

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Publié le 5 septembre 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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