Israël condamne un travailleur humanitaire de Gaza à 12 ans de prison à l’issue d’un simulacre de procès

À l’issue d’un simulacre de procès qui a duré six longues années, Israël a condamné un travailleur humanitaire de Gaza à 12 ans de prison pour avoir transféré des fonds de l’aide internationale au Hamas.

Khalil El Halabi, le père de Mohammed El Halabi, directeur de World Vision pour Gaza, chez lui, à Gaza, ce 30 août. (Photo : Youssef Abu Watfa / APA images)

Khalil El Halabi, le père de Mohammed El Halabi, directeur de World Vision pour Gaza, chez lui, à Gaza, ce 30 août. (Photo : Youssef Abu Watfa / APA images)

Maureen Clare Murphy, 30 août 2022

Mohammed El Halabi, le directeur pour Gaza de World Vision, une organisation caritative chrétienne internationale, entend aller en appel contre le verdict et la sentence.

World Vision a soutenu El Halabi et déclaré mardi que

« l’arrestation, le procès de six ans, le verdict injuste et la sentence sont emblématiques des actions qui entravent le travail humanitaire à Gaza et en Cisjordanie ».

L’association caritative a déclaré que

« cela vient s’ajouter à l’impact dissuasif sur World Vision et sur les autres organisations d’aide ou de développement œuvrant afin de venir en aide aux Palestiniens ».

Après l’arrestation d’El Halabi, World Vision a suspendu ses opérations dans la bande de Gaza.

Lynn Hastings, la coordinatrice humanitaire de l’ONU en Palestine a expliqué que la condamnation d’El Halabi et les récents raids militaires israéliens contre plusieurs importantes organisations de défense des droits, avec fermeture à la clef, auront un « effet dissuasif croissant sur la société civile en Palestine ».

Dans une décision de 254 pages classifiée en juin, six ans jour pour jour après l’arrestation d’El Halabi et après plus de 160 audiences du tribunal, le travailleur humanitaire a été déclaré coupable d’avoir transféré des millions de dollars au Hamas.

« De graves inquiétudes »

Les juges israéliens ont presque entièrement appuyé leur verdict sur une confession prétendument faite par El Halabi à un informateur après avoir été prétendument tabassé par ses interrogateurs israéliens.

Dans cette affaire El Halabi, le bureau des droits de l’homme de l’ONU « n’a cessé de soulever de graves inquiétudes » à propos « des traitements cruels, dégradants et inhumains qui peuvent équivaloir à de la torture ».

Le contenu de la supposée confession, obtenue « apparemment sous la contrainte », a été tenu hors d’accès du public, a ajouté le bureau de l’ONU dans une soumission de mars 2021 au rapporteur spécial sur les défenseurs des droits de l’homme.

Les juges ont qualifié de non pertinents le témoignage du personnel de World Vision ainsi qu’un audit intégral de la firme Deloitte commandité par l’association caritative.

Cet audit a examiné chaque paiement effectué par World Vision en cinq ans et

« n’a trouvé aucun signe de fonds manquants et aucune preuve qu’El Halabi travaillait pour le Hamas – en fait, l’audit a rapporté qu’il cherchait en permanence à distancier l’organisation du Hamas »,

a rapporté The Guardian.

El Halabi avait été arrêté en juin 2016 alors qu’il retournait à Gaza après avoir assisté à des réunions à Jérusalem et il avait été détenu pendant 50 jours sans le moindre accès à un avocat.

Deux mois plus tard, Israël faisait irruption dans les bureaux de World Vision à Jérusalem et annonçait qu’El Halabi était accusé d’avoir détourné quelque 50 millions de USD en plusieurs années.

Un ancien directeur régional de l’association avait affirmé devant les médias que les 50 millions de USD qu’El Halabi est supposé avoir détournés

« sont complètement incompréhensibles, étant donné que nulle part un montant proche de celui-là n’a été consacré aux programmes à Gaza durant la période de 10 ans en question ».

Durant son procès, El Halabi a rejeté de nombreuses négociations de peine, refusant d’admettre sa culpabilité dans un crime qu’il insiste n’avoir pas commis et, en cours de procès, de ternir la réputation de World Vision.

Une négociation de peine aurait évité à Israël d’avoir à prouver ses allégations contre El Halabi au tribunal.

Incapable de s’assurer une négociation de peine, Israël a préféré recourir à la condamnation d’El Harabi sur base de preuves secrètes.


Des preuves secrètes

L’affaire montée de toutes pièces par Israël contre El Halabi sur base de preuves secrètes allait anticiper les désignations d’« organisations terroristes » qu’Israël allait coller fin 2021 à plusieurs importantes organisations palestiniennes de Cisjordanie spécialisées dans les droits humains, les questions féminines et les services sociaux.

Israël accuse ces organisations de faire parvenir des fonds au Front populaire pour la libération de la Palestine, un parti politique de gauche doté d’une aile de résistance armée.

Un dossier classifié préparé par la police secrète d’Israël et censé justifier les désignations de « terrorisme » s’appuie sur le témoignage de détenus palestiniens qui peuvent avoir été torturés.

Israël a distribué le dossier à des diplomates européens en mai de l’an dernier, et ce, dans une tentative infructueuse en vue de les persuader de cesser de financer les organisations palestiniennes.

Suite au prononcé de la sentence contre El Halabi, mardi, l’Union européenne a dit qu’elle regrettait « l’issue d’un procès judiciaire qui a été incompatible avec les normes d’un procès honnête ».

L’UE a ajouté qu’elle « suivra de très près l’appel d’El Halabi devant la Cour suprême ».

Plutôt que d’imposer des pressions intelligentes sur Israël, ces promesses de l’UE et d’autres de ne rien faire de plus que d’observer passivement, n’ont apparemment servi qu’à encourager Tel-Aviv à persécuter les travailleurs humanitaires, les défenseurs et organisations des droits humains qui renforcent la résilience des Palestiniens qui vivent sous la dictature militaire israélienne.

Pendant ce temps, mardi, le bureau des droits de l’homme de l’ONU a protesté contre le refus d’Israël de produire ou de renouveler les visas de son personnel.

« En 2020, les 15 membres du personnel international de mon bureau en Palestine – qui opère dans le pays depuis 26 ans – n’ont eu d’autre choix que de s’en aller »,

a déclaré Michelle Bachelet, la Haute commissaire de l’ONU aux droits de l’homme.

« Une série de requêtes de visas et de renouvellement de visas restent réponse depuis deux ans. Pendant ce temps, j’ai tenté de trouver une solution à cette situation, mais Israël continue de refuser à s’engager. »

Michelle Bachelet a ajouté que

« le traitement infligé par Israël à notre équipe fait partie d’une tendance plus large et embarrassante à bloquer l’accès des droits humains au territoire palestinien occupé ».

« Ceci soulève la question de savoir ce que les autorités israéliennes tentent exactement de dissimuler »,

a-t-elle conclu.

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Publié le 30 août 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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Lisez également : Israël condamne un travailleur humanitaire de Gaza dans un verdict classé

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