Les alliés d’Israël accélèrent le génocide en gelant les fonds de l’UNRWA

Plusieurs alliés d’Israël ont suspendu le financement de l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), suite à des allégations israéliennes disant que 12 de ses employés étaient impliqués dans les attaques du 7 octobre dirigées par le Hamas.

 

11 janvier 2024. Un enfant palestinien dans un campement pour personnes déplacées, près d’une école de l’UNRWA, à Deir al-Balah, dans la partie centrale de Gaza.

11 janvier 2024. Un enfant palestinien dans un campement pour personnes déplacées, près d’une école de l’UNRWA, à Deir al-Balah, dans la partie centrale de Gaza. (Photo : Naaman Omar / APA images)

 

Maureen Clare Murphy, 28 janvier 2024 

Il s’avère que ces allégations reposent sur des aveux arrachés à des prisonniers palestiniens, très vraisemblablement sous des conditions de torture. Des spécialistes des droits humains préviennent que suspendre l’aide à l’UNRWA actuellement constitue une violation de la Convention de 1948 sur le génocide.

L’UNRWA est le principal fournisseur d’aide humanitaire et, en effectifs, le deuxième employeur de la bande de Gaza, où deux tiers de la population de 2,3 millions de Palestiniens sont des réfugiés.

Israël empêche les réfugiés palestiniens d’exercer leur droit au retour dans des terres qu’il occupe désormais, parce que, s’il les laissait faire, cela

« altérerait la composition démographique d’Israël au point de l’éliminer en tant qu’État juif »,

avait déclaré dans son rapport de 2017 la Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale.

L’UNRWA affirme que la suspension du financement par certains de ses plus importants donateurs mettrait en danger son travail d’aide à Gaza, où la famine s’installe, du fait qu’Israël utilise en tant qu’armes de guerre les vivres ainsi que d’autres produits de survie essentiels.

Plus de 150 des 13 000 employés de l’UNRWA à Gaza ont été tués depuis le 7 octobre – la plus grosse perte de personnel au cours d’un conflit dans les 78 années de l’histoire des Nations unies.

Des Palestiniens qui cherchaient une protection sous le drapeau de l’ONU ont été tués quand les installations de l’UNRWA ont été frappées à de multiples reprises par Israël. La semaine dernière, plus d’une douzaine de Palestiniens ont perdu la vie après qu’un tir venant d’un char israélien a touché un bâtiment d’un centre de formation de l’UNRWA à Khan Younis, où 30 000 Palestiniens s’étaient réfugiés après avoir été déplacés d’autres régions de Gaza.

Plus de 26 000 Palestiniens ont été tués à Gaza depuis le 7 octobre et des milliers d’autres ont été portés manquants sous les décombres des bâtiments détruits, alors que bien d’autres encore sont morts de faim et de maladie après qu’Israël a imposé un siège total au territoire.

 

Ces derniers jours, des protestataires israéliens ont empêché des camions d’aide de délivrer l’assistance nécessaire via le passage de Kerem Shalom. L’ONU prétend qu’Israël refuse systématiquement l’accès de l’aide humanitaire à des centaines de milliers de Palestiniens dans le nord de Gaza, où les gens sont de plus en plus affamés.

Michael Fakhri, le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à la nourriture, a déclaré que, déjà bien avant la suspension de financement de l’UNRWA, « la famine était imminente » à Gaza. Avec cette « punition collective » à propos des « prétendues actions d’un petit nombre d’employés », a ajouté Fakhri, « la famine est désormais inévitable. »

Philippe Lazzarini, le chef de l’agence en difficulté, a expliqué avoir été choqué par la suspension du financement après que l’UNRWA avait mis un terme au contrat des membres accusés de son personnel. Il a déclaré que

« la plus haute autorité d’enquête du système de l’ONU avait déjà été saisie de cette affaire très grave ».

Lazzarini a encore dit qu’il était

« immensément irresponsable de sanctionner une agence et toute une communauté qu’elle sert à cause d’allégations d’actes criminels contre quelques individus ».

« De nombreuses vies humaines à Gaza dépendent de cette aide et il en va de même pour la stabilité régionale »,

a-t-il ajouté.

 

L’ONU va coopérer aux poursuites

António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a déclaré dimanche que,

« sur les 12 personnes impliquées, neuf ont été immédiatement identifiées et leurs contrats résiliés »

par l’URRWA. La mort d’un des employés de l’UNRWA

« a été confirmée et l’identité des deux derniers va être clarifiée d’ici peu », a-t-il ajouté.

Il a également signalé que l’ONU était toute disposée à coopérer aux poursuites contre les individus accusés.

La décision de suspendre le financement de l’UNRWA affecte virtuellement tous les Palestiniens qui subissent la campagne militaire violente d’Israël à Gaza, dont la Cour internationale de justice a déclaré vendredi qu’il était plausible de la qualifier de génocide.

 

La démarche va également porter préjudice à des millions de réfugiés palestiniens vivant en Cisjordanie, au Liban, en Jordanie et en Syrie, lesquels dépendent de l’agence – chroniquement sous-financée – pour des services semblables à ceux que fournissent normalement les gouvernements.

Les EU, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas et la Finlande ont fait reposer leur décision de suspendre le financement de l’UNRWA sur des informations fournies par l’agence israélienne d’espionnage domestique du Shin Bet ainsi que par les renseignements militaires.

Un haut fonctionnaire israélien resté anonyme a déclaré au journaliste d’Axios, Barak David, lui-même réserviste de l’armée israélienne qui reçoit fréquemment des informations de la part des agences d’espionnage de son pays, qu’une

« grande partie des renseignements résultent des interrogatoires des militants qui ont été arrêtés lors de l’attaque [du 7 octobre] ».

Ceci donne lieu à de graves inquiétudes de voir les pays susmentionnés retenir une aide particulièrement importante pour des millions de Palestiniens et ce, sur base de renseignements qui ont été arrachés sous la torture.

Le ministre d’extrême droite de la sécurité nationale d’Israël, Itamar Ben-Gvir, a admis précédemment que des mesures pouvant correspondre au recours à la torture avaient été appliquées aux membres supposés de l’unité du commando Nukhba des Brigades Qassam, l’aile militaire du Hamas.

Des déclarations faites par la directrice du Service carcéral d’Israël (IPS), Katy Perry (qui a donné sa démission depuis, NdT), et par d’autres responsables suggèrent fortement que les Palestiniens soupçonnés d’affiliation à l’unité Nukhba sont systématiquement torturés.

 

La torture

Le réseau israélien Channel 12 a parlé le mois dernier d’un « rapport classifié et de haute teneur du ministère des Affaires étrangères » qui exposait une procédure en trois étapes via laquelle l’UNRWA pourrait être expulsée de Gaza. La première étape « implique un rapport complet sur la coopération supposée de l’UNRWA » et de son « implication » avec le Hamas, a rapporté The Times of Israel.

Dans cette toute récente attaque contre l’UNRWA, qu’Israël essaie de noircir et de détruire depuis des lustres, Tel-Aviv pourrait à la fois suivre le plan du ministère des Affaires étrangères et opérer selon un scénario familier.

En 2016, suite à des accusations fabriquées de toutes pièces de transfert d’aide internationale vers le Hamas, Israël avait arrêté Mohammed El Halabi, un homme qui travaillait dans l’aide humanitaire au service de l’ONG caritative chrétienne World Vision.

Dans leur jugement classé, exprimé en 2022, un panel de juges israéliens avaient presque entièrement fait reposer leur verdict sur une confession prétendument confiée par El Halabi à un informateur après avoir été tabassé, suppose-t-on, par des interrogateurs israéliens.

Le bureau des droits humains de l’ONU a « continuellement fait état de graves inquiétudes », dans l’affaire El Halabi, quant à « un traitement cruel, dégradant et inhumain qu’on pourrait assimiler à de la torture ».

Le gouvernement australien, qui a fourni environ un quart du budget de World Vision à Gaza entre 2014 et 2016, a commandité un audit externe qui n’a

« trouvé aucune preuve de détournement de fonds et aucune preuve matérielle qu’El Halabi faisait partie du Hamas ou travaillait pour lui ».

Malgré cela, l’Australie a suspendu son financement à World Vision à Gaza, qui, à son tour, a suspendu ses opérations dans le territoire.

World Vision a soutenu El Halabi et a déclaré, à propos de sa condamnation en 2022, que

« l’arrestation, les six années de procès, le verdict injuste et la sentence [de 12 ans] sont emblématiques des actions qui entravent le travail humanitaire à Gaza et en Cisjordanie ».

Israël a criminalisé de la même façon plusieurs éminentes organisations palestiniennes de droits humains et de services sociaux, y compris trois associations engagées dans l’enquête de la Cour pénale internationale (CPI) en Palestine. Israël a qualifié ces organisations de « terroristes » dans un effort en vue de les priver de tout financement de la part de donateurs européens.

L’UNRWA a tenté de sauvegarder ses opérations à Gaza en mettant sommairement fin aux contrats des employés qu’Israël accuse d’implication dans les attaques du 7 octobre.

« Tout employé de l’UNRWA qui a été impliqué dans des actes de terrorisme en sera tenu responsable, y compris par le biais de poursuites pénales »,

a déclaré Lazzarini vendredi – dans un langage dont le secrétaire général de l’ONU s’est fait l’écho dimanche.

L’analyste Mouin Rabbani a déclaré dans une interview accordée au journaliste Owen Jones que « l’ONU avait commis plusieurs faux pas » dans sa réponse aux accusations d’Israël. Il a dit que le fait que l’UNRWA avait mis un terme au contrat de ses employés « pouvait être perçu en quelque sorte comme une validation » des accusations israéliennes et être considéré par les États-Unis et autres comme un « aveu de culpabilité ».

Le fait qu’il s’avère que les accusations israéliennes s’appuient sur des aveux arrachés sous la torture

« devrait soulever des points d’interrogation en attendant la suite de l’enquête »,

a ajouté Rabbani.

Trois éminentes organisations palestiniennes de défense des droits humains – Al-Haq, Al Mezan et le Centre palestinien pour les droits humains (CPDH) – accusent les autorités israéliennes de tortures et autres violences contre les personnes arbitrairement arrêtées à Gaza.

Le Réseau euro-méditerranéen de contrôle des droits humains (REMDH), dont le siège est à Genève, dit lui aussi avoir collecté des témoignages

« concernant la torture systématique et les traitements inhumains infligés aux détenus palestiniens des camps de l’armée israélienne »,

après qu’ils ont été forcés de disparaître de Gaza.


« Une violation directe de la Convention sur le génocide »

Les EU ont annoncé qu’ils suspendaient leur soutien à l’UNRWA immédiatement après que la Cour internationale de justice (CIJ) à La Haye a sorti une décision provisoire très attendue qui ordonne à Israël de mettre un terme à ses actes génocidaires à Gaza.

La Cour internationale a décrété plusieurs mesures provisoires tout en prenant en considération le dossier complet présenté par l’Afrique du Sud, qui accuse Israël de violer le Convention de 1948 sur le génocide.

L’une des six mesures provisoires ordonnées par la cour requiert qu’Israël prenne

« des mesures immédiates et efficaces en vue de faciliter la livraison des services élémentaires et de l’aide humanitaire nécessaires d’urgence ».

 

Selon la Convention sur le génocide, les États ont le devoir d’empêcher les actes de génocide.

En sanctionnant l’UNRWA, les États

« punissent collectivement des millions de Palestiniens au moment le plus critique pour eux »,

a déclaré samedi Francesca Albanese, la rapporteuse spéciale de l’ONU pour la Cisjordanie et la bande de Gaza.

En agissant de la sorte, a ajouté Albanese, ces pays

« enfreignent très probablement leurs obligations vis-à-vis de la Convention sur le génocide ».

 

 

Et d’ajouter que la suspension de financement de l’UNRWA

« défie ouvertement l’ordre de la Cour internationale de justice en vue de permettre à une aide humanitaire réelle ‘d’aborder les conditions de vie néfastes auxquelles sont confrontés les Palestiniens à Gaza’ ».

« Ceci entraînera des responsabilités juridiques – ou la disparition du système juridique international »,

a encore déclaré Albanese.

Francis Boyle, le premier avocat à avoir plaidé avec succès dans une affaire de génocide à la CIJ, a déclaré que les États allaient bien plus loin qu’aider et encourager Israël en coupant les vivres à l’UNRWA.

Boyle a dit au journaliste Sam Husseini que

« ces États, désormais, violent directement d’eux-mêmes l’article 2-c de la Convention sur le génocide ‘en infligeant directement au groupe des conditions de vie calculées pour provoquer sa destruction physique en tout ou en partie’ ».


« Essayer d’éliminer l’UNRWA par la même occasion »

« Israël a toujours détesté l’UNRWA »,

a déclaré l’ancien haut fonctionnaire de l’ONU Craig Mokhiber au cours d’une interview réalisée par la journaliste Katie Halper.

 

« L’UNRWA représente une ligne de vie qui l’empêche de détruire totalement la vie civile à Gaza »,

a expliqué Mokhiber, et c’est « une menace pour le plan ethno-nationaliste d’Israël pour le territoire occupé ».

Et d’ajouter que les survivants du génocide à Gaza

« compteront sur une UNRWA en bon état de fonctionnement. Ce sera la différence entre la vie et la mort aujourd’hui et pour bien des jours et des semaines et des mois à venir ».

 

Comme l’écrivait l’an dernier l’érudit Dalal Yassine pour The Electronic Intifada :

« Depuis des décennies, Israël et ses partisans aux États-Unis ciblent l’UNRWA. »

Benjamin Netanyahou, le Premier ministre d’Israël, a appelé au démantèlement de l’UNRWA parce qu’elle « perpétue le problème des réfugiés palestiniens ».

« L’administration Trump a adopté une rhétorique similaire et a cherché à modifier la définition d’un réfugié palestinien »,

faisait remarquer Yassine.

 

L’administration Biden a renouvelé le financement de l’UNRWA qui avait été coupé par Trump, mais

« a lié le financement à un certain nombre de questions relatives à l’identité et aux droits nationaux du peuple palestinien »,

estime Yassine.

L’éminent auteur et historien palestinien Salman Abu Sitta a expliqué l’an dernier à The Electronic Intifada que les EU et Israël

« essayaient d’éliminer l’UNRWA en même temps que de transférer ses activités à d’autres agences ».

« Cela signifie que les Palestiniens n’auront pas de droit au retour et qu’ils ne pourront chercher de la nourriture et un toit qu’ailleurs, loin de leur patrie »,

a-t-il ajouté.

L’UNRWA s’est vu asséner un potentiel coup de grâce maintenant que 1,3 million de Palestiniens sont concentrés à Rafah le long de la frontière sud de Gaza avec l’Égypte. Le bureau des droits humains de l’ONU a exprimé sa

« grande inquiétude de les voir forcés de sortir de Gaza »

suite à la moindre escalade des hostilités dans cette zone, ce qui pourrait être imminent.

Indiquant une division croissante entre les pays européens sur le plan de la campagne militaire d’Israël à Gaza, deux États au moins ont déclaré leur intention de continuer de financer l’UNRWA.

Au lieu de sanctionner l’UNRWA, le gouvernement de la Norvège a réaffirmé son soutien au peuple palestinien par le biais de l’agence.

« Nous avons besoin d’établir la distinction entre ce que les individus peuvent avoir fait et ce que veut l’UNRWA »,

a déclaré samedi le bureau du représentant de la Norvège auprès de l’Autorité palestinienne.

« Les dizaines de milliers d’employés de l’organisation à Gaza, en Cisjordanie et dans la région jouent un rôle crucial dans la distribution de l’aide, le sauvetage des vies humaines et la préservation des besoins et droits fondamentaux »,

a ajouté le bureau de la Norvège.

De même, le ministre des Affaires étrangères de l’Irlande a déclaré que son pays, qui avait fourni 19,5 millions de dollars d’aide en 2023,

« n’a aucune intention de suspendre son financement du travail vital de l’UNRWA à Gaza ».

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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.

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Publié le 28 janvier 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine


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