Dans son nouveau livre « Destruction massive – géopolitique de la faim » , Jean Ziegler consacre un post-scriptum à la situation à Gaza. En voici un extrait.
Le ghetto de Gaza
En tant que puissance occupante, Israël se devrait de respecter le droit international humanitaire et renoncer notamment à l’usage de l’arme de la faim contre la population civile (1). Voici ce qu’il en est.
Je me suis trouvé un après-midi à Gaza City, dans le bureau inondé de soleil de la commissaire générale de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA / United Nations Relief ans Works Agency in the Near East), Karen Abou Zaïd, une belle femme d’origine danoise mariée à un Palestinien. Elle portait avec élégance, ce jour-là, une vaste robe palestinienne brodée de rouge et de noir.
Pied à pied, jour après jour, depuis celui de 2005 où elle avait remplacé son compatriote Peter Hansen, déclaré persona non grata par l’occupant israélien, elle luttait contre les généraux israéliens pour maintenir en état les centres nutritionnels, les hôpitaux et les 221 écoles de l’UNRWA.
La commissaire générale était préoccupée : « L’anémie provoquée par la malnutrition… beaucoup d’enfants en sont malades. Nous avons dû fermer plus d’une trentaine de nos écoles… Beaucoup d’enfants ne tiennent plus sur leurs jambes. L’anémie les ravage. Ils ne réussissent plus à se concentrer. »
A voix basse, elle poursuivit : « It’s hard to concentrate when the only thing you can think of is food. » (C’est dur de se concentrer lorsque la seule chose à laquelle vous pouvez penser est la nourriture. ») (2)
Après 2006, dans la bande de Gaza, par suite du blocus israélo-égyptien, la situation alimentaire s’est encore détériorée.
En 2010, le chômage touchait 81% de la population active. La perte d’emplois, de recettes , d’actifs et de revenus a fortement hypothéqué l’accès des Gazaouis à la nourriture.
Le revenu par habitant a diminué de moitié depuis 2006. En 2010, huit personnes sur dix avaient un revenu inférieur au seuil de l’extrême pauvreté (moins de 1,25 dollar par jour); 34% des habitants étaient gravement sous-alimentés.
La situation est particulièrement tragique pour les groupes les plus vulnérables. Par exemple, ces 22.000 femmes enceintes, dont la sous-alimentation provoquera à coup sûr des mutilations cérébrales chez les bébés à naître.
En 2010, quatre familles gazouies sur cinq ne faisaient plus qu’un repas par jour. Pour survivre, 80% des habitants dépendaient de l’aide alimentaire internationale.
Toute la population de Gaza est punie pour des actes dont elle ne porte aucune responsabilité. (3)
Le 27 décembre 2008, les forces aériennes, terrestres et navales d’Israël ont déclenché un assaut généralisé contre les infrastructures et les habitants du ghetto de Gaza. 1.444 Palestiniens, parmi lesquels 348 enfants, ont été tués, souvent à l’aide d’armes dont Israël expérimentait pour la première fois l’usage.
Une des principales armes « testées » sur les femmes, hommes et enfants de Gaza : la DIME (Dense Inert Metal Explosive). Transportée par un drone, la bombe est faite de billes de tungstène qui explosent à l’intérieur du corps et déchirent littéralement la victime. (4)
Les habitants du ghetto se sont trouvés dans l’impossibilité de fuir : côté Israël en raison de la clôture électrifiée; côté égyptien du fait du verrouillage de la frontière à Rafah.
Plus de 6.000 hommes, femmes et enfants palestiniens ont aussi été blessés, amputés, paralysés, brûlés, mutilés. (5)
Les agresseurs ont systématiquement détruit les infrastructures civiles, notamment agricoles. Le plus grand moulin de blé de Gaza – l’un des trois seuls moulins encore en fonction – le moulin Al-Badr, à Sudnyiyah, à l’ouest de Jabalyah, a ainsi été attaqué par les F-16 israéliens, et totalement détruit. (6)
Le pain est pourtant l’aliment de base à Gaza.
Deux attaques successives, les 3 et 10 janvier 2009, menées par des avions de fusées air-sol, ont détruit l’usine d’épuration d’eau de Gaza City, située a la rue Al-Sheikh Ejin, et les digues de l’étang de rétention des eaux usées.
La ville s’est ainsi retrouvée privée d’eau potable.
Le président de la Commission d’enquête du Conseil des droits de l’Homme à l’ONU, Richard Goldstone, indique que ni le moulin Al-Badr, ni l’usine d’épuration de l’eau, ni la ferme d’Al-Samouni (où il y a eu 23 morts) n’abritaient, ou n’avaient abrité à quelque moment que ce fût, de combattants palestiniens.
Ils ne pouvaient donc constituer des cibles militaires légitimes.
En 2011 (*), le blocus de Gaza se poursuit. Le gouvernement de Tel-Aviv laisse entrer dans le ghetto juste assez de nourriture pour éviter une famine généralisée, trop visible sur le plan international.
Il organise la sous-alimentation et la malnutrition.
Stéphane Hessel et Michel Warschawski considèrent que cette stratégie a pour but de faire délibérément souffrir les habitants du ghetto afin qu’ils se soulèvent contre le pouvoir du Hamas.
A cette fin politique, le gouvernement de Tel-Aviv utilise donc l’arme de la faim. (7)
(*) Le livre « Destruction massive. Géopolitique de la faim » est sorti en octobre 2011 aux éditions Seuil.
Jean Ziegler est un homme politique, altermondialiste et sociologue suisse. Il a été rapporteur spécial auprès de l’ONU sur la question du droit à l’alimentation dans le monde. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dans lesquels il analyse notamment cette question. Il est membre du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations unies depuis 2009.
(1) cf. Richard Falk, rapporteur spécial de l’ONU pour les Territoires palestiniens occupés, notamment le rapports de juin 2010, aoüt 2010 et janvier 2011.
(2) Karen Abou Zaïd a occupé le poste de commissaire générale de l’UNRWA jusqu’à la fin 2009.
(3) Comité international de la Croix Rouge (CICR), « Gaza closure », Genève, 14 juin 2010. Voir aussi Christophe Oberlin, Chroniques de Gaza, Paris, Editions Demi-Lune, 2011; aussi Amnesty International, Suffocating, The Gaza Strip under Israël blockade. Londres, 2010.
(4) Voir le rapport des médecins norvégiens Mats Gilbert et Erik Fosse, Eyes in Gaza, Quartet Books, Londres, 2010.
(5) Rapport Goldstone, chapitre 6, « Les morts et les blessés ». Parmi les soldats israéliens, 10 ont été tués, plusieurs d’entre eux par « friendly fire », à la suite d’erreurs de tirs de l’armée israélienne elle-même.
(6) Ibid., chapitre 13, « Destruction des bases de vie de la population palestinienne, attaques contre la production alimentaire et l’approvisionnement en eau ».
(7) Stéphane Hessel et Michel Warschawski, interventions lors du colloque intitulé « Crimes de guerre, blocus de Gaza », tenu à l’Université de Genève, le 13 mars 2011.
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