Échos du mythe de la conspiration juive : Ce qui se cache derrière les retombées de Glastonbury
L’idée d’une « conspiration juive mondiale » a toujours été une invention raciste – un mythe paranoïaque utilisé pour justifier la persécution. N’empêche qu’aujourd’hui existe une dangereuse réalité parallèle – non pas mythique, mais institutionnelle.

Masque fissuré : Quand l’« antisémitisme » devient un bouclier destiné à masquer le génocide, l’illusion se brise – révélant les mécanismes de la répression sous-jacente (image générée par IA).
Rima Najjar, 1er juillet 2025
Quand des organisations pro-israéliennes se targuent de « purger » les critiques au Congrès, quand Netanyahou déclare que l’Amérique est « quelque chose que l’on peut transformer » ou quand Israël se prétend « l’État-nation de tous les juifs », ils évoquent, même si ce n’est pas intentionnel, la même logique conspirationniste qui, historiquement, a mis les juifs en danger, sauf actuellement, puisque ce sont eux qui mettent les Palestiniens en danger – et, en effet, le monde entier.
Les milliardaires juifs comme Sheldon Adelson et Haim Saban n’ont pas seulement financé les causes sionistes – ils ont bâti l’échafaudage du pouvoir géopolitique, en finançant les réseaux de lobbying, les campagnes anti-BDS et les plates-formes médiatiques. Ce n’est pas de la philanthropie marginale – c’est de l’influence systémique qui transforme la solidarité en complicité et la victimisation historique en justification politique.
Entre-temps, des milliers de juifs non israéliens s’engagent dans les IDF (armée israélienne) via des programmes comme Mahal, incorporant des éléments étrangers dans un appareil d’occupation. Ces efforts sont légitimés par la Loi fondamentale d’Israël qui en fait « l’État-nation du peuple juif », étendant ainsi sa juridiction – et toute sa messagerie – au-delà de ses frontières.
L’incident de Glastonbury 2025, au cours duquel le duo punk britannique Bob Vylan a dirigé des slogans du type « Free Palestine » et « Death to the IDF » (Mort à l’IDF) propose un cas d’étude probant sur la façon dont des infrastructures politiques et médiatiques alignées sur le sionisme peuvent mobiliser rapidement et efficacement au point de soulever de sérieuses questions sur les normes démocratiques, en particulier autour de l’expression et de la dissension. Proposée en direct par la BBC, la performance a déclenché une réaction rapide et étroitement coordonnée :
La BBC a supprimé les images et a diffusé une déclaration officielle.
Le Premier ministre du Royaume-Uni Keir Starmer a condamné le slogan.
L’ambassade d’Israël a dénoncé l’acte en tant que « rhétorique de haine ».
Les EU ont annulé les visas du groupe musical.
United Talent Agency a cessé de le représenter.
La police a lancé une enquête officielle.
La réaction soigneusement orchestrée par Israël a dépassé le débat démocratique. Il n’y a pas eu de délibération publique – rien qu’une condamnation instantanée. Les pouvoirs de l’État et des entreprises se sont mobilisés pour punir l’expression et réduire la critique au silence. Les appels à raser Gaza ou les slogans « Mort aux Arabes » à Jérusalem ne font l’objet d’aucun contrôle ; par contre, ceux contre l’occupation militarisée suscitent des enquêtes de la police.
Le graphique ci-dessous ventile l’architecture du pouvoir politique sioniste en trois piliers principaux – médias et culture, gouvernement et éducation – chacun étant renforcé par des mécanismes moraux, juridiques et idéologiques. Le pouvoir sioniste opère, non pas dans l’ombre, mais via des narratifs officiellement sanctionnés, des codes juridiques et l’outrage moral.

POUVOIR POLITIQUE SIONISTE
Premier pillier. Médias & culture : censure BBC, Artistes sur la liste noire, Contrats de label résiliés
Encadrement moral : « Critique = haine »Deuxième pillier. Gouvernement & lois : Révocations des visas, Adoption IHRA, Criminalisation des protestations
Codification juridique : « Dissension = menace »
Troisième pillier. Système d’éducation : Pression des donateurs sur les universités, Conception de programmes scolaires, Formation idéologique
Formation idéologique : « sionisme = identité »
Les répercussions du pouvoir politique sioniste se font sentir bien au-delà de la Palestine. Dans le monde entier, des communautés et des États ont souffert des exportations d’armes, de technologie de surveillance et de tactiques de contre-insurrection en provenance d’Israël – des outils peaufinés par le biais de l’occupation et aujourd’hui déployés dans des contextes allant du Cachemire à Bogota. Les outils israéliens exportés – le logiciel espion Pegasus, les tactiques de guerre recourant aux drones et les systèmes de surveillance biométrique – renforcent les régimes autoritaires dans le monde entier, en transformant le laboratoire israélien de l’apartheid en une franchise de l’oppression.
En Amérique latine, au Guatemala, des conseillers israéliens ont soutenu le génocide perpétré contre les indigènes mayas ; et, en Colombie, des mercenaires entraînaient les paramilitaires des escadrons de la mort.
En Afrique, Israël a armé l’Afrique du Sud de l’apartheid et a partagé des tactiques utilisées ensuite contre la libération des noirs.
En Inde, des drones et des entraînements policiers en provenance d’Israël modèlent la politique de répression appliquée au Cachemire et ailleurs.
Aux États-Unis, des départements de la police adoptent les méthodes israéliennes de contrôle des foules via le « Deadly Exchange », qui s’en prend avant tout aux communautés noires, musulmanes et autochtones. En même temps, sous les pressions d’Israël, les plates-formes des médias sociaux suppriment le contenu palestinien.
En Europe, l’activisme propalestinien est criminalisé. Le Bundestag assimile BDS à de l’antisémitisme ; le CRIF redéfinit l’alignement des médias français. Des voix artistiques et universitaires se font exclure des plates-formes.
Dans l’enseignement, les programmes de cours en Australie et au Canada reflètent de plus en plus les restrictions alignées sur l’IHRA, réduisant ainsi au silence toute discussion sur la Palestine lors des cours.
Dans les pays du Levant et du Golfe, Israël mène des opérations qui s’étendent au-delà de la Palestine et provoquent une déstabilisation régionale. Au Liban et en Syrie, il s’est livré à des frappes aériennes, à des actes de sabotage et a soutenu des forces supplétives ciblant le Hezbollah et d’autres acteurs liés à l’Iran. En Irak, les réseaux de renseignement israéliens sont impliqués dans des opérations secrètes et des meurtres ciblés. En Iran, Israël s’engage dans une contestable cyberguerre, dans des campagnes de sabotage et dans des assassinats de savants nucléaires – des actions largement attribuées mais rarement reconnues constituant une guerre dans l’ombre dans toute la région.
En Ukraine, Israël a joué un rôle calculé — en fournissant de l’aide humanitaire net des systèmes civils d’alerte antimissiles tout en refusant tout soutien militaire mortel ou des sanctions contre la Russie. Cette ambiguïté stratégique découle de l’équilibre de ses actions : sauvegarder la coordination avec la Russie en Syrie tout en s’opposant au soutien des drones iraniens à l’effort de guerre de Moscou.
Au centre de cette architecture sioniste mondiale se trouve la réalité vécue des Palestiniens – dépossédés, surveillés, bombardés et réduits au silence.
Depuis le siège de Gaza jusqu’aux humiliations quotidiennes en Cisjordanie, les existences palestiniennes sont modelées par les systèmes mêmes exportés à l’étranger : occupation militaire, surveillance biométrique, apartheid institutionnalisé.
Alors que les institutions mondiales se hâtent de punir les artistes qui scandent « Free Palestine », elles restent inertes face aux crimes de guerre, aux déplacements massifs et au traumatisme générationnel. Ceci ne concerne pas que le contrôle du discours – il s’agit de protéger un régime qui prive des millions de gens de leurs terres, de leur autonomie, de leur mouvement et de leur dignité. Toute prise en compte sérieuse du pouvoir sioniste doit commencer par reconnaître que les vies palestiniennes sont ses premières et perpétuelles cibles.
Si le mythe d’une conspiration juive mondiale a jadis alimenté les persécutions, aujourd’hui, c’est le pouvoir sioniste réel – exercé par le biais d’alliances, via le capital et via la répression culturelle – qui entretient toute une mécanique de la persécution en temps réel. L’antisémitisme, naguère un bouclier contre la haine, est devenu un outil visant à réduire au silence, à supprimer le lien entre le traumatisme juif et la justice universelle et à éroder à la fois les droits humains et le concept même de la responsabilité démocratique.
La Palestine — et le monde — a instamment besoin d’un horizon véritablement décolonisé qui commence par le rejet de la fausse équivalence entre sionisme et identité juive. Cela signifie qu’il faut libérer des fardeaux de la complicité et les opprimés et ceux qui sont enrôlés dans les structures durables de la domination – donateurs, gouvernements, institutions. Cela requiert qu’il faille se servir de nouveau de l’antisémitisme comme d’une accusation grave et non plus comme d’une arme rhétorique. Et cela exige des coalitions qui refusent d’échanger la vérité contre le confort ou la justice contre la proximité du pouvoir.
Affronter le sionisme, ce n’est pas raviver les vieux mythes antisémites – cela consiste à démanteler le nouveau mécanisme, bien réel, de contrôle et de répression. C’est récupérer la clarté morale de l’antisémitisme et l’arracher à ceux qui l’instrumentalisent, et c’est considérer la critique comme essentielle et non comme haineuse.
La bonne nouvelle, c’est qu’Israël, naguère un allié stratégique des puissances occidentales, entache désormais leur bilan en matière des droits de l’homme et brise leur crédibilité auprès des blocs mondiaux émergents.
La solidarité décoloniale est matérielle, mondiale et collective en ce sens qu’elle reconnaît que la technologie de surveillance utilisée sur Gaza contrôle également les quartiers noirs de Detroit, que les lois anti-BDS réduisent au silence les étudiants à Paris aussi bien que les dissidents à Johannesburg. La libération, insiste-t-elle, est indivisible.
L’avenir ne sera pas bâti par ceux qui confondent critique et haine, mais par ceux qui refusent le silence en tant que prix de la justice. Comme nous le rappellent Eve Tuck (Unangax̂) et K. Wayne Yang :
« La décolonisation n’est pas une métaphore. Ce n’est pas un symbole. C’est le démantèlement de systèmes qui ont été mis sur pied pour oblitérer. »
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Rima Najjar est une Palestinienne dont la branche paternelle de la famille provient du village dépeuplé de force de Lifta, dans la périphérie occidentale de Jérusalem et dont la branche maternelle de la famille est originaire d’Ijzim, au sud de Haïfa. C’est une activiste, une chercheuse et une professeure retraitée de littérature anglaise, à l’Université Al-Quds, en Cisjordanie occupée.
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Publié le 1er juillet 2025 sur le blog de Rima Hassan
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine