Le message du verdict à propos de Rachel Corrie est clair : Israël ne veut pas de la présence de gens de conscience au moment même où il commet des actes répréhensibles. Ces personnes risquent leur vie.
Le printemps 2003 a été un printemps horrible. Une Intifada battait son plein dans les rues d’Israël ; des explosifs pétaient de partout à proximité de la frontière entre Gaza et l’Égypte, le long de la route Philadelphie, et, à Rafah, des bulldozers rasaient des centaines de maisons palestiniennes, dont un grand nombre appartenaient à des gens innocents. Quelques mois plus tôt, une jeune Américaine était arrivée à Rafah. Elle venait d’Olympia, dans l’État de Washington.
Rachel Corrie avait rencontré un jeune d’origine palestinienne et c’est à son contact qu’elle avait découvert les souffrances de son peuple. À l’âge de vingt-trois ans, elle avait décidé de faire quelque chose. Elle avait rejoint le Mouvement international de solidarité et s’était rendue à Gaza. Durant les premières semaines, elle avait été témoin des actions de Forces de défense israéliennes à Gaza, en avait parlé à sa famille et à ses amis et avait décidé d’agir en tant que bouclier humain.
En même temps, deux citoyens britanniques avaient également débarqué – Tom Hurndall, un autre activiste de la paix, et James Miller, un réalisateur de documentaires déjà récompensé et qui était venu faire un film sur ce qui se passait à Gaza. Ce film, il l’intitula « Mort à Gaza ». En quelques semaines, tous trois furent tués par les FDI.
Rachel Corrie fut écrasée en essayant de sauvegarder une maison à l’aide de son propre corps, pendant qu’un bulldozer tentait de la raser. Miller fut tué par un sniper en sortant d’une maison avec un drapeau blanc. Après que la première balle l’eut touché, il s’arrangea encore pour crier aux soldats : « Nous sommes des journalistes britanniques », comme on peut l’entendre clairement dans la vidéo qui fut filmée sur place, dans l’obscurité et, ensuite, en guise de réponse, une seconde balle tirée par un sniper le tua.
Hurndall fut tué alors qu’il tentait de servir de bouclier humain à un groupe d’enfants qui étaient entrés dans une zone où l’on tirait des coups de feu. Un jury britannique établit que Miller avait été tué intentionnellement, mais seul le soldat qui tua Hurndall fut jugé et condamné à huit ans d’emprisonnement, pour être ensuite libéré au bout de six ans. Personne ne fut jugé pour les homicides de Corrie et de Miller.
Ces trois activistes internationaux étaient des gens de conscience courageux, dont toute société morale devrait être fière – des brillants exemples de jeunes gens qui s’impliquent et s’engagent. Alors que leurs amis passaient leur temps dans des fêtes et ne faisaient rien de bien important, eux s’étaient rendus sur le site d’un désastre humanitaire.
Ils n’avaient aucunement mis en danger les soldats des FDI [« Forces de défense d’Israël », l’appellation publicitaire de l’armée d’occupation israélienne – NDLR], mais l’armée ne voulait pas qu’ils fussent là. Ils étaient dans les pieds de l’armée, dans leur tentative d’empêcher des crimes de guerre à l’aide de leur propre corps et de les filmer avec leurs caméras. Il fallait qu’ils fussent là pour ces mêmes raisons, précisément, pour lesquelles les FDI ne voulaient en aucun cas de leur présence.
Il y a deux jours, un tribunal de Haïfa a décrété que Rachel Corrie était responsable de sa propre mort.
Ce fut une triste journée pour la justice et pour les lois internationales et, comme l’ont déclaré ses parents : ce devrait également être une triste journée pour Israël. Il est du devoir des FDI – rappelons-le, entre autres choses – de défendre les civils en zone occupée. Même si le conducteur du bulldozer et le soldat assis près de lui n’ont pas vu Corrie et ne l’ont pas écrasée délibérément – comme l’a estimé le tribunal – les FDI n’ont pas pris de mesures suffisantes pour empêcher que Corrie fût tuée.
Dans l’esprit du commandant telle que la chose fut perçue alors (et aujourd’hui aussi), ces volontaires devaient être expulsés de la zone. Ce vent mauvais souffla également cette semaine lors du prononcé du tribunal ; sa froidure fit son chemin vers le mouvement de solidarité et, de cette manière, indirectement, elle sanctionna les homicides.
Rachel Corrie est devenue une icône internationale. Il est honteux qu’il n’y ait pas plus de jeunes Israéliens comme elle. Son organisation n’est pas pro-israélienne – loin de là –, ses membres sont souvent dogmatiques mais c’est leur prérogative. Le moins auquel on puisse s’attendre d’Israël après qu’elle eut été tuée, délibérément ou par accident, c’est d’amener les personnes impliquées devant un tribunal, à tout le moins pour négligence, de présenter des excuses et de payer une compensation.
Dans le cas de Miller, sans doute le cas le plus évident d’homicide délibéré, Israël a payé une somme importante en guise de compensation, mais personne n’a été traîné en justice.
Cette semaine, le juge à Haïfa a ajouté son verdict à une longue et pénible liste de sentences de tribunal destinées à autoriser presque toutes les sortes d’actes abusifs commis par les FDI. Le message est clair : Israël ne veut pas de la présence de gens de conscience au moment même où il commet des actes répréhensibles. Ces personnes risquent leur vie.
Et le message aux militaires est celui-ci : Il est permis de les tuer, rien de mal ne vous arrivera. Quand les FDI agissent de la sorte, il est peut-être possible de le comprendre, mais quand le système judiciaire autorise ce genre d’acte, c’est de la dépravation.
Vois, Rachel, vois – Ta mort n’a pas été inutile. Elle a au moins révélé, une fois de plus, que le système judiciaire israélien est le complice de mauvaises actions.
Publié dans Haaretz le 30 août 2012.
Traduction pour ce site par Jean-Marie Flémal.
Gideon Levy est un chroniqueur et membre du comité de rédaction du journal Haaretz.
Il a rejoint Haaretz en 1982 et a passé quatre ans comme vice-rédacteur en chef du journal. Il a obtenu le prix Euro-Med Journalist en 2008, le prix Leipzig Freedom en 2001, le prix Israeli Journalists’ Union en 1997, et le prix de l’Association of Human Rights in Israel en 1996. Son nouveau livre, The Punishment of Gaza, vient d’être publié par Verso. Traduit en français : Gaza, articles pour Haaretz, 2006-2009, La Fabrique, 2009
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De jeunes femmes de Gaza lancent un appel, en mémoire de Rachel, pour renforcer la campagne BDS :