Les médias israéliens censurent la frappe iranienne sur une base de cyberguerre
Très tôt, vendredi matin, une frappe de missile balistique iranien a touché une importante base de cyberguerre israélienne à Beersheba, dans le sud de la région du Néguev. Mais ce n’est pas dans les médias israéliens que vous auriez pu l’apprendre : ils restent soumis à une stricte censure militaire.

Des policiers et des experts en déminage israéliens sont présents sur le lieu de l’impact après qu’un missile lancé depuis l’Iran a frappé un complexe de cyberguerre d’Israël à BeerSheba, dans le sud, le 20 juin 2025. (Photo : Mostafa Alkharouf / Anadolu Images)
Ali Abunimah, 20 juin 2025
Cette première frappe a été suivie vendredi après-midi par d’autres frappes iraniennes très lourdes sur plusieurs villes.
Ces frappes constituent la réponse la plus récente de l’Iran à la guerre d’agression à grande échelle lancée par Israël contre le pays le 13 juin.
Jon Elmer, de The Electronic Intifada, examine les effets des missiles iraniens dans un reportage spécial sur vidéo publié quelques heures avant la frappe de vendredi sur la base de cyberguerre. (voir la vidéo – en anglais) en bas de page).
L’attaque d’Israël contre l’Iran « a toutes ses racines dans l’échec » de sa guerre contre Gaza,
explique Elmer.
« L’intention d’Israël dans la guerre à Gaza était qu’elle dure un mois ou deux avant de venir à bout de la résistance et de prendre le contrôle de Gaza. »
Les choses, toutefois, ne se sont pas passées de cette façon. Au lieu de cela, Israël se livre à un génocide et se déchaîne dans toute la région tout en essayant de redessiner ses frontières.
Elmer fournit un contexte et une analyse pour les plus de 400 frappes de missiles balistiques iraniens qui ont eu lieu depuis qu’Israël a déclenché la guerre voici une semaine.
« De façon impressionnante, c’est très rapidement, que l’armée iranienne a pris pied »,
après l’attaque surprise d’Israël qui a tué plusieurs hauts commandants militaires,
déclare Elmer. L’Iran a été
« à même, en quelques heures à peine, de riposter contre Tel-Aviv et Haïfa ainsi que contre des bases militaires ».
L’Iran produit ses propres missiles autochtones à une cadence susceptible de dépasser la capacité des EU et d’Israël à fabriquer les intercepteurs censés les abattre, estime Elmer. Cela suggère qu’
« une guerre d’usure pourrait favoriser l’Iran, dans cette bataille ».
La censure tente de masquer la cible réelle
Elmer a enregistré le reportage spécial avant la frappe iranienne de vendredi matin contre la base de cyberguerre israélienne à Beersheba, examinée en détail dans le présent article.
Jeudi, une frappe iranienne a endommagé le Centre médical Soroka tout proche. Israël a prétendu que la frappe ciblait délibérément l’hôpital, qui est à la fois civil et militaire. L’Iran a toutefois affirmé que sa cible réelle était la base de cyberguerre toute proche, laquelle a été directement touchée vendredi.
La frappe de vendredi matin « a causé d’importants dégâts dans le secteur », a fait savoir Haaretz, qui citait le maire de Beersheba.
Le journal israélien a défini la zone ciblée comme étant uniquement constituée de « plusieurs immeubles à appartements ».
De même, The Times of Israel a dit de la frappe de missile qu’elle
« avait blessé légèrement sept personnes et causé de substantiels dégâts aux habitations ».
« Il y a d’importants dégâts »,
a déclaré le maire, selon cette publication.
La chaîne américaine ABC, entre autres, a également décrit le site endommagé de Beersheba comme étant essentiellement un « immeuble résidentiel ».
Israël est incapable de défendre ses avoirs militaires
Il importe au plus haut point de savoir que l’armée israélienne a reconnu qu’elle avait été incapable d’abattre le missile, en prétendant que son système d’interception avait subi un « dysfonctionnement ».
C’est significatif, et bien plus qu’à l’accoutumée, parce que la cible de l’Iran n’était pas simplement un quartier résidentiel ordinaire, mais une importante base militaire israélienne – le fameux campus IDF ICT, qui fait partie du parc high-tech de Gav Yam – ainsi que ses logements qui hébergent des milliers de membres du personnel militaire et sécuritaire israélien.

Une photo publiée en 2018 par l’Université Ben-Gourion montre le campus de cyberguerre de Gav Yam de l’armée israélienne à Beersheba au moment de sa construction. On peut constater une ressemblance manifeste avec les immeubles endommagés par une frappe iranienne le 20 juin 2025. (Photo : Ben-Gurion University)
Les photos et les vidéos prises après l’attaque montrent un incendie qui fait rage à proximité des bureaux de Microsoft, le géant américain du software, profondément impliqué dans les projets de l’armée israélienne et complice du génocide perpétré par Israël à Gaza, selon ses employés aussi bien actuels qu’anciens.
CNN a également rapporté qu’à Beersheba, à la suite de l’attaque, le feu faisait rage à proximité des bureaux de Microsoft, dans un « parc technologique » de la ville.
D’autres images identifient la zone de l’attaque comme étant le parc technologique de Gav Yam – comme l’indique le panneau en hébreu sur l’un des bâtiments endommagés.
Les « immeubles à appartements » aperçus sur les photos et vidéos prises dans la foulée de l’attaque iranienne ressemblent clairement aux logements associés au projet dirigé par l’armée et publié en 2018.
Un peuplement colonial dirigé par l’armée
Le parc de Gav Yam est un projet majeur de l’armée israélienne en vue de créer un campus de haute technologie censé accueillir ses unités de cyberguerre, en même temps que des firmes privées avec lesquelles l’armée travaille.
En sus de Microsoft, on trouve parmi les locataires de Gav Yam des géants américains et européens de la technologie, comme Amazon, IBM, Apple, Motorola et Philips, ainsi que des firmes israéliennes d’armement, dont Rafael et Elbit Systems.
Le ministère israélien de la Défense et le cabinet du Premier ministre sont également des locataires de Gav Yam.
En tant que partenariat public-privé, le parc de Gav Yam fait partie d’une initiative visant à établir une mainmise juive israélienne plus forte sur la région du Naqab (ou Néguev) en déplaçant ou en surpassant en nombre la population palestinienne des Bédouins autochtones.
La société Gav Yam est un développeur du secteur privé qui a fourni du financement au projet dès ses phases initiales.
Mais l’ensemble du projet
« est dirigé par l’Autorité de transition du Sud du ministère de la Défense, par l’ICT (Institut pour la lutte contre le terrorisme) et la Division défense de l’agence de renseignement de la Défense, ainsi que par la Division du planning des FDI »,
a expliqué l’armée israélienne en 2021.
« Les meilleurs de nos hommes sont les premiers à diriger la réalisation de la vision – les soldats et les commandants des FDI sont ceux qui dirigent la démarche nationale en vue de développer le Néguev »,
s’est vanté le général Aviv Kochavi, à l’époque chef de l’armée israélienne.
Connue sous l’appellation de Kiryat HaTikshuv en hébreu, la base comprend des logements « pour 12 000 soldats et agents de la sécurité », selon TNM, la société d’ingénierie civile engagée par le ministère israélien de la Défense pour diriger le projet.
Intégrant « la base technologique IDF C4I » de l’armée israélienne, le campus était destiné à
« faire partie de l’écosystème technologique de la zone métropolitaine de Beersheba, ainsi que des ministères du gouvernement, de la municipalité et de l’industrie locale ».
« commandement, contrôle, communications, ordinateurs (computers, en anglais) et renseignement (intelligence, en anglais) ».
La complicité universitaire
L’institution académique impliquée dans le projet est l’Université Ben-Gourion (BGU) du Néguev qui a célébré en 2022 l’arrivée de « l’unité de cyberdéfense » de l’armée israélienne au nouveau parc technologique.
« Les soldats entretiendront des relations étroites avec les chercheurs de la BGU, ce qui aboutira à des projets communs et à un échange d’idées fertile »,
rapportait The Times of Israel en 2018, au moment où la construction était toujours en cours.
En 2022, l’armée israélienne inaugurait son « école pour les métiers informatiques des FDI », située « au cœur du parc high-tech », annonçait la publication Israel Defense.
« Environ un millier de stagiaires, de commandants et d’officiers serviront dans cette base innovante »,
rapportait encore Israel Defense.
Le campus de cyberguerre de Gav Yam est un excellent exemple de l’installation par Israël de sites militaires parmi des civils – se servant effectivement de ces deniers comme de boucliers humains.
Chaque aspect de la zone attaquée par l’Iran reflète la nature militariste et coloniale de peuplement d’Israël, y compris les deux entreprises de construction engagées pour construire le campus : Shikun & Binui et Africa Israel.
Toutes deux ont été longtemps la cible de campagnes internationales de désinvestissement en raison du rôle majeur qu’elles jouent dans la construction de colonies israéliennes illégales en Cisjordanie occupée.
De nouvelles frappes
L’Iran a lancé de nouvelles frappes sur Israël vendredi après-midi, déclenchant les sirènes partout en Israël.
Depuis Amman, l’auteur du présent article a observé cinq ou six missiles qui se dirigeaient vers la région de Tel-Aviv et trois autres au moins qui avaient emprunté la direction générale de Haïfa.
Des premiers rapports et vidéos indiquaient qu’il y avait eu au moins un impact près de la fameuse Sail Tower de Haïfa, un gratte-ciel qui accueille des bureaux du gouvernement israélien.
Vidéo EI : Les attaques de missiles de l’Iran ébranlent Israël (en anglais)
Le reportage spécial de Jon Elmer a été produit par Tamara Nassar.
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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.
Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse
Publié le 20 juin 2025 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine