Les femmes palestiniennes sont harcelées et humiliées aux check-points.

Mariam Barghouti

Six filles et femmes palestiniennes témoignent de l’harcèlement et de l’humiliation qu’elles ont subis aux check-points de l’occupation

Au check-point de Qalandiya

Depuis 1967, environ 40 % de la population masculine a été arrêtée un jour ou l’autre par Israël. Avec leurs maris en prison, les femmes palestiniennes doivent continuer à survivre et à assurer le bien-être de leurs familles.

Entre les confrontations croissantes aux violations israéliennes et l’obligation de gagner leur vie en même temps que celle de soigner leurs proches, les femmes palestiniennes doivent subir un double poids, tout en vivant sous les pressions de l’occupation continue de la Cisjordanie par Israël.

L’un des aspects de cette occupation réside dans les check-points militaires.

En 2017, on recensait 98 check-points israéliens permanents autour et à l’intérieur de la Cisjordanie.

Ce chiffre ne tient pas compte des centaines de check-points volants qui apparaissent sporadiquement un peu partout dans la région.

Selon l’OCHA, plus de 2,4 millions de personnes sont affectées par les restrictions physiques imposées en Cisjordanie.

Alors qu’Israël prétend que ces check-points sont nécessaires pour des raisons de sécurité, les Palestiniens disent qu’il s’agit d’une autre mesure pour restreindre davantage encore le moindre contrôle de leur part sur le minuscule espace qu’on leur a accordé.

Plutôt qu’une sécurité, bien des Palestiniens perçoivent ces check-points comme une façon de les humilier et de réduire encore leur dignité.

Les check-points ont également un effet destructeur sur l’économie et la prospérité des Palestiniens, et les femmes et les filles ne sont absolument pas épargnées elles non plus par les conséquences négatives des check-points.

Voici quelques-uns de leurs récits.

Maysanne Murad, 13 ans, check-point de Qalandiya

J’étais excitée de voir ma meilleure amie. Au moment où mes parents ont été d’accord pour me laisser passer la nuit chez elle, j’étais déjà prête et j’attendais près de la porte.

Je me suis rendue au principal arrêt de bus de Ramallah, près de mon école, et je suis montée dans un bus #119. Je n’étais pas du tout nerveuse.

C’est toujours ce que je faisais, puisque mon amie vit à Jérusalem et moi de l’autre côté du check-point de Ramallah. D’habitude, il me faut un peu plus d’une heure pour arriver chez elle.

Il y avait beaucoup de circulation, ce jour-là, puisqu’on était un samedi. Mais cela ne me dérangeait pas, puisque je lis toujours un livre.

Quand le bus s’est approché, en face de la ligne, j’ai déplié le koshan que je gardais dans la poche arrière de mon portefeuille rose clair.

Quelqu’un près de moi m’a demandé ce qu’était ce papier et je lui ai expliqué que, puisque je n’étais pas assez âgée pour avoir une carte d’identité, j’avais un document légal confirmant que j’avais l’autorisation d’entrer à Jérusalem.

Un garde israélien armé portant un uniforme vert est monté dans le bus et je me suis sentie un peu nerveuse. Il tenait fermement son arme et, avec méfiance, s’est mis à examiner les cartes de tout le monde.

Quand il est enfin arrivé près de moi, je me suis préparée à un tas de questions. Généralement, on me posait beaucoup de questions, puisque ma photo n ‘était pas reprise sur le koshan.

Celui-ci contenait des informations comme mon nom, mes date et lieu de naissance. Je n’ai jamais compris pourquoi le koshan était si important, puisque toute personne de mon âge pourrait aisément mémoriser ces informations et se faufiler vers Jérusalem.

Le soldat a pris mon papier et m’a regardée. J’étais ici, à un carrefour ; je pouvais plisser légèrement les yeux et serrer les lèvres pour le défier, ou je pouvais ouvrir les yeux tout grands pour avoir l’air innocent.

C’est ce que j’ai décidé de faire, c’était un choix plus sûr. Je savais que, si je le défiais, j’allais précisément retarder le bus et que cela n’aiderait en rien mon cas.

Il a fait signe à son collègue et ils m’ont posé les questions de routine : mon nom, mon âge, mon lieu de naissance, où se trouvaient mes parents et où se trouvait le koshan original.

J’étais un peu nerveuse parce que, d’habitude, un seul soldat me posait des questions pendant que l’autre contrôlait d’autres passagers.

Cette fois, après m’avoir posé les questions, il a gardé mon papier. Puis ils m’ont dit de descendre du bus.

Comme je descendais tant bien que mal du bus, mon sac de voyage m’a fait perdre l’équilibre.

J’ai jeté un regard en arrière vers le conducteur et j’ai reconnu ses regards effrayés mais menaçants suivant les soldats, puisque ce sont toujours les mêmes regards que les Palestiniens adressent aux militaires.

J’ai tenté de respirer. Cela ne s’était jamais produit auparavant. Habituellement, ils me posaient des questions, puis me laissaient aller. Mais j’étais ici, debout au beau milieu du check-point.

J’ai regardé autour de moi et j’ai vu une tache de noir et de vert. Les uniformes avec leur camouflage et les armes me donnaient le vertige.

Cinq soldats au moins se pressaient autour de moi. Ils ne m’ont pas proposé un siège et je ne me sentais pas du tout à ma place.

J’avais chaud et mes vêtements me collaient à la peau. Je me sentais piégée et en piteux état parce que j’avais retardé le bus.

Je ne pouvais m’empêcher de penser à ces gens qui étaient fatigués et qui voulaient tout simplement rentrer chez eux, dans leurs familles.

Je me sentais tellement mal à l’aise du fait que tous les soldats parlaient hébreu, tandis que j’essayais de déchiffrer ce qui se disait autour de moi.

L’un des soldats m’a regardée avec sympathie, puis s’est retourné et a rigolé au moment où un autre soldat a lâché une plaisanterie à haute voix.

Ici, j’ai plissé le regard à l’adresse des soldats. Comment pouvaient-ils se sentir si bien en étreignant leurs armes et en interrogeant un enfant ?

C’était la première fois que j’étais obligée de descendre de mon bus. Je me sentais en danger et violée. On m’interrogeait parce que je voulais voir mon amie.

Après 20 minutes, on m’a rendu mon koshan et je suis rapidement remontée dans le bus, brusquement épuisée par le poids de mon sac.

Je n’ai pas lu mon livre. J’étais débordée de tristesse et de fatigue.

Environ 20 minutes plus tard, j’ai atteint ma destination.

J’ai marché en direction de la maison que je connaissais si bien et me suis assise devant un bol de soupe tout en racontant mon histoire à la famille en face de moi, qui écarquillait les yeux.

Ils n’étaient par surpris par cet étrange incident, mais bien surpris parce que cela m’était arrivé à moi.

Je n’ai que 13 ans.

Samar Ahmad (pseudonyme), 29 ans, check-point de Qalandiya

La procédure consistant à franchir les check-points ne commence pas au check-point, pour les Palestiniens nantis de cartes d’identité cisjordanienne, mais bien par l’introduction d’une demande auprès des Bureaux israéliens de coordination du district (DCO) en vue de l’obtention d’un permis.

Je me souviens d’être allée au DCO de Beit El pour avoir le mien. C’était en hiver, il faisait froid et j’étais seule, là-bas. C’est une procédure que j’avais suivie de nombreuses fois, du fait que je travaille à Jérusalem.

Chaque fois que je m’y rends, j’entre dans une pièce. Elle est vide, mais il y a des caméras et les gardes vous parlent via des hauts-parleurs.

Une fois, après que j’avais déposé toutes mes affaires sur le tapis roulant et que je m’étais approchée du détecteur de métaux, une voix s’est mise à me crier dessus via les haut-parleurs.

« Vous avez du métal sur vous ! », a continué à crier la voix.

J’étais seule. J’avais peur.

« Vous avez du métal sur vous ! »

Je continuais à me demander pourquoi il leur fallait hurler de la sorte. J’ai répété : « Je n’ai pas de métal. »

C’est étrange – vous avez l’impression de vous parler à vous-même, en essayant de convaincre l’une ou l’autre voix désincarnée que vous n’avez pas de métal sur vous.

Brusquement, un porte s’est ouverte et un homme est entré. Il avait une arme qu’il pointait sur moi.

« Vous avez du métal sur vous ! », a-t-il crié.

J’étais perturbée et tout ce que je pouvais envisager de faire était de le regarder afin de le calmer un peu et de lui réaffirmer que je n’avais pas de métal sur moi.

C’était à une époque où les forces israéliennes abattaient des Palestiniens à bout portant.

Si je n’étais pas restée calme et si je n’avais pas parlé anglais avec lui, j’aurais pu me faire abattre facilement, parce qu’il était convaincu que j’étais suspecte.

Je voyais juste un homme avec une arme, prêt à tirer, et les mots qui ne cessaient de revenir : « Vous avez du métal sur vous ! »

Je continuais à me dire de rester calme et aussi de le calmer, lui. Je devais m’assurer qu’il n’allait pas appuyer sur la détente.

J’ai lâché une plaisanterie et j’ai montré du doigt mon piercing nasal, puis j’ai dit : « Peut-être est-ce cela, le métal dont vous parlez ? »

Ou peut-être était-ce mon soutien-gorge, ai-je suggéré. Je lui ai demandé s’il désirait que j’ôte ma chemise pour lui prouver qu’il n’y avait rien là.

Il a cessé de crier pendant une seconde et m’a regardé.

« Avec vous, les femmes, il y a toujours des ennuis », a-t-il dit. Il a rengainé son arme et est retourné dans son bureau.

Voilà où commence le périple des check-points pour un grand nombre d’entre nous.

Le passage des check-points israéliens, en fait, est un tout autre monde. Du fait que je travaille à Jérusalem, je dois passer chaque jour par Qalandiya. C’est la partie la plus pénible de ma journée.

Le check-point pédestre concerne les Palestiniens de toutes les couches de la société, et je constate qu’il nous vaut à tous les pires désagréments.

La chaleur vous accable. Le froid vous accable. Il y a de la crasse partout. Toute la zone n’est qu’une masse de gris. Elle est complètement polluée.

Nous sommes entassés dans ces endroits minuscules, avec ces barrières de métal habituellement présentes dans les fermes pour le bétail. Vous vous mettez à vous prendre pour un animal en cage.

Passer par cette procédure quotidiennement est épuisant et vous ne parvenez pas toujours à maîtriser l’expérience. Parfois, elle vous colle à la peau.

Je me souviens au check-point d’un homme plus âgé qui, manifestement, venait de sortir d’une opération.

Le soldat ne n’avait pas laissé passer, et il était évident que l’homme avait besoin de soins médicaux.

Il était vieux et épuisé. Je l’ai regardé, puis j’ai regardé le jeune soldat qui lui refusait l’entrée. Je n’ai pu m’empêcher de craquer, à ce moment.

C’était si pénible. Je ne cessais de m’imaginer mon père obligé de subir une telle situation.

C’est comme la perte de son humanité. Tout ce qui restait à faire, à ce moment-là, c’était de pleurer.

Nora Lester Murad, 53 ans, aéroport Ben-Gourion

Je monte sur l’estrade, au terminal des départs, et derrière laquelle se trouve un fonctionnaire de la sécurité.

Je lui tends mon passeport. En souriant, il l’ouvre, me regarde et demande : « Pourquoi vous appelez-vous Murad ? »

C’est une question à laquelle je m’attends chaque fois que je franchis la sécurité lors de mes départs, à l’aéroport Ben-Gourion.

C’est le même scénario, le même harcèlement que l’on retrouve habituellement aux check-points de toute la Cisjordanie.

Cela peut sembler contre-intuitif, mais je rencontre plus de difficultés pour quitter Israël que pour y entrer.

Je pense que les personnes qui sont harcelées, retardées ou qui se voient refuser l’entrée quand elles arrivent sont celles qui sont faciles à cibler parce qu’il leur faut un visa de tourisme.

Moi aussi, j’ai un visa qui est délivré selon le bon vouloir d’Israël mais, du fait que je suis l’épouse d’un citoyen, Israël a besoin d’une raison assez solide pour me refuser l’entrée.

Il est à remarquer que je ne fais l’objet d’un contrôle sécuritaire que lorsque je voyage seule.

Pourquoi m’appelé-je Murad ?

Je n’ai d’autre façon de répondre qu’en disant la vérité : C’est le nom de mon mari.

Je l’ai ajouté à mon nom de jeune fille plusieurs années après notre mariage, de façon à pouvoir partager le même nom de famille que celui de mes enfants.

Mais je ne vais pas entrer dans ces détails. Je reconnais simplement que je suis marié avec un homme dont le nom de famille est Murad.

« D’où est-il ? »

« D’ici », réponds-je.

« D’où exactement ? »

À ce moment, ils regardent déjà derrière eux afin d’attirer l’attention du superviseur.

Mon mari est originaire d’un village palestinien de Galilée. Les villageois sont tous citoyens d’Israël, mais il n’y a pas de Juifs, là-bas.

En leur disant le nom du village de mon mari, je suis désormais cataloguée comme présentant un risque sécuritaire.

Il fut un temps où les voyageurs présentant le risque sécuritaire le plus élevé se voyaient apposer une étiquette rouge sur leur passeport et sur chacune des pièces potentiellement explosives de leurs bagages mais, désormais, ils utilisent des étiquettes avec des chiffres.

En tant que « six », j’avais l’habitude d’avoir le traitement complet pour VIP, y compris une fouille corporelle minutieuse, une file d’entrée spéciale et une escorte personnelle tout au long des formalités de sécurité.

Aujourd’hui, on ne m’applique plus la fouille corporelle et je dois me déplacer toute seule à travers le processus sécuritaire.

Mais on ne pose toujours la même question précise : « Pourquoi vous appelez-vous Murad ? » et tout l’interrogatoire raciste qui s’ensuit.

Quand je voyage avec mon mari, on nous traite beaucoup mieux. Nous sommes fouillés comme tout le monde et ils ne nous harcèlent pas avec leurs questions ridicules. Ils ne sont même pas discourtois.

La différence entre la façon dont je suis traitée quand je voyage seule et la façon dont je le suis quand je voyage avec mon mari est frappante depuis des années, et même des décennies.

Je crois que les forces de sécurité israélienne s’imaginent que mon mari (du fait qu’il est arabe) va tenter de faire sauter l’avion et que (parce que je suis une femme étrangère), je pourrais facilement être abusée et transporter la bombe sans en être consciente.

Ce profilage ne tient pas compte du fait que je suis mariée depuis près de 30 ans, que nous avons trois enfants ensemble, que nous avons tous deux un diplôme de doctorat, que je voyage seule, aller et retour, via l’aéroport Ben-Gourion, et ce, plusieurs fois par an, et il ne tient pas non plus compte du fait que nous sommes très connus comme des personnes non violentes et partisanes de la paix.

Le profilage me déshumanise. Et le problème, avec la déshumanisation, c’est qu’il est impossible de faire la paix avec quelqu’un qui vous a déshumanisé.

Sireen Amra, 15 ans, check-point de Qalandiya

« Ce n’est pas juste », a expliqué ma mère au soldat israélien qui disait que je ne pourrais passer qu’avec un permis.

J’ai concentré mon regard sur le béton lézardé sous mes pieds afin d’éviter de les rergarder l’un ou l’autre.

Ça commençait à me sembler bizarre que, ce matin, précisément, j’aie été si impatiente de visiter Jérusalem, que j’aie pratiquement mendié auprès de ma famille tout entière pour que nous ayons une belle journée.

Celle-ci allait s’avérer plus pénible que je ne l’aurais pensé.

« Ce n’est pas juste », a-t-elle dit. Elle a pointé le doigt sur la date de naissance renseignée dans mon passeport, pour indiquer que je n’avais que 8 ans.

Néanmoins, la domination israélienne a toujours été beaucoup plus vieille que moi, de sorte qu’elle avait la priorité de l’âge, dans de telles situations.

Une fois de plus, j’étais refoulée. Mes mains tremblantes se baladaient impulsivement sur les bords de ma robe, que j’avais achetée spécialement pour ce congé de l’Aïd.

« N’empêche, ce n’est pas juste. »

Ma mère cherchait de meilleurs mots, des mots qui auraient magiquement scellé un combat interminable, mais elle ne pouvait les trouver. Peut-être était-ce parce qu’il n’y en avait pas.

J’ai regardé à nouveau mes sœurs pour chercher à me rassurer et, en lieu et place, j’ai découvert le spectacle de douzaines de Palestiniens bloqués par ce qui semblait être bien plus que de simples détecteurs de métaux.

Ils étaient entassés les uns sur les autres dans les limites de barreaux en acier et, pour la première fois, j’ai eu le sentiment qu’il s’agissait d’un zoo.

Regardant à distance, il y avait les soldats qui tenaient fermement leurs armes comme s’ils s’imaginaient que l’un des animaux aurait pu les frapper.

Ce n’est pas l’impression qu’ils donnaient, pourtant : leurs visages semblaient trop vides et trop fatigués pour se battre.

Les gens nous regardaient, ma mère et moi, avec commisération, sauf qu’il y avait quelque chose dans leur regard qui me disait que ce n’était pas une scène inhabituelle.

Mon esprit de 8 ans ne pouvait pas se concentrer sur la dispute de ma mère avec le soldat israélien, qui était assis confortablement derrière la paroi de verre ; j’étais bien trop occupée à tenter de faire tenir ensemble la force arbitraire et incompréhensible qui émanait des cris de l’enfant de 3 ou 4 ans qui se trouvait devant moi et qui, lui non plus, n’aurait pas l’autorisation de franchir le check-point de Qalandiya.

Les genoux presque impulsivement pliés et le dos courbé, j’espérais que j’allais ressembler à bien moins qu’une menace.

Étonnamment, la méthode ne fonctionna pas. Le check-point devint silencieux autour de ma mère, comme si le silence général allait rendre ses mots plus audibles encore.

Les gens pensaient que peut-être, peut-être seulement, si aucun d’entre eux ne disait mot, les soldats n’auraient d’autre choix que celui d’écouter.

Je tapotai les épaules de ma mère pour attirer son attention, mais chaque bref contact oculaire que nous partagions semblait uniquement remplir ses propos d’une urgence plus grande encore.

Les titres des informations parlant de Palestiniens abattus pour avoir lutté contre la même force inexplicable que celle à laquelle ma mère était confrontée ont rejailli dans ma mémoire.

Ce n’étaient plus seulement des histoires, parce qu’à ce moment précis, je pouvais les voir de mes propres yeux.

Tout ce que j’avais entendu dans mon enfance à propos de la lutte entre Palestiniens et Israéliens se muait en réalité, mais on aurait dit que cela arrivait trop tôt.

Le soleil chaud de l’été me pressait à briser la paroi de verre qui séparait le monde du soldat israélien et le mien.

Il me disait de m’encourir à l’extérieur du check-point, où il faisait nettement moins sombre et moins froid. Peut-être, si j’avais été de quelques minutes plus jeune, que je l’aurais fait.

Environ trois ans se sont écoulés avant que je ne retourne au check-point de Qalandiya.

Quelques-uns de mes cousins plus jeunes désiraient très désespérément voir le Dôme du Rocher de leurs yeux et découvrir à quoi ressemblait le monde au-delà de la Cisjordanie, comme cela avait été le cas naguère pour moi.

Je ne leur dis pas ce qui était arrivé la dernière fois, uniquement parce que je craignais que mes préoccupations n’aillent réfréner leur excitation.

Je ne me souviens plus de grand-chose de cette journée particulière, sauf qu’il a m’a semblé qu’une conscience bizarre m’ait suivi partout depuis.

Elle me rappelait constamment que mes cousins semblaient contempler une planète absolument différente au travers d’une lorgnette qui l’était tout autant.

La leur, de planète, était si riche en couleur, si vivace, mais la mienne était toujours restée floue, depuis ce matin de l’Aïd voici quelques années.

En rentrant à la maison, j’étais certaine que c’était la dernière fois que je passerais jamais par le check-point de Qalandiya.

Il semblait inutile d’y retourner, si tout ce qui en avait découlé m’avait rendue inconfortablement consciente de la façon dont tout avait changé en rien qu’une seule journée.

Pourtant, maintenant que je ne vis plus en Palestine, je donnerais tout pour revoir Jérusalem, même si cela signifiait de devoir subir les mêmes battements de cœur rapides en me retrouvant en face de cette même paroi de verre.

Umm Mohammed, 51 ans, check-point Container, Bethléem

Je revenais de Ramallah et j’étais en route pour Bethléem avec mon fils. Nous étions en voiture et, quand nous sommes arrivés au check-point, un soldat nous a fait signe d’arrêter.

J’ai arrêté la voiture, j’ai préparé ma carte d’identité et j’ai attendu que le soldat s’approche. Mon fils, qui n’a que 13 ans, était assis sur le siège du passager, à côté de moi.

Quand le soldat est arrivé, il a demandé les papiers de mon fils. Je lui ai expliqué que j’étais sa mère et qu’il n’avait toujours pas reçu de carte d’identité.

Mon fils, qui avait l’habitude d’entendre des histoires à propos de ses amis qui avaient été fouillés complètement et arrêtés au check-point, était manifestement effrayé. Il avait les mains entre les jambes et tenait la tête basse.

Cela a semblé suffisant pour faire de lui un suspect.

« Hors de la voiture », a dit le soldat en pointant son arme sur mon fils.

J’ai regardé le soldat, qui était assez jeune pour être un de mes fils et tenait fermement son fusil. J’ai regardé mon propre fils, qui portait un T-shirt de la marine et qui était effrayé. J’ai imploré le soldat : « Il n’a que 13 ans, qu’est-ce que vous lui voulez ? »

Il a ignoré ma demande et a répété : « Hors de la voiture. »

Mon fils m’a regardée, je me sentais si désespérée. Je ne savais que faire. « C’est OK, mon chéri. Ce sont des lâches, ils veulent simplement contrôler. »

Mon fils a été sorti de la voiture et emmené vers le baraquement à proximité du check-point. Ils ne lui ont pas parlé, ils l’ont juste obligé à se tenir debout sous le soleil. Au bout de quelques minutes, j’ai décidé d’intervenir.

« Je veux parler à mon fils », ai-je dit. « Vous vous contentez de le laisser en pleine chaleur et il n’a que 13 ans. »

Un soldat m’a ordonné de la fermer en hébreu. J’ai essayé de nouveau, pensant que, peut-être, si j’insistais suffisament, ils nous laisseraient passer.

Ça a marché ; après quelques demandes et une demi-heure plus tard, mon fils a été renvoyé à la voiture et on nous a fait signe de passer.

Je ne savais que dire. Je ne savais que faire pour mon fils. Je suis sa mère, je suis censée le protéger contre des hommes armés.

Nous sommes tous deux restés silencieux durant tout le trajet du retour. Je l’ai regardé et j’étais contente qu’on me l’ait rendu.

Certaines mères n’ont pas eu la même chance.

Yara Dowani, 25 ans, check-point de Qalandiya

Je passe souvent en voiture par les check-points de Qalandiya et de Hizma. À Hizma, au check-point, c’est tout juste si on me demande jamais de m’arrêter.

C’est dû au fait qu’il s’agit du check-point utilisé par les colons, qui se montrent arrogants parce qu’ils ne sont pas obligés de s’arrêter ; si vous faites preuve de la même arrogance, les soldats ne vous arêtent pas, puisqu’ils ne contrôlent pour ainsi dire pas les Israéliens.

À Qalandiya, c’est une tout autre affaire. Un jour, je retournais à Jérusalem avec quelques amis. Nous étions allés nous amuser dans une fête à Ramallah et nous étions de très bonne humeur, écoutant notre musique à fond tout en roulant.

Quand nous avons atteint le check-point, nous n’avons pas pensé que la musique pourrait être un problème. Nous nous attendions au contrôle de routine de nos cartes d’identité et, ensuite, nous serions passés.

Nous nous trompions lourdement.

Le soldat nous a ordonné de faire cesser notre musique et, suite à notre refus, il nous à obligé de mettre la voiture à l’arrêt.

Une femme soldat s’est alors amenée pour nous crier dessus à partir d’une autre voie de passage. Mon amie lui a répondu en disant qu’elle devait rester dans sa propre voie.

Le commandant s’est alors pointé ; il parlait couramment l’arabe. À ce moment-là, nous avons eu peur.

« Ceci est une zone militaire », a-t-il dit. « Quand vous passez, c’est sans musique et vous suivez les instructions. »

Je lui ai expliqué qu’il n’y avait pas d’indication disant que la musique n’était pas autorisée.

À ce moment, mon amie est intervenue avec des citations concernant les droits de l’homme et les lois internationales. Il l’a complètement ignorée.

J’ai essayé d’expliquer à mon amie que ça ne marchait pas, ici. Ils ne se soucient absolument pas de ces lois.

Finalement, nous avons tenté d’expliquer que nous essayions tout simplement de profiter des vacances.

Après un moment pendant lequel il a tenté de nous effrayer, d’assurer son pouvoir et sa domination, nous avons pu passer.

Ce qui aurait pu prendre une minute, histoire de vérifier nos identités, en avait pris vingt.

La musique suffit à les provoquer. Le check-point est une zone morte.


Publié le 17 octobre 2017  sur Forward
Traduction : Jean-Marie Flémal

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Mariam Barghouti est une écrivaine qui vit à Ramallah. On peut la suivre sur Twitter.

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