Le 7 octobre, le QG israélien a ordonné à ses soldats d’abattre les captifs israéliens

Le 7 octobre, à midi, le commandement suprême de l’armée israélienne a ordonné à toutes ses unités d’empêcher « à tout prix » la capture de citoyens israéliens – même en leur tirant dessus.

 

Novembre 2023. Des véhicules empilés près de Netivot, une ville du sud d’Israël, non loin de Gaza. Ils ont été détruits peu après que des combattants palestiniens se sont mis à prendre des captifs, le 7 octobre. Une nouvelle enquête menée par des journalistes israéliens a conclu que 70 de ces véhicules ont été détruits par des tirs israéliens.

Novembre 2023. Des véhicules empilés près de Netivot, une ville du sud d’Israël, non loin de Gaza. Ils ont été détruits peu après que des combattants palestiniens se sont mis à prendre des captifs, le 7 octobre. Une nouvelle enquête menée par des journalistes israéliens a conclu que 70 de ces véhicules ont été détruits par des tirs israéliens. (Photo : Jim Hollander / UPI

 

Asa Winstanley, 20 janvier 2024

L’armée « a instruit toutes ses unités combattantes de mettre en pratique la directive ‘Hannibal’, bien qu’elle l’ait fait sans citer explicitement ce nom », ont révélé des journalistes israéliens le week-end dernier.

Les révélations sont apparues dans un nouvel article d’investigation rédigé par Ronen Bergman et Yoav Zitun, deux journalistes disposant de sources très étendues au sein de l’armée israélienne et de l’establishment des renseignements.

Ils ont également révélé que « quelque 70 véhicules » conduits par des combattants palestiniens retournant à Gaza avaient été détruits par les canons des hélicoptères de combat, par les drones ou par les chars israéliens.

Un grand nombre de ces véhicules transportaient des captifs israéliens.

Les journalistes ont écrit :

« On ne sait pas exactement, à ce stade, combien des captifs ont été tués suite à l’application de cet ordre  donné aux forces aériennes et disant qu’elles devaient empêcher à tout prix leur retour à Gaza.

« À tout le moins, dans certains cas, tous les occupants du véhicule ont été tués »,

expliquent les journalistes.

L’article en hébreu n’a pas été traduit par le journal qui l’a publié, Yedioth Ahronoth, un journal qui traduit bon nombre de ses articles. Vous pouvez en lire la traduction intégrale en français ci-dessous, tirée de la traduction anglaise de The Electronic Intifada par Dena Shunra.

La très secrète doctrine « Hannibal » tire son nom d’un ancien général carthaginois qui s’était empoisonné plutôt que d’être capturé vivant par l’Empire romain.

L’ordre tend à empêcher les Israéliens d’être faits prisonniers par les combattants de la résistance qui, plus tard, pourraient les utiliser comme atouts dans les échanges de prisonniers.

 

« Surclassée »

Les déclarations les plus récentes confirment ce qu’a écrit The Electronic Intifada depuis le 7 octobre, à savoir qu’un grand nombre – sinon la plupart – des civils israéliens tués ce jour-là l’ont été par Israël même et non par les combattants palestiniens. (NDLR : Les liens réfèrent vers les articles traduits en français par le traducteur de ce site)

Les allégations initiales prétendaient que 1 400 Israéliens avaient été tués par le Hamas lors de l’offensive palestinienne qui avait débuté le 7 octobre. Mais Israël a revu ce chiffre à la baisse à diverses reprises, de sorte qu’on en est aujourd’hui à « plus de 1 000 ».

Il a été clair également dès le début que des centaines de ces tués étaient en fait des soldats israéliens.

Le Hamas prétend que les combattants palestiniens visaient des bases et des avant-postes militaires et que leur but était de capturer – et non de tuer – des civils israéliens, et de tuer ou de capturer des soldats israéliens.

S’appuyant sur des interviews de personnes présentes, le nouvel article dit que, le 7 octobre, des officiers supérieurs du QG secret de l’armée israélienne, à Tel-Aviv, ont déclaré en état de choc que « la Division Gaza avait été surclassée ».

Une personne présente ce jour-là – faisant allusion à de lointains affrontements israéliens telle la contre-attaque surprise menée par l’Égypte et la Syrie en octobre 1973 – a dit aux journalistes :

« Nous pensions que cela ne pourrait plus jamais se produire, et cela restera comme une cicatrice gravée à jamais dans notre chair. »

De même que ce qu’ils présentent comme de l’« héroïsme », l’enquête de Bergman et de Zitun révèle ce qu’ils décrivent comme « une longue série d’échecs, de mésaventures et de situations chaotiques dans l’armée », y compris « une chaîne de commandement qui a presque totalement fait défaut ».

Les combattants de la résistance palestinienne ont ciblé avec succès les infrastructures des communications, écrivent-ils, détruisant 40 pour 100 des sites de communication autour de la frontière de Gaza, dont des tours et des antennes de relais.

Des heures durant, de ce fait, les hauts gradés d’Israël sont restés dans le noir quant à l’ampleur de l’offensive.

Pour compenser cela,

« ils se sont tournés vers la télévision et les réseaux sociaux, en premier lieu vers Telegram, vers les canaux israéliens, mais, avant tout, vers les canaux du Hamas ».

 

Un millier de cibles de drones en Israël

En novembre, The Electronic Intifada commentait des prises de vue sur les forces aériennes israéliennes, de même que des interviews – dans un article israélien – de pilotes d’hélicoptères de combat qui montraient qu’on leur avait ordonné de « tirer sur tout » quand il se déplaçaient entre les colonies frontalières israéliennes et Gaza.

Cet article israélien disait que,

« au cours des quatre premières heures (…), des hélicoptères et des avions de chasse avaient attaqué quelque 300 cibles, la plupart en territoire israélien ».

Le nouvel article de Bergman et Zitun dit qu’à la fin de la journée, la seule escadrille 161 de drones (équipée de drones Hermes 450 d’Elbit)

« avait accompli pas moins de 110 attaques contre un millier de cibles environ, dont la plupart en Israël ».

Le mois dernier, comme l’a rapporté The Electronic Intifada, pour la première fois en anglais, les médias d’information israéliens ont montré des prises de vue d’opérateurs de chars qui, lors des combats du 7 octobre contre la résistance palestinienne, tiraient sur des maisons israéliennes à l’intérieur même des kibboutzim.

The Electronic Intifada a également été le premier site anglophone à révéler, déjà en octobre, le témoignage de Yasmin Porat, l’une des deux survivantes d’une attaque israélienne contre une maison du kibboutz de Be’eri qui hébergeait une douzaine de captifs détenus par des combattants palestiniens.

Porat a déclaré aux médias israéliens que les Palestiniens les avaient traités « avec humanité » mais que l’armée israélienne avait délibérément mis fin à une impasse avec les combattants en faisant délibérément tirer ses chars sur la maison, bien que les captifs y fussent toujours présents.

Plus tard, Yasmin Porat avait calculé que, parmi les victimes de l’attaque israélienne, figurait la captive israélienne de 12 ans, Liel Hatsroni, dont la photo fut plus tard utilisée sous forme de propagande par les officiels israéliens, en prétendant à tort qu’elle avait été brûlée vive par le Hamas – « parce qu’elle était juive », avait menti l’ancien Premier ministre Naftali Bennett.

Le mois dernier, The Electronic Intifada a également consacré un reportage à un colonel des forces aériennes israéliennes qui avait admis que le 7 octobre avait été un événement massivement placé sous le signe de la « directive Hannibal » et que leurs drones avaient fait sauter des maisons israéliennes, le même jour.

Bergman et Zitun expliquent que la directive Hannibal originale avait été établie en secret en 1986 après la capture de deux soldats israéliens au Sud-Liban occupé à l’époque par l’organisation de résistance libanaise du Hezbollah.

Leur nouvel article explique que la directive Hannibal originale commandait aux forces israéliennes de « bloquer à tout prix l’équipe des ravisseurs » et ajoutait que,

« au cours d’une capture, la tâche principale consistait ainsi à délivrer nos soldats de leurs ravisseurs, même au prix de toucher nos hommes, voire de les blesser ».

Deux ans après avoir été révélée par des journalistes lors de la guerre de 2014 contre Gaza, la doctrine avait été prétendument révoquée ou, du moins, « clarifiée ». Mais, dans leur nouvel article, Bergman et Zitun confirment qu’à midi, le 7 octobre, l’armée israélienne avait bel et bien « décidé de réutiliser une version de la directive Hannibal ».

Ils écrivent que

« les instructions disaient de bloquer ‘à tout prix’ toute tentative par les terroristes du Hamas de retourner à Gaza, utilisant un langage très similaire à celui de la directive Hannibal originale, malgré les promesses répétées de l’appareil de défense disant que la directive avait été supprimée ».

Le nouvel article explique que le QG avait ordonné à toutes les unités d’appliquer la directive Hannibal peu après que les premières vidéos des captifs israéliens avaient fait leur apparition.


« Tirez à volonté »

Depuis le 7 octobre, il y a eu régulièrement de plus en plus de preuves suggérant qu’Israël pourrait avoir été responsable ce jour-là de grands nombres de victimes civiles israéliennes – et même, vraisemblablement, de la majorité d’entre elles, étant donné les toutes dernières révélations.

Cette évidence a été soigneusement ignorée par les médias traditionnels occidentaux.

Elle a cependant été rapportée en anglais par des médias indépendants, dont The Electronic Intifada, The Grayzone, The Cradle et Mondoweiss.

Les deux premières de ces publications constituent même l’objet d’un article de choc prévu par The Washington Post, précisément en raison de leur traitement factuel des événements du 7 octobre.

Le mois dernier, l’armée israélienne a admis qu’un « nombre très important et complexe » de ce qu’elle a appelé des incidents impliquant des « tirs amis » s’étaient produits le 7 octobre.

Par conséquent, tout indiquait avant la parution de ce nouvel article qu’Israël avait secrètement réactivé la directive Hannibal – comme la chose a été rapportée par The Electronic Intifada depuis le 7 octobre.

Mais, avec le nouvel article de Bergman et Zitun, c’est la première fois qu’il est confirmé que les ordres d’agir de la sorte sont venus du sommet même de la hiérarchie militaire israélienne.

Néanmoins, il semble que, même avant midi, le matin de la réaction israélienne, brutale et indiscriminée, à l’offensive militaire palestinienne, des officiers locaux aient pris les choses en main et décidé de réactiver eux-mêmes Hannibal.

Vers 8 heures du matin, l’escadrille de drones 161 décidait

« que cela ne servait à rien d’attendre les ordres du haut commandement des forces aériennes ou de la Division Gaza ».

Le quartier général de la division, établi à la colonie de Re’im, subissait à ce moment une violente attaque des combattants palestiniens. L’escadrille parvenait néanmoins à l’atteindre et à lui demander

« que toutes les procédures, les ordres et les réglementations soient jetés à la poubelle »,

racontent Bergman et Zitun.

La réponse du commandement de la division avait été la suivante :

« Vous avez l’autorité pour tirer à volonté. »

Agissant sous les ordres de jeunes officiers du centre de commandement mobile de ce qu’on appelle la « Fire Canopy » (auvent de tir), les pilotes des hélicoptères de combat avaient été informés :

« Vous avez l’autorisation [d’ouvrir le feu] jusqu’à nouvel ordre – et dans toute la zone. »

L’article révèle aussi le fait que des douzaines de membres de l’agence de la police secrète israélienne (chargée de la torture et des assassinats), le Shin Bet, ont participé aux combats du 7 octobre.

Le directeur Ronen Bar a ordonné personnellement « à toute personne pouvant porter une arme » de se mobiliser, en disant que

« tous les employés ayant été entraînés au combat et en possession d’armes devraient se rendre vers le sud et apporter leur aide dans les combats ».

Selon l’article, 10 agents du Shin ont été tués ce jour-là.

Si c’est exact, il est plausible que 10 autres des civils présentés comme des victimes israéliennes aient été des agents armés du Shin Bet.

La banque de données des pertes en vies humaines tenue à jour par le journal israélien Haaretz à partir de l’article donne encore les noms de trois de ces agents du Shin Bet : Yossi Tahar, Smadar Mor Idan et Omer Gvera.

Idan est défini comme un « civil » alors que Tahar et Gvera sont uniquement renseignés comme membres des « services d’urgence ». Tous trois sont également caractérisés comme « victimes du 7 octobre ».

L’article de Bergman et Zitun semble déclencher des vagues au sein de la société israélienne, où les familles des captifs israéliens restants, détenus à Gaza, tentent d’exercer des pressions sur le gouvernement afin qu’il accepte un accord d’échange de prisonniers avec le Hamas.

Bergman est un journaliste israélien particulièrement en vue. En dehors de Yedioth Ahronoth, il écrit aussi pour The New York Times Magazine et il est l’auteur de plusieurs ouvrages sympathiques sur les agences d’espionnage israéliennes, dont Rise and Kill First (Lève-toi et tue d’abord).

S’adressant au podcast de Haaretz cette semaine, Asa Kasher, l’auteur du « code d’éthique » de l’armée israélienne, s’est joint au chœur des personnes réclamant une enquête sur le recours à la doctrine Hannibal le 7 octobre et peu de temps après.

« Kasher s’est dit farouchement d’accord avec les familles en disant qu’une enquête était nécessaire dans l’immédiat »,

a écrit Haaretz, et que cela ne devrait pas attendre la fin de la guerre à Gaza.

N’empêche que Kasher n’a strictement rien d’une voix éthique. « Tuer 40 civils » d’un seul coup à Gaza est « raisonnable », avait-il dit à The Electronic Intifada en 2014.

 

Traduction intégrale de l’article

Le temps noir

Par : Ronen Bergman et Yoav Zitun

Publié par le supplément du week-end 7 Days du quotidien israélien Yedioth Ahronoth du 12 janvier 2024.

Traduction en anglais par Dena Shunra pour The Electronic Intifada, en se basant sur l’édition imprimée.
Et de l’anglais vers le français par Jean-Marie Flémal.

Le matin du 7 octobre furent écrits quelques-uns des plus impressionnants récits d’héroïsme et de don de sa personne de l’histoire du pays, mais ce fut également l’occasion d’une longue série de ratages, de mésaventures et de situations chaotiques dans l’armée. Cette investigation effectuée pour 7 Days retrace les premières heures du Sabbat (samedi) noir et révèle ce qui suit : le bunker de commandement enterré en dessous du Kirya [base militaire urbaine située à Tel-Aviv, NdT] était complètement aveugle et il lui avait fallu obtenir ses mises à jour depuis les canaux de Hamas Telegram. Le Commandement du Sud avait publié des ordres absolument obsolètes et dénués de la moindre pertinence. Les FDI décidèrent donc d’appliquer une directive semblable à la directive Hannibal, par le biais de laquelle elles tirèrent également sur des véhicules qui pouvaient transporter des captifs. Les soldats du commando débarquèrent sur le terrain sans marques sur leurs armes et sans gilets pare-balles. Et ce n’est que le début. Le porte-parole des FDI déclare : « Les FDI vont mener une enquête détaillée en profondeur. »

* * *

La nuit du 7 octobre, alors que le Hamas s’affairait déjà à ses préparatifs de dernière minute de l’attaque prévue pour la matinée, d’importants responsables de l’Agence de la sécurité d’Israël (le Shin Bet) et des FDI échangeaient quelques appels de conférence. La raison principale de ces appels était que peu de temps après minuit, la communauté israélienne des renseignements avait commencé à recueillir diverses indications intéressantes. Ces indications en suivaient quelques autres, venues un peu plus tôt, au cours des journées et des semaines précédentes.

Le problème avec ces indications était qu’aucune d’elles ne constituait une alerte de guerre manifeste : elles pouvaient signifier une mise sur pied de guerre, mais aussi un entraînement de stimulation à une mise sur pied de guerre. Certains de ces signaux avaient déjà été reçus dans le passé et avaient naturellement débouché sur des manœuvres d’entraînement.

Mais l’accumulation de toutes ces indications mises ensemble suscita un certain degré d’inquiétude dans les échelons supérieurs de l’appareil sécuritaire, de sorte que les chefs de l’armée et du Shin Bet s’adressèrent mutuellement des appels afin de se consulter. Le chef du Shin Bet, Ronen Bar, se rendit en personne au quartier général et le commandant du Commandement du Sud abandonna une escapade de week-end pour se rendre dans le sud. Vers trois ou quatre heures du matin, Bar instruisit le Tequila Squad (l’équipe Tequila), une force d’intervention spéciale du Shin Bet et l’unité Yamam (contreterroriste) de se rendre dans le sud. C’était là une démarche hautement exceptionnelle, prévue pour un scénario d’infiltration par plusieurs équipes individuelles de terroristes via un ou deux points de rupture, dans le but d’assassiner ou de capturer des civils et des militaires.

Mais, en dépit des inquiétudes, un haut responsable des renseignements détermina à 3 h 10 du matin que « nous croyons toujours que Sinwar ne pivote pas vers une escalade », en d’autres termes, il s’agit apparemment d’un autre entraînement du Hamas.

Ces signaux provoquèrent également des inquiétudes chez le commandant de la Division Gaza, l’unité militaire en charge de la protection de la ligne de front à la frontière entre Israël et la bande de Gaza. Le général de brigade Avi Rosenfeld était le commandant de la division en charge ce week-end. Il décida d’alerter ses supérieurs, dont les commandants des deux brigades régionales – nord et sud – et le bureau des renseignements de la division, son officier du génie militaire et d’autres encore. Quand ils arrivèrent à leur centre de commandement à la base de Re’im, ils se mirent à prendre certaines mesures destinées à élever le niveau d’alerte à la frontière.

Selon certains des hauts responsables du Commandement Sud, le commandant de la division et ses officiers prévoyaient de prendre des mesures supplémentaires en vue d’accroître la vigilance dans les bases et avant-postes de la division le long de la frontière et à proximité des colonies qu’ils étaient censés protéger mais, en raison des informations qui avaient initialement suscité des inquiétudes, des responsables du quartier général du commandement des FDI leur avaient demandé de ne pas prendre des mesures « bruyantes ». Par ailleurs, d’autres responsables de l’appareil sécuritaire disent que le commandement de la division aurait pu prendre de nombreuses mesures qui n’auraient pas été repérées dans l’autre camp.

À une très grande profondeur sous le bâtiment du Kirya à Tel-Aviv, se trouve un lieu officiellement appelé Mizpeh (Position du Commandement suprême des FDI), mais que tout le monde, en fait, se contente de surnommer « la Fosse ». C’est là que parvinrent les premières mises à jour sur les indications. Par conséquent, le chef de l’Arène sud au département des Opérations fut convoqué d’urgence à la Fosse, de façon qu’un officier supérieur puisse être présent avec l’autorité de donner des ordres significatifs. Vers 4 h du matin, cet officier instruisit les forces aériennes d’obtenir un « Zik » de plus [un drone Hermes 450 d’Elbit], c’est-à-dire un engin volant sans équipage (UAV), prêt à décoller. Mais il s’agissait d’un Zik non armé, utilisé uniquement à des fins de reconnaissance, et cette démarche ne souleva elle non plus d’autre inquiétude qu’au sujet d’une intrusion localisée.

Mais les signaux inquiétants ne cessèrent de s’accumuler et, finalement, quelques minutes avant 6 h 30 du matin, lors d’une conversation entre le Shin Bet et les FDI, fut prise la décision d’appeler le téléphone codé du secrétaire militaire du Premier ministre, le major général Avi Gil, pour l’informer des développements et lui proposer d’éveiller le Premier ministre. Gil dit à l’officier des renseignements qui l’avait contacté qu’il allait appeler Netanyahou sur-le-champ mais, alors qu’ils étaient toujours en train de parler, les sirènes d’alerte commencèrent à se faire entendre dans tout Israël. L’horloge de la Fosse indiquait 6 h 26 du matin et l’officier supérieur des renseignements comprit immédiatement qu’étant donné l’heure et l’ampleur de l’attaque, il s’agissait d’un événement d’un ordre de magnitude différent, et plus agressif également, puisque le Hamas savait que le fait de tirer des milliers de missiles et de roquettes allait déboucher sur une riposte israélienne. Aucun d’entre eux ne se doutait à quel point cette attaque allait être différente et agressive.

Le Premier ministre Netanyahou fut informé des événements pendant que les sirènes hurlaient et il fut décidé qu’il se rendrait immédiatement au Kirya. À la Fosse, les heures qui suivirent, les plus critiques, furent très confuses, enveloppées dans le brouillard de la guerre et du manque d’informations.

« Un survol de la situation est l’élément le plus important d’un cabinet de guerre comme la Fosse »,

déclarait un responsable qui avait passé des années avec des produits en provenance du bunker de commandement des FDI.

« La Fosse même fonctionnait et elle donna l’ordre presque immédiat à de nombreuses forces de se mettre en route mais, quand vous ne savez pas exactement où les envoyer, ni avec quel équipement, ni qui est l’ennemi, ni où il se trouve, ni quelle est l’importance de l’ennemi sur lequel vous allez tomber en face de vous, vous êtes condamné à payer le prix fort pour votre aveuglement. »

Et, en effet, personne à la Fosse se savait grand-chose, en réalité. Ainsi, il y eut un choc quasi total, à la même Fosse, quand un officier supérieur prononça quelques mots, d’un genre qu’on n’avait plus entendu depuis la guerre de « Yom Kippur » [en octobre 1973] :

« La Division Gaza a été surclassée. »

Le silence tomba dans la salle remplie de technologie et d’écrans géants étincelants.

« Ces mots me donnent toujours des frissons »,

dit une personne qui les avait déjà entendus quelque part.

« C’est inimaginable. C’est comme la Vieille Ville de Jérusalem lors de la guerre d’Indépendance ou aux avant-postes le long du canal de Suez lors de la guerre du Yom Kippur. Nous pensions que cela ne pourrait plus jamais se produire, et cela restera comme une cicatrice gravée à jamais dans notre chair. »

 

* * *

Au cours de ces heures, dans les chambres de sécurité incendiées de Nir Oz et de Be’eri, dans les abris extérieurs de la party, à Re’im, dans les maisons fermées à clef de Sderot et d’Ofakim, sur la route 232 souillée de sang et, en fait, à travers le pays, une question faisait écho partout : Où sont les FDI ?

Et c’est la question qui se trouve au cœur de cette enquête : Où étaient les Forces de défense israéliennes, lors des premières heures du matin du 7 octobre ?

Au cours des tout derniers mois, nous avons parlé avec des douzaines d’officiers et de commandants, dont certains occupent des positions très importantes au sein des FDI. Nous avons essayé d’utiliser leurs récits et leurs documents de sécurité interne pour esquisser ce qui s’était réellement passé lors des premières heures de ce matin, afin de définir une chronologie des heures qui avaient changé le pays pour toujours.

Nous allons le dire là, tout de suite : Lors de ce Sabbat noir, il y a eu des tas d’initiatives, beaucoup de courage, beaucoup de sacrifice de soi. Des civils, des soldats et des officiers, des policiers et des gens du Shin Bet se sont lancés dans les arènes de combat de leur propre initiative ; ils se sont procuré des armes, ont reçu des informations partiales, se sont engagés dans des opérations de combat complexes et parfois ont sacrifié leur vie. Ils ont écrit certains des chapitres les plus beaux et les plus héroïques de l’histoire d’Israël. Mais l’enquête de 7 Days dévoile le fait qu’en même temps, au cours des mêmes heures, certains des chapitres les plus durs, les plus embarrassants et les plus exaspérants de l’histoire de l’armée ont également été écrits. Ceci inclut une chaine de commandement qui a échoué presque entièrement et a été totalement aveuglé ; des ordres d’ouvrir le feu sur des véhicules terroristes fonçant vers Gaza même si on s’inquiétait qu’ils aient pu contenir des captifs – un genre de version rénovée de la directive Hannibal ; des combattants qui, en raison du manque de communications, devaient orienter le soutien aérien à l’aide de leurs téléphones cellulaires ; des magasins de stocks de guerre qui ont envoyé des combattants dans la bataille avec des armes dépourvues de viseurs et sans gilets pare-balles ; des ordres obsolètes et inappropriés qui avaient été copiés-collés avant d’être expédiés sur le champ de bataille ; des avions de combat parcourant les airs dans les moments critiques de l’attaque et ce, sans la moindre orientation ; des officiers en arrivant à la conclusion qu’il n’y avait pas d’alternative autre que d’obtenir des hélicoptères de manière détournée afin de transporter les hommes d’un endroit à l’autre ; et même des opérateurs d’appareils sans équipage qui ont dû rallier les groupes WattsApp du kibboutz afin de permettre aux civils assiégés de les aider à mettre au point une liste de cibles. Et tout était si dingue, chaotique, improvisé et incohérent qu’il vous faut le lire pour croire que c’est ce qui s’est passé en réalité. Et, non, nous n’avons pas besoin d’attendre une commission d’enquête qui sera certainement mise sur pied et traitera à coup sûr de tout ce que nous avons présenté ici : certaines choses, çà et là, vont devoir être corrigées.

Voilà à quoi les choses ont ressemblé, d’heure en heure, en ce matin terrible :

6 h 26

Tirs massifs de missiles et de roquettes. L’attaque du Hamas s’enclenche.

6 h 30

En dehors du Dôme de fer, qui a été activé immédiatement, la première réponse militaire des FDI a été de mobiliser deux avions F-16I (Soufa) de l’escadrille de combat 107 à la base aérienne de Hatzerim, qui était en alerte d’interception ce samedi. Très peu de doléances, en fait, ont été entendues à propos de la réponse clairsemée et confuse des forces aériennes le matin du Sabbat noir. Certaines plaintes sont appropriées : L’enquête de 7 Days estime que même la force qui est considérée comme la plus disciplinée et la mieux organisée des FDI a eu beaucoup de mal à comprendre la magnitude de l’événement ; et la réponse qu’elle a apportée, du moins dans les quelques premières heures, a été partielle et clairsemée.

En chemin, les pilotes et les navigateurs des F-16I Soufa ont aperçu les traînées de condensation des nombreuses roquettes en route vers Israël mais, selon les ordres, le rôle des premiers intercepteurs prenant l’air est de protéger les avoirs militaires stratégiques et les avoirs civils. Dans les toutes premières heures, il n’y eut personne pour modifier cet ordre et diriger les avions sur les régions attaquées là où ils étaient réellement nécessaires et, à 20 000 pieds d’altitude (6 000 mètres), il est presque impossible d’identifier des cibles sans assistance au sol. Il s’est donc passé que, pendant 45 minutes critiques environ, des avions de chasse armés ont tourné en rond dans le ciel sans entreprendre la moindre action. Ce n’est que vers huit heures, quand les pilotes ont atterri et ont reçu les rapports émanant du sol qu’ils ont appris ce qui s’était passé à quelques kilomètres à peine d’où ils étaient. Leur frustration et leur colère étaient immenses.

« S’ils avaient su, ils auraient au moins pu voler à faible altitude afin d’effrayer les terroristes du Hamas en volant bruyamment au-dessus de leurs têtes »,

déclara un officier supérieur d’une des escadrilles. « Mais ils ne savaient tout simplement pas ce qui se passait. » Quoi qu’il en soit, ces pilotes décollèrent à nouveau, en même temps que leurs collègues, surtout dans l’intention de s’en prendre à des cibles à Gaza.

Quelques minutes après le décollage des F-16, deux avions furtifs F-35 de l’escadrille 140 (modèle Adir) décollaient à leur tour de la base de Nevatim qui avait reçu un appel elle aussi. Leurs pilotes ne savaient pas non plus ce qui se passait au sol, malgré le fait que, dans leur cas, ils s’arrangèrent pour voler à une plus basse altitude et qu’ils parvinrent à identifier des feux dans la région de l’Enveloppe de Gaza. En réponse, les pilotes agirent conformément à un plan d’urgence prévoyant d’attaquer des cibles à Gaza. Il n’y eut personne pour leur dire que ces attaques furent inefficaces, cette fois, et qu’elles devaient être menées en des endroits totalement différents.

6 h 37

Deux drones Zik armés furent détachés de l’escadrille 161 à la base de Palmachim, qui était en alerte ce samedi. C’était en réponse directe aux sirènes du « Code Rouge » quelques minutes après qu’elles avaient retenti. Dans les heures qui suivirent, les opérateurs des Zik durent improviser et opérer indépendamment. Ni eux ni le commandement central des forces aériennes ne furent en mesure de comprendre l’ensemble de la situation. D’une façon ou d’une autre, comme cela fut souvent le cas ce samedi, les officiers au sol prirent des mesures d’eux-mêmes et l’escadrille n’attendit pas un ordre proprement dit, mais ordonna elle-même à trois Zik de plus de prendre l’air et d’aller au combat.

6 h 50

Un peu avant 7 h du matin, la première paire d’hélicoptères Apache fut également envoyée vers l’Enveloppe de Gaza. Les deux hélicos de combat Apache font partie de l’escadrille de vol 190, dont la base attitrée est Ramon, à 20 minutes de vol de la bande de Gaza. Toutefois, en raison des coupures budgétaires des précédentes années, ce samedi, les hélicoptères se trouvaient à la base de Ramat David au nord, à proximité du Liban, à une distance de vol qui les laissa pendant de nombreuses minutes sans couverture aérienne dans la région de l’Enveloppe de Gaza.

Ces dernières années, les forces aériennes ont réduit leur inventaire d’hélicoptères de combat, conformément à la théorie qui dit que, contre l’Iran, Israël aurait besoin de plus d’avions furtifs et de moins de ces « chars volants ». Le 7 octobre est censé modifier cette façon de voir aussi.

7 h 00

Vers 6 h 45 du matin, la première conversation fut échangée entre la Fosse et un officier des opérations du commandement du sud, et c’est ainsi que l’état-major général fut d’abord informé qu’il ne s’agissait pas seulement de tirs de roquettes, mais qu’il y avait également des brèches dans la clôture, et que certaines des infrastructures d’observation avaient été endommagées. Ce fut l’une des raisons pour lesquelles la Fosse fut laissée de fait dans sa cécité : les trois ballons d’observation, qui étaient censés fournir des points d’observation vers le sud, le centre et le nord de la bande de Gaza, étaient tombés au cours des jours qui avaient précédé l’attaque. Le Hamas avait également ciblé directement les caméras et autres structures d’observation, en utilisant entre autres des « drones suicides ».

Mais il n’y eut pas que les infrastructures d’information à être affectées. Une enquête préliminaire réalisée ces quelques derniers jours sur la capacité de communication de la Division Gaza a révélé le fait que 40 pour 100 environ des sites de communication, telles les tours avec des antennes de relais que le département des Télécommunications avait installées ces dernières années près de la frontière avec la bande de Gaza, avaient été détruits par le Hamas le matin de l’invasion. Par conséquent, la force Nukhba [du Hamas] [Note du rédacteur en chef : « nukhba » est le mot arabe pour « élite »] ne fit pas qu’endommager directement les systèmes de tours Raphael « voir et tirer » et les infrastructures d’observation le long de la clôture, mais elle tenta également de saboter les capacités de base de la communication radio. Les terroristes placèrent aussi des engins explosifs près des bases des tours, à la partie inférieure des antennes, des endroits qui, apparemment, n’étaient pas protégés contre ce genre d’attaque. Ces explosions connurent un succès partiel : certaines des tours s’écroulèrent, d’autres s’inclinèrent uniquement sans toutefois s’écrouler.

Dans la Fosse, au Kirya, il y eut des tentatives en vue d’obtenir des rapports de la cellule de crise de la Division Gaza mais, comme on l’a déjà mentionné plus haut, cette salle de crise était presque entièrement aveugle et, de plus, juste avant 7 h du matin, une violente attaque avait été lancée contre Re’im par des terroristes qui avaient pénétré dans la base de commandement de la division. La salle de crise de la division disposait d’effectifs et était opérationnelle, mais il lui sembla très malaisé de réaliser ses buts premiers : recevoir des informations sur la situation du moment sur le terrain, mobiliser des forces en fonction de cette situation et informer le commandement du sud et la Fosse au Kirya à propos des développements nouveaux.

Il en résulta que, peu de temps après le début de l’attaque, la Fosse sous le Kirya mit en opération quelques ordres permanents préliminaires dans l’éventualité d’une infiltration à laquelle on pouvait s’attendre depuis Gaza. Ces procédures reflétaient toujours l’idée que l’attaque se produisait dans un seul endroit, ou dans un nombre restreint d’endroits, et qu’elle était d’une ampleur limitée. Un officier de l’armée qui était présent au bunker de commandement à Tel-Aviv durant ces heures raconte qu’il avait été entendu à la Fosse qu’il se déroulait un événement bien plus significatif qu’une infiltration locale mais qu’en raison de la cécité sur le terrain, ils s’adressèrent aux flux de la télévision et des médias sociaux, prioritairement à Telegram, aux canaux israéliens, mais prioritairement aux canaux du Hamas, qui comprenaient des textes, des photos et des vidéos des événements. De là, ils en vinrent à comprendre que l’incident prenait de l’ampleur, mais ils éprouvaient toujours des difficultés à constituer une image générale de tout ce qui se passait. Ce moment, pendant lequel la Fosse, c’est-à-dire le saint des saints de la sécurité israélienne, resta désemparée et dut se résoudre à surfer sur les flux Telegram du Hamas afin de comprendre ce qui se passait à l’intérieur de l’État d’Israël, est un moment qui n’est pas près d’être oublié.

On peut se rendre compte à quel point le gâchis fut complet, par exemple, à partir des expériences des combattants de Duvdevan durant ces heures. Ce week-end-là, Duvdevan était en fait en alerte pour une situation de prise d’otages, mais l’unité était occupée très loin, dans la région de Judée et Samarie [la Cisjordanie]. Vers 7 h du matin, le commandant de Duvdevan, le lieutenant-colonel D., reçut un coup de téléphone. L’appel n’avait rien d’un appel officiel, mais c’était plutôt un appel d’un ami, un officier du Commandement du Sud, qui lui raconta avec une certaine angoisse ce qui se passait dans son secteur. D. ne perdit pas de temps et appela sa compagnie depuis la région de Judée et Samarie et l’instruisit de s’armer, de monter à bord des véhicules de l’unité et de se hâter vers la région de l’Enveloppe de Gaza. Aucune information nouvelle n’arriva pour leur dire qu’ils étaient sur le point d’être pris en embuscade aux intersections routières, tout simplement parce qu’il n’y avait personne pour fournir ce type d’information. Mais, par pure chance, D. identifia un véhicule Savannah d’un type non blindé appartenant à l’unité Tequila et qui avait été truffé de balles un peu plus tôt et il fit arrêter le convoi. Il ordonna à ses hommes de quitter tous les véhicules normaux, de converger vers les jeeps blindées, il fit contourner l’intersection et entra dans la bataille à Kfar Azza.

Ils ne s’en allèrent pas avant que 60 heures ne se soient écoulées et ni avant d’avoir tué des douzaines de terroristes. Incidemment, le commandant d’une autre compagnie Duvdevan, qui tentait de trouver un moyen d’emmener ses hommes dans la région de l’Enveloppe de Gaza et qui n’obtenait aucune réponse du commandement, appela tout simplement un de ses grands amis au sein des forces aériennes et il finit par dégoter un hélicoptère qui allait transporter ses hommes pour combattre à Nir Yitzchak.

7 h 14

La Division Gaza parvint à transmettre une requête à l’escadrille des Ziq : attaquer le carrefour d’Erez. Les opérateurs des drones découvrirent des images incroyables sur leurs écrans : le carrefour était devenu une autoroute parcourue en tous sens par des terroristes. Les opérateurs nous expliquèrent que, durant les deux premières heures au moins, ils avaient l’impression d’avoir perdu tout contrôle et, dans bien des cas, ils prirent indépendamment la décision d’attaquer. À la fin de cette journée maudite, l’escadrille n’effectua pas moins de 110 attaques contre un millier de cibles environ, dont la plupart se trouvaient en Israël.

Dans ce gâchis total, on demanda aux opérateurs d’être en alerte accrue : 7 Days a été informé d’au moins un exemple critique où un officier combattant près du kibboutz de Nir Am identifia cinq terroristes en route depuis un bosquet d’arbres et qui prenaient la direction de Sderot. L’officier parvint à contacter les opérateurs de drones et les orienta vers le petit groupe. L’opérateur de drone avait déjà bloqué son viseur sur la cible mais, avec son portable à Palmachim, il découvrit qu’il ne s’agissait pas de terroristes déguisés mais plutôt cinq soldats des FDI qui contrôlaient les lieux. Dans l’infime espace entre un doigt et un bouton, ils venaient d’éviter une mort certaine.

7 h 30

Les deux hélicoptères Apache qui avaient décollé de Ramat David arrivèrent dans la région de Be’eri et, dans leur rapport adressé à l’escadrille, parlèrent d’un gâchis et d’épais champignons de fumée. Le commandant de l’escadrille 190, le lieutenant-colonel A., décida d’appeler son commandant en second et ordonna à tous les pilotes de quitter leur domicile et de venir tout de suite, même avant d’en avoir reçu l’ordre du quartier général des opérations de la Force aérienne. Les deux hélicoptères Apache sur Be’eri se mirent à ouvrir le feu pour isoler les extérieurs du kibboutz afin d’empêcher l’arrivée de terroristes supplémentaires.

En attendant, la bataille pour la base de Re’im, où est situé le quartier général de la Division Gaza, se poursuivait avec la plus grande intensité et des douzaines de terroristes attaquaient le site. Le commandant de la Division, le brigadier général Avi Rosenfeld, parvint à entrer dans le cabinet de crise fortifié avec un grand nombre de ses soldats et, de là, il tenta de diriger à la fois les combats de la division et la bataille pour la base, les deux en même temps. Selon le témoignage d’une femme officier, Rosenfeld lui-même désirait quitter le cabinet de crise et attaquer. Mais, à l’extérieur, les équipes de tir avancées des Nukhba étaient partout. Ce n’est qu’à 13 h 00 que les combattants de l’Unité 5101 « Shaldag » et d’autres unités allaient parvenir à réoccuper la base, avec l’aide d’un hélicoptère de combat.

Tout cela rendait très malaisé ce que les FDI appellent un « commandement et contrôle ». Si le quartier général de la Division est aveuglé et sous attaque, le quartier général du Commandement du Sud ne reçoit pas suffisamment d’informations, et le bunker de commandement au Kirya non plus. Il en résulta que les commandants qui avaient déjà appris par les médias ou par des amis qu’il se passait quelque chose et qui s’étaient déjà hâtés à gagner l’Enveloppe de Gaza, ne reçurent pas de réponse de leurs supérieurs.

« Je suis venu avec mon véhicule privé à la jonction Yad Mordechai après avoir vu dans les infos à la maison la vidéo des terroristes de Nukhba sur un pick-up à Sderot »,

raconte un commandant de brigade en service régulier.

« Durant tout le trajet, j’ai tenté d’entrer en contact avec mes amis à la Division Gaza et au Commandement du Sud afin de comprendre où il vaudrait mieux que j’aille d’abord et afin qu’ils me disent ce qui se passait sur le terrain et où je devais envoyer mes soldats. Quand ils ont finalement décroché, j’ai surtout entendu hurler, à l’autre bout du fil et, quand j’ai demandé quelque chose d’aussi élémentaire qu’une description de la situation du moment, la Division Gaza m’a répondu : ‘Nous n’avons pas de description de la situation actuelle. Trouvez un point local de combat et vous nous direz quelle est la situation.’ Et me voilà, venant de chez moi, ma brigade est dispersée dans un tas d’autres secteurs, ou bien elle se livre à des exercices dans le nord et, comme bien d’autres, je puis déjà voir des terroristes au carrefour d’Erez, et je suis certain que l’incident a lieu exactement là où je me trouve. »

Quoi qu’il en soit, ce sentiment éprouvé par chaque commandant que les combats les plus intenses avaient lieu précisément à l’endroit où il se trouvait, sans savoir qu’à quelques kilomètres de là, son collègue livrait un combat, ce sentiment était partagé par de nombreux officiers avec lesquels nous nous sommes entretenus. Nul d’entre eux ne savait qu’en fait, durant ces heures, il y avait quelque 80 endroits où l’on se battait.

7 h 43

Selon un officier du Commandement du Sud, ce ne fut que vers 7 h 30 seulement, plus d’une heure après le début de l’attaque, que le commandant de la Division Gaza, le brigadier général Avi Rosenfeld, appela la Fosse à Tel-Aviv et rapporta que la base de la division à Re’im et toute la région subissaient une lourde attaque. Il ajouta qu’il ne pouvait pas encore décrire ni l’ampleur ni les détails de l’attaque et il demanda au commandant qu’il appelait de lui envoyer tous les effectifs disponibles des FDI.

À 7 h 43, le commandement à Tel-Aviv sortit l’ordre Pleshet ; le premier ordre de déploiement des forces, selon lequel toutes les forces d’urgence et toutes les unités à proximité de la région de la frontière de Gaza devaient immédiatement faire route vers le sud. [Note de la traductrice de l’hébreu vers l’anglais : Pleshet – פלשת – est un jeu de mots. C’est le nom biblique de la Palestine, et il se sert du radical du verbe pour définir l’invasion : פ.ל.ש.]. Toutefois, l’ordre ne mentionnait pas ce qui n’était pas clair du tout, ni au Commandement du Sud, ni à la Fosse à Tel-Aviv, qu’il s’agissait d’une large invasion dont le but était d’occuper des parties du sud du pays et comprenait la reprise de jonctions pour des embuscades et pour neutraliser la venue de renforts. Il en résulta qu’une part importante des forces qui sortirent la tête ne savaient pas qu’il y avait un risque d’aller courir dans les forces de l’ennemi alors qu’elles étaient toujours en route vers la colonie ou la base vers laquelle on les avait envoyées.

Il y eut un autre problème avec l’ordre Pleshet : il prévoyait en fait de protéger Israël d’un type totalement différent d’incursion. Avant l’installation de la « barrière », la principale menace avait été l’intrusion de terroristes en Israël via un réseau de tunnels pénétrants, à partir desquels ils tenteraient d’atteindre les colonies. L’ordre Pleshet avait été conçu pour protéger contre ce type de menace et il se concentrait sur des régions à l’intérieur d’Israël, de sorte que les terroristes qui émergeraient des tunnels à l’intérieur d’Israël seraient neutralisés. En d’autres termes, l’ordre ne se concentrait pas sur la protection de la clôture de frontière contre l’infiltration par les terroristes du Hamas qui allaient devoir opérer au-dessus de la surface du sol, ni sur la menace de milliers de terroristes affluant en Israël presque librement, via plus de 30 points de rupture. Les FDI n’avaient pas imaginé un tel scénario et ne préparèrent donc pas d’ordres en ce sens. Cet échec est même plus étrange encore, puisque les FDI avaient obtenu le plan de bataille « Muraille de Jéricho » du Hamas qui décrivait exactement ce genre d’attaque et, pourtant, elles n’annulèrent pas l’ordre Pleshet ni ne mirent à jour ses plans de défense.

8 h 00

L’État-Major général se réunit vers 8 h 00 du matin dans la nouvelle Fosse des opérations au Kirya, à Tel-Aviv, et le chef d’état-major Herzl « Herzi » Halevi arriva. Personne ne comprenait que, depuis une heure et demie déjà, Israël se trouvait sous une attaque à grande échelle du Hamas.

8 h 10

Les officiers de l’escadrille de drones comprirent qu’il n’était pas question pour eux d’attendre des ordres du Commandement des forces aériennes ou de la Division Gaza. Ils parvinrent à entrer en contact avec la Division et à demander essentiellement que toutes les procédures, tous les ordres, toutes les régulations soient jetés à la poubelle. « Vous avez l’autorité pour tirer à volonté », fit savoir la Division aux opérateurs des Zik. En d’autres termes : tirez sur tout ce qui semble menaçant ou ressemble à un ennemi.

Mais qui attaquer ? Sans un commandement ordonné, les opérateurs de drones tentèrent de mettre sur pied eux-mêmes une « banque de cibles ». L’improvisation prit les choses en main, ici aussi : la plupart des opérateurs étaient de jeunes officiers qui avaient des amis ou des proches qui combattaient au sol en ce moment même. Il fut décidé de détruire une autre règle incontournable : Ne jamais laisser un téléphone cellulaire entrer dans les opérations. Les opérateurs échangeaient des appels téléphoniques réguliers avec leurs homologues sur le terrain : « Vous voyez ce bâtiment avec la toiture sombre ? Eh bien, la tour à côté », afin de les guider. Et, au plus extrême, d’autres opérateurs rallièrent les groupes WhatsApp du kibboutz de Kfar Azza et d’autres colonies et leur expliquèrent ce que les civils assiégés devaient cibler.

8 h 32

Les deux seuls hélicoptères Apache en l’air et qui, jusqu’à ce moment, avaient opéré de leur propre initiative, parvinrent à établir un premier contact radio avec le commandant de l’une des compagnies sur le terrain. Ce contact, si nécessaire pour que les forces aériennes reçoivent une mise à jour de la situation de la part des forces terrestres et puissent être dirigées sur la cible, n’eut lieu qu’environ une heure et demie après le début de l’attaque. Le commandant de compagnie demanda qu’on tire à son profit et il obtint gain de cause. Après les tirs, les pilotes des Apache dirigèrent leurs appareils vers l’ouest et un spectacle alarmant devint visible : un flux frénétique d’êtres humains s’écoulant par les ouvertures en direction des colonies du sud. Il allait devenir clair, plus tard, qu’il s’agissait de la deuxième vague des envahisseurs – la première vague avait consisté surtout en terroristes du Nukhba et du Djihad palestiniens – et cette deuxième vague comprenait également des civils armés et des dizaines de milliers de pilleurs.

Le pilote décida de tirer deux missiles contre les personnes armées, ainsi que des douzaines d’obus avec le canon de l’hélicoptère, sans le moindre discernement, afin de les rechasser vers Gaza. Plus tard, les hélicoptères remarquèrent un large trou dans la clôture de frontière près de Nahal Oz et ils attaquèrent les multitudes qui passaient par là. Dans les deux cas, le succès fut limité, tout simplement parce qu’il y avait trop de terroristes et trop peu d’obus : Chaque hélicoptère transporte six missiles et 500 obus de canon. Les deux hélicoptères furent forcés de s’en aller afin de se réarmer et ils retournèrent à la base vers 10 h 20 du matin.

8 h 58

D’autres hélicoptères Apache décollèrent, cette fois de la base de Ramon et opérèrent surtout dans les régions où il y avait des brèches dans la clôture. Cela allait être leur principale activité jusqu’à midi. Les forces aériennes étaient toujours dans la confusion et affectées par le brouillard de la guerre. « Abattez tous ceux qui s’introduisent dans notre espace, sans [attendre d’] autorisation », avait dit le commandant d’escadrille, le lieutenant-colonel A. à ses subordonnés en l’air, alors que lui-même décollait pour l’Enveloppe de Gaza. L’un des hélicoptères fut endommagé par des tirs d’armes légères, mais poursuivit le combat.

9 h 00

Ronen Bar, le directeur du Shin Bet, instruisit son personnel : Tous ceux qui peuvent porter une arme doivent se rendre vers le sud. Lors de la nuit précédente, comme on l’a dit, Bar avait reçu plusieurs signaux d’un événement qui se passait dans la région de la bande de Gaza, mais il pensa que, même si le Hamas préparait quelque chose, il s’agirait d’une action limitée et localisée, si bien qu’il n’envoya que la Force Tequila. Les combattants de la Force Tequila furent parmi les premiers à rencontrer les terroristes qui s’infiltraient, à les combattre courageusement et à parvenir à adresser un rapport au quartier général du Shin Bet. Mais même à ce moment-là, ni le Shin Bet ni [les généraux à] la Fosse sous le Kirya ne comprenaient que l’attaque, en fait, se développait de plus en plus. Ce ne fut que vers 9 h 00 du matin, quand les rapports émanant de ses subordonnés furent confirmés par d’autres rapports et par la couverture médiatique, que Bar instruisit tous les employés entraînés au combat et qui disposaient d’armes de se rendre dans le sud et d’aider au combat. Selon une personne familiarisée avec les événements de cette matinée, les gens qui descendirent sur le terrain étaient des coordinateurs, des entraîneurs des écoles de combat, des gardes du corps des services de sécurité, des gens qui sécurisent des installations ou des actions sur le terrain. Au total, des douzaines d’employés du Shin Bet furent impliqués, ils tuèrent des douzaines de terroristes et portèrent secours à des centaines de résidents de la région de l’Enveloppe de Gaza. Les combattants du Shin Bet qui vivent dans les colonies allèrent au combat avant même qu’on leur en ait donné l’ordre et, par la suite, ils se joignirent aux autres forces qui arrivaient dans la région. Au cours des combats, dix membres de l’organisation furent tués.

9 h 30

Alors que de nombreux renforts s’envolaient vers le sud, à la Division Gaza, au Commandement du Sud et à la Fosse à Tel-Aviv, on n’avait pas encore compris que les terroristes de Nukhba avaient prévu ces renforts et qu’ils s’étaient emparés des jonctions stratégiques telles Gama, Magen, Ein Habesor et Shaar Hanegev, où ils attendaient les forces israéliennes. L’ordre de se rendre maître des intersections avant l’arrivée des renforts n’avait pas encore été donné et beaucoup de sang fut versé à ces jonctions, aussi bien du côté des soldats que du côté des civils.

Mais certains avaient compris. Le Bataillon 450 de l’école de formation des commandants de peloton était en disponibilité pour la Division Gaza, ce samedi, et le commandant de bataillon, le lieutenant-colonel Ran Canaan mobilisa ses hommes relativement tôt dans la matinée, depuis la base située près de Yerucham. On dit au bataillon qu’il allait se rendre dans la région de l’Enveloppe de Gaza, mais il ne fut pas prévenu de ce que les intersections, sur le parcours, étaient devenues des lieux d’embuscades meurtrières. Quelque 50 combattants montèrent dans un autobus ordinaire avec tout leur barda et se mirent en route. Soudain, entre Tze’elim et Kerem Shalom, le conducteur freina de toutes ses forces pour un arrêt d’urgence. Certains policiers s’approchèrent de l’autobus, en agitant les mains. Certains étaient blessés. En grande alerte, ils dirent au commandant de compagnie qu’à la prochaine jonction, à environ trois kilomètres de là, des terroristes les attendaient avec une mitrailleuse lourde et des armes antichars. Le commandant de la force comprit qu’une rafale de mitrailleuse dans les flancs d’un autobus non blindé allait transformer ce dernier en piège mortel pour ses soldats.

« Le Nukhba a déployé des équipes aux jonctions le long de la route vers l’Enveloppe de Gaza, avec des équipes de RPG (lance-roquettes), des tireurs embusqués, des mitrailleuses et d’immenses quantités de munitions, pour de longues heures de combat »,

déclara le lieutenant-colonel Canaan, qui fut blessé au cours des combats et qui retourna se battre au bout de quelques jours.

« Le commandant de compagnie prit une décision : Continuer à pied vers la région de l’Enveloppe de Gaza et laisser le bus derrière. Tout le monde descendit et progressa à pied, de sorte que l’autobus ne fut pas touché par un missile antichar ou par des tirs de mitrailleuse. Les combattants se positionnèrent autour des intersections et s’en rendirent maîtres, nettoyèrent le pont sur le fleuve Besor, dont les terroristes s’étaient emparés, et tout cela, ils le firent à pied, durant des kilomètres et des kilomètres. »

Vers 9 h 30, la Division Gaza assiégée parvint finalement à envoyer des effectifs afin de rendre opérationnelle la cellule d’attaque Hupat Esh [Canopée de feu]. [Note de la rédaction : Il s’agit d’une poste de commandement mobile et secret, selon les rapports de presse israéliens.] C’est un système instauré par le chef d’état-major Kohavi et qui opère au sein de la division. L’idée, c’est qu’un seul endroit puisse rassembler les renseignements sur les cibles, le contrôle et les préparatifs en vue de les attaquer, et l’opération correspondante des forces aériennes. Par conséquent, une seule cellule d’attaque Hupat Esh pouvait par exemple abattre un ballon incendiaire ou exécuter une attaque aérienne contre une unité de lancement d’obus de mortier. Mais le système Hupat Esh ne fut jamais prévu pour traiter un aussi grand nombre de cibles simultanément.

Les officiers étaient confrontés à des dilemmes de vie et de mort : Où devaient-ils envoyer d’abord les hélicoptères de combat et les Zik ? Vers les douzaines de brèches dans la clôture, par lesquelles les terroristes continuaient d’arriver ? Vers les postes actuellement occupés par les terroristes de Nukhba qui tuaient des centaines de soldats et en faisaient d’autres prisonniers pour les renvoyer à Gaza ? Ou cela devait-il être en direction de Sderot, ou des kibboutzim, où les civils étaient brutalisés ? Finalement, les commandants de la cellule d’attaque Hupat Esh, dont certains n’avaient pas plus de 22 ans, envoyèrent aux pilotes d’Apache un ordre qu’on n’avait encore jamais vu dans aucune injonction permanente : « Vous avez les coudées franches, jusqu’à nouvel ordre, et dans toute la zone. »

Un semblable mécanisme de déploiement de la puissance de feu fut également enclenché au cours de la matinée au quartier général du Commandement du Sud, à Beer Sheva. Un officier expérimenté, âgé d’un peu plus de cinquante ans, se rendit de chez lui dans le nord au commandement au moment du coucher de soleil et il fut choqué en voyant les écrans qui scintillaient de cibles.

« Nous nous étions préparés et entraînés pour de nombreux scénarios d’infiltration depuis Gaza »,

dit-il à 7 Days.

« Mais si l’officier venu au quartier général depuis l’administration des formations avait rédigé un scénario en vue d’un exercice futur et semblable à celui qui se déroula le 7 octobre, nous l’aurions hospitalisé immédiatement dans une institution psychiatrique. »

10 h 00

Les combats sur le terrain s’étaient intensifiés et avaient accru les pertes. Dans bien des cas, les combattants durent collecter des renseignements d’eux-mêmes afin de pouvoir se repérer. Le commandant de la Division 36, le brigadier général Dado Bar Khalifa, par exemple, n’attendit pas les ordres pour quitter son domicile précipitamment et se rendre sur les lieux. Il arriva à Netiv Haasara vers 10 h 00 du matin. Il emprunta un fusil, un gilet pare-balles et un casque à l’un des policiers blessés. Puis il photographia certains des terroristes du Nukhba qu’il avait neutralisés afin d’expédier ces clichés aux entités du renseignement et il empêcha qu’on tue certains d’entre eux intentionnellement. Bar Khalifa en avait capturé deux dans les champs entre Yad Mordechai et le poste d’Erez occupé, réellement en les tabassant, puis les avait déshabillés afin de s’assurer qu’ils ne portaient pas sur eux des charges d’explosifs, et il s’était mis à les interroger sur place. De cet interrogatoire, qui fut mené en plein combat, Bar Khalifa apprit nombre de choses sur les directions empruntées par l’invasion du Nukhba, entre autres, où certains de ses hommes se tenaient en embuscade et, en général, sur l’ampleur de l’événement, du moins dans la partie nord du secteur, près de Sderot. Apparemment, à ce moment, il en savait bien plus que ce qu’on savait à la Fosse.

11 h 30

À l’instar d’autres brigades de combat, la Brigade 890 avait également mobilisé à partir de sa base de Nabi Mussa, près de Jérusalem, et fait route vers l’Enveloppe de Gaza. Certains des combattants de la brigade débarquèrent pour aller se battre au kibboutz de Be’eri. Pendant ce temps, le lieutenant-colonel Yoni Hacohen parvenait à mettre la main sur un hélicoptère Sikorsky CH-53 Sea Stallion (Étalon de mer) « Yasur » afin de transporter quelques douzaines de ses soldats dans la zone. À 11 h 30, quelques instants avant de se poser près du kibboutz Alumin, l’hélicoptère fut directement touché par une RPG (roquette antichar) tirée depuis le sol – un incident très rare – mais, avant qu’il ne parte en flammes, le pilote parvint à le poser en toute sécurité et les soldats débarquèrent et intégrèrent directement le combat au kibboutz.

Les combats auxquels ils participèrent, dont certains dans la zone construite, firent regretter amèrement aux soldats de l’unité 890 d’être venus sans grenades à fragmentation. D’autres brigades ne reçurent pas non plus cette arme importante. La raison, c’était que la politique des FDI consistait à stocker les grenades dans les bunkers pour de simples raisons de sécurité. Quand les distribuent-elles ? Uniquement au cours d’exercices importants ou pour des opérations en territoire ennemi. Quand les forces sont mobilisées à bref délai, leur chance de recevoir des grenades n’est guère élevée.

Le manque d’équipement de combat ou le fait de disposer d’un équipement inapproprié fit partie des doléances de nombreux officiers et personnel terrestre avec qui nous avons discuté. On peut comprendre pourquoi les entrepôts de réserves d’urgence n’étaient pas prêts à équiper les combattants dans le sud, qui étaient venus du nord, mais voici l’histoire d’un bataillon de réservistes de la Division 98, une unité de commandos choisis. On pourrait avoir présumé que, pour cette sorte de bataillon, qui allait manifestement se trouver à la pointe de tout combat, tout aurait été préparé à l’avance. Eh bien, non ! Les combattants qui parvinrent à rejoindre les entrepôts des réserves d’urgence tard le matin ont commenté cette absence d’équipement.

« Bien sûr, les armes n’avaient pas été calibrées et, pendant quelques heures, nous avons tiré dans la région de l’Enveloppe de Gaza sans toucher un seul terroriste »,

a raconté un des combattants.

« Nos fins tireurs sont partis sans les viseurs montés sur leurs armes, puis il y a eu les gilets pare-balles. Un des gars au moins a été tué ce samedi quand une balle l’a frappé à l’estomac du fait qu’il n’avait pas un gilet de ce genre. »

Et, quoi qu’il en soit, les combattants de l’infanterie ne furent pas les seuls à souffrir du manque d’équipement. Les corps blindés découvrirent eux aussi la chose très rapidement. Par exemple, les réservistes de la Division 252 furent mobilisés relativement tôt samedi matin mais, quand ils atteignirent leur centre d’approvisionnement à Tze’elim, ils découvrirent que les premiers chars disponibles pour eux étaient des Merkava III – et même ceux-ci n’étaient pas dans un état particulièrement bien entretenu, vu que certains d’entre eux avaient plus de 20 ans. Mais ils n’eurent guère le choix de sorte qu’ils grimpèrent à bord des chars Merkava, prièrent pour que les moteurs démarrent et firent la course le long des routes menant à l’Enveloppe de Gaza. Ces chars furent certains des premiers à rapporter ce que personne dans les centres de commandement n’était parvenu à comprendre jusque-là : que les terroristes du Nukhba avaient monté des embuscades à des points clés afin d’attaquer les unités de renforts.

11 h 59

Le chaos et la confusion se poursuivirent durant de longues heures. Dans l’évaluation de la situation de midi, le Commandement du Sud avait déjà compris que leur évaluation portant jusqu’à ce matin et selon laquelle le Hamas n’avait pas la capacité de franchir « la barrière » sauf peut-être en un endroit ou deux, s’était complètement effondrée et que le Hamas était parvenu à pénétrer en plus de 30 endroits (voir la carte des points de pénétration reprise dans ces pages). [Note de la rédaction : La carte montre 48 points rouges sur la clôture entourant Gaza, accompagnés de la légende : « Endroit de percée dans la clôture / barrière brisée. »]

Même près de six heures après les faits, le brouillard qui couvrait l’évaluation de la situation était immense. Le quartier général ne comprenait pas quels étaient les buts du Hamas, où ses forces étaient déployées ni comment elles opéraient, via le contrôle des intersections, des attaques simultanées contre les postes et contre les colonies civiles. À ce moment, le quartier général croyait qu’il allait pouvoir reprendre le contrôle de la totalité du sud du pays au moment où la nuit tomberait. En pratique, cela allait demander trois jours de plus et, même alors, la zone n’aurait toujours pas été entièrement débarrassée des gens du Hamas.

Mais, dans l’intervalle, les premières vidéos sur les captifs commencèrent à affluer, et le quartier général comprit également qu’au moins, sur ce plan, il s’agissait désormais d’un événement tout à fait différent. Ce fut à ce moment que les FDI décidèrent de retourner à une version de la directive Hannibal.

En 1986, après la capture et le meurtre deux soldats des FDI par le Hezbollah, les FDI introduisirent une nouvelle directive secrète et des plus controversées. Sous la section « Tâche », cela comprit les mots suivants :

« Immédiate localisation d’un incident ‘Hannibal’, retarder/arrêter à tout prix la force qui a procédé à la capture et libérer les captifs. »

Le commandement original disait :

« En cours de capture, la principale tâche reste délivrer nos soldats de leurs ravisseurs, même au prix de toucher nos hommes, voire de les blesser. »

Selon des publications, l’ordre fut modifié en 2016 et son nom fut modifié lui aussi. Ses termes actuels n’ont pas été publiés, mais une clarification a été introduite disant qu’il convenait d’éviter les actions qui seraient hautement susceptibles de mettre la vie du ou des captifs en danger.

L’enquête de 7 Days montre qu’à midi, le 7 octobre, les FDI ont instruit toutes leurs unités de combats de mettre la directive Hannibal en pratique, bien qu’elles l’aient fait sans citer explicitement la directive par son nom. Les instructions disaient d’arrêter « à tout prix » toute tentative de retour à Gaza des terroristes du Hamas, utilisant un langage très ressemblant à celui de la directive Hannibal originale, malgré les promesses répétées par l’appareil de la défense que la directive avait été annulée.

En pratique, l’ordre voulait dire que son but premier était de bloquer la retraite des agents du Nukhba. Et, s’ils emmenaient des captifs en otage, il fallait agir de la sorte aussi, même si cela signifiait compromettre la vie des civils de la région, y compris celle des captifs mêmes, ou leur porter préjudice.

Selon plusieurs témoignages, durant ces heures, les forces aériennes opérèrent en ayant été instruites d’empêcher les mouvements de Gaza vers Israël ainsi que les retours d’Israël vers Gaza. Des estimations disent que, dans la zone entre l’Enveloppe de Gaza et la bande de Gaza proprement dite, environ un millier de terroristes et d’infiltrants furent tués. On ne sait pas clairement, à ce stade, combien de captifs furent tués suite à une opération de cet ordre le 7 octobre. Au cours de la semaine qui suivit le Sabbat noir et l’initiative du Commandement du Sud, des soldats des unités d’élite examinèrent plus de 70 véhicules qui étaient restés dans la zone entre les colonies de l’Enveloppe de Gaza et la bande de Gaza. C’étaient des véhicules qui n’avaient pas atteint Gaza parce que, en cours de route, ils avaient été touchés par le tir d’un hélicoptère de combat, par un drone ou par un char et, du moins dans certains des cas, toutes les personnes à bord du véhicule avaient été tuées.

12 h 30

Vers midi ce samedi, six heures environ après le début de l’attaque du Hamas, les FDI estimaient encore – du fait d’informations partielles – qu’environ 200 terroristes du Nukhba s’étaient infiltrés en Israël, alors que leur nombre réel était près de dix fois supérieur. 7 Days a découvert qu’à ce stade, les FDI utilisaient toujours les évaluations de situation figurant dans le plan de bataille élaboré au Commandement du Sud, bien qu’il eût été clair qu’il n’avait strictement plus rien de pertinent. De façon embarrassante, ils continuèrent de recycler et de copier le contenu du plan, y compris la déclaration catégorique disant que le Hamas avait une capacité « très faible » de franchir la clôture.

Israël a eu accès au plan d’invasion du Hamas, « Murailles de Jéricho », qui s’avéra presque intégralement réaliste, le 7 octobre. Mais personne n’imagina que des ordres auraient peut-être pu être préparés à l’avance, en fonction de ce scénario. Résultat : Six heures après le début de l’attaque, comme le sud était inondé par plus de 2 000 terroristes, le seul ordre disponible fut celui qui s’appuyait sur la présomption que la capacité du Hamas, ne serait-ce que de franchir la clôture, était « très faible ».

13 h 00

Depuis le matin, les forces aériennes se concentraient sur une tâche prioritaire : bloquer les incursions au travers de la clôture. À midi, elles avaient également étendu les attaques aériennes aux colonies et aux camps qui avaient été occupés, et elles l’avaient fait à la requête des unités d’élite comme Flotilla 13 et le commando Nahal. Du fait qu’aucun contact continu n’avait été décidé avec le commandement des forces aériennes, les pilotes se guidaient eux-mêmes via des conversations téléphoniques directes avec des officiers et des combattants sur le terrain et on les orienta pour attaquer la salle de gymnastique et de fitness de la Division Gaza au camp de Re’im après que sept des terroristes du Nukhba s’y étaient retranchés. Plus tard, ils attaquèrent aussi la salle des repas du poste avancé assiégé de Sufa.

À ce moment, il y avait dix hélicoptères de combat en l’air (sur 28 qui participèrent aux combats, ce matin-là, par rotation) mais, même à ce stade, la communication avec les forces aériennes relevait surtout de l’improvisation, comme on l’a déjà mentionné. Donc, par exemple, le commandement en second de la Division 80, le colonel A., qui avait émis le souhait d’envahir les vergers d’agrumes à proximité de Kerem Shalom, appela personnellement le commandant de l’escadrille des hélicoptères de combat, le lieutenant-colonel A., et requit des tirs massifs en direction des vergers d’agrumes. Généralement, la plage de sécurité dans de tels incidents entre les forces au sol et les bombardements aériens est approximativement de 300 mètres. Cette fois, elle ne fut que de quelques douzaines de mètres. Quelques jours plus tard, un officier des renseignements allait dire au commandant d’escadrille A. que les terroristes du Nukhba avaient eu comme instruction de ne pas courir, ce matin-là, sachant que les pilotes allaient penser qu’il s’agissait d’Israéliens qui marchaient, et non de terroristes qui s’échappaient, et qu’ils hésiteraient ainsi de leur tirer dessus. Voilà à quoi ressemblent les choses quand l’ennemi en sait bien davantage sur vous que nous n’en savez sur lui.

Réponse du porte-parole des FDI :

« Les FDI combattent actuellement l’organisation terroriste meurtrière du Hamas dans la bande de Gaza. Les FDI mèneront une enquête complète, détaillée et en profondeur autour de la question afin de clarifier pleinement les détails quand la situation opérationnelle le permettra, et elles publieront leurs conclusions à l’adresse du public. »

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Asa Winstanley est un journaliste freelance installé à Londres et qui a vécu en Palestine occupée, où il a réalisé des reportages. Son premier ouvrage : Corporate Complicity in Israel’s Occupation (La complicité des sociétés dans l’occupation israélienn e) a été publié chez Pluto Press. Sa rubrique Palestine is Still the Issue (La Palestine constitue toujours la question) est publiée chaque mois. Son site Internet est le suivant : www.winstanleys.org

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Publié le 20 janvier 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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