Mustapha Awad, Belge d’origine palestinienne, a enfin été libéré il y a un mois, le 28 mars. Il a passé 253 jours en détention en Israël. 253 jours de trop. S’il est parmi nous maintenant, c’est grâce à la mobilisation de la société civile belge. Le gouvernement belge l’a bel et bien laissé tomber. Quelques éléments de bilan de la campagne pour sa libération.
Après des journées d’inquiétude (Mustapha se trouvait en isolement pour des interrogatoires, dans les centres de la police et de la sécurité israélienne), sa famille, ses camarades et amis ont reçu l’info disant que Mustapha avait été arrêté par les Israéliens à la frontière jordano-palestinienne. Un Comité « Free Mustapha » a été formé sur le tas, impliquant des membres de la Communauté palestinienne, du groupe de danse Raj’een et d’autres associations et a lancé une campagne pour sa libération. Une page Facebook, un site « Free Mustapha », une affiche et un compte bancaire ont été créés. Une campagne de pétitionnement, de photos et financière a été lancée. Ce Comité, qui a travaillé en harmonie avec la famille de Mustapha, a su rassembler les énergies de centaines et de centaines de personnes, tant au Nord qu’au Sud du pays, appuyé par des camarades en France, aux Pays-Bas et en Allemagne. Toutes et tous avaient compris que l’arrestation de Mustapha, était un précédent dangereux pour tout Palestinien, voulant rentrer dans son pays et pour tout activiste pour la cause palestinienne.
Voici quelques éléments de bilan des actions entreprises par le Comité.
Le Comité de soutien a fait appel à une avocate de qualité, Lea Tsemel, qui a 50 ans d’expérience au service des prisonniers palestiniens.
Elle a pu mettre en échec Israël et son ministère de la Sécurité qui avait traité Mustapha, ainsi que de nombreuses personnalités de la société civile palestinienne, de dangereux terroristes. Lea Tsemel a obtenu la libération anticipative de Mustapha 1) d’une prison de sécurité, fait extrêmement rare. Le ministère de la Sécurité n’accepte d’ailleurs pas sa défaite : sur son site il continue de calomnier Mustapha : « Mustapha Awad, accusé de terrorisme, a été libéré de prison. Et désormais il circule librement en Belgique. » Une attaque scandaleuse contre un homme qui vient de souffrir dans une prison israélienne, uniquement pour avoir pris la défense du peuple palestinien.
Le Comité a aussi fait appel à une avocate belge, Joke Callewaert. Nous avons pu payer les frais judiciaires, grâce une campagne financière intense et une solidarité extra-ordinaire.
En prison, Mustapha savait qu’on se bougeait en Belgique pour sa libération
C’était réconfortant pour Mustapha d’apprendre par la voix de son avocate et du consul que des actions avaient lieu en Belgique. Et surtout de recevoir du courrier. C’était très important pour lui, car sa famille au Liban ne pouvait pas lui rendre visite et lui ne pouvait pas donner de coups de fil.
Cette dure réalité, d’être coupée totalement de la famille, Salah Hamouri, l’avocat franco-palestinien, ex-prisonnier, l’a vécue avant lui. 2)
Des ateliers d’écriture ont été organisés à Alost, à Mons, à Amsterdam et lors de stands à d’autres activités. Après le jugement, Mustapha a pu recevoir des cartes, des lettres, des photos. Malheureusement, la direction de la prison en a retenu un paquet. Mais les cartes que Mustapha a reçues, il les a lues et relues des dizaines de fois. « Mustapha, tu as reçu tellement de cartes ! Félicitations ! Quelle solidarité ! », lui disaient les autres prisonniers, partageant sa joie.
Dans la petite vidéo ci-dessous, Mustapha remercie toutes les personnes qui se sont mobilisées et explique combien le courrier était important pour lui, comment cela lui a permis de tenir.
Une campagne de masse, riche en expériences
Le coup d’envoi de la campagne a eu lieu à ManiFiesta où la Plate-forme Charleroi-Palestine avait partagé sa tente avec le Comité Free Mustapha.
2.799 signatures ont très rapidement été récoltées sur une pétition demandant la libération de Mustapha. 102 associations et organisations belges ont signé cette pétition.
Un appel au soutien financier a été lancé par mail par des responsables de sept organisations : ABP, Association belgo-palestinienne, la Communauté palestinienne, ECCP, European Coordination of Committees and Associations for Palestine, Palestina Solidariteit, Plate-forme Charleroi-Palestine, Raj’een Dabkeh Group et Samidoun – réseau de solidarité avec les prisonniers palestiniens, tous membres du Comité.
En quatre mois, 14.622 € ont été rassemblés pour les frais judiciaires. 7.400 € du soutien récolté ont aussi aidé à couvrir les frais courants de Mustapha, dans sa prison en Israël et ici.
Rien que le bilan de la campagne financière (en total, plus de 22.000 €) montre l’énorme solidarité dont a pu bénéficier Mustapha en Belgique. Tout cela grâce au soutien récolté lors d’événements organisés par le Comité ou d’autres 3) et à des dons de personnes à titre individuel 4) ou d’organisations.
Plus de sept cents personnes sont descendues dans les rues lors de dix actions : deux rassemblements ont été organisés devant l’ambassade d’Israël 5), quatre autres rassemblements ont eu lieu devant le ministère des Affaires étrangères et un à la Gare centrale de Bruxelles. A Charleroi, des associations, syndicalistes et mandataires politiques ont réclamé la libération de Mustapha. Lors du rassemblement à Mons, une délégation a été reçue par le bourgmestre de la ville. Un rassemblement a également eu lieu sur le campus de l’ULB à l’initiative du cercle du Cercle des étudiants arabo-européens.
La campagne pour la libération de Mustapha était présente à de nombreuses activités, organisées par différentes associations.
Soutien du mouvement ouvrier et du monde culturel et académique
De nombreux délégués syndicaux ont participé à la campagne photos lors d’assemblées, actions ou piquets de grève 6). La FGTB, le MOC, la JOC, LBC-NVK (l’équivalent de la CNE-GNC) et Vie Féminine ont signé la pétition, de même que ACV-CSC Brussel-Halle-Vilvoorde, CSC Charleroi-Sambre & Meuse et le MOC Charleroi-Thuin. Les derniers ont également écrit des lettres réclamant une intervention du gouvernement belge.
La troupe de danse Raj’een, dont Mustapha était le cofondateur, a été présente à de nombreuses actions. Un concert benefit a été organisé par le comité « Free Mustapha » à Bruxelles; « 8 h pour Mustapha » ont eu lieu à Tournai, à l’initiative de Serge Hustache, député et président du Collège provincial du Hainaut.
Une Carte blanche dénonçant les deux poids, deux mesures par rapport au Nicaragua ou Israël et signée par 64 personnalités, principalement du monde académique, a été publiée sur les sites du Vif et de Knack, et a enfin obligé Didier Reynders à sortir du bois… par deux tweets, tout à fait hors propos !
Belle solidarité internationale
Appuyant la campagne belge, des militants sont intervenus de Lannemezan à Toulouse, d’Amsterdam à Genève, de Berlin au Liban 7), des personnes, des organisations se sont mobilisées pour Mustapha. Le site Samidoun a suivi la campagne au pied levé, des articles d’Ali Abunimah et de David Cronin sont parus sur The Electronic Intifada, Amira Hass, dans Haaretz, a décrit comment la sécurité israélienne a tenté d’empêcher une libération anticipative de Mustapha. Une centaine d’organisations internationales ont signé la pétition réclamant sa libération. Salah Hamouri, ex-prisonnier et avocat franco-palestinien, a témoigné sa solidarité avec Mustapha.
Les autorités belges n’ont pas levé le petit doigt pour sortir Mustapha de là
Une délégation du Comité Free Mustapha s’est rendue à cinq reprises au ministère des Affaires étrangères. Dès le premier entretien, les membres de la délégation ont évoqué les traitements inhumains dont Mustapha a été la victime, lors des 25 jours d’interrogatoire en isolement total (privation de sommeil, interrogatoires 20 h sur 24 h). Ils ont expliqué que les conditions de détention de Mustapha n’étaient pas conformes aux lois internationales.
Deux députés, Gwenaëlle Grovonius et Marco Van Hees, ont interpellé le ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders, le 17 octobre dans la Commission des Relations extérieures : pas de réponse à leurs questions pertinentes. Le ministre se permet même de mentir à propos des coups de fil que Mustapha aurait pu donner à sa famille. Un droit élémentaire qui a été refusé à Mustapha.
Le 25 septembre, 2.668 signatures en faveur de la libération de Mustapha ont été apportées. Nous avions envoyé un appel personnel par vidéo du frère de Mustapha résidant au Liban : aucune réaction. Le mépris total pour la famille et les citoyens. La Belgique a même permis (et permet toujours !) que Mustapha soit sali de « terroriste en costume » dans un texte officiel du ministère de la Sécurité publique israélienne 8).
C’est seulement une semaine après la décision de sa libération anticipative que Mustapha a reçu du consulat belge les documents de voyage nécessaires pour qu’il puisse être expulsé vers la Belgique. Pourtant les autorités belges étaient bien au courant qu’il lui fallait un passeport provisoire, puisque les services de sécurité israéliens ont prétendu le mois passé d’avoir « perdu » son passeport. Pendant ce temps, Mustapha a été trimbalé d’une prison à une autre, de Gilboa à Givon, de Givon à Megiddo. Actuellement, la Belgique n’ose même pas réclamer son passeport belge qui a été confisqué par Israël lors de son arrestation.
Alexis Deswaef, président d’honneur de la Ligue des Droits Humains, qui est intervenu inlassablement pour la libération pour Mustapha,9) déclara, le 6 février, au ministère :
« Lors de la première rencontre, on nous a dit qu’il fallait prendre patience, que la diplomatie était progressive, qu’on allait d’abord faire des notes verbales. Ensuite, on a dit que c’était un cas exceptionnel, qu’il fallait attendre le procès. Et maintenant que le jugement a eu lieu, mais qu’une libération anticipative est possible, on nous dit qu’on ne peut rien faire. L’attitude de la Belgique a été tout à fait contraire concernant l’arrestation d’Amaya Coppens au Nicaragua. Le ministre Reynders est intervenu le lendemain même de son arrestation auprès du gouvernement nicaraguayen. Pourquoi ces deux poids, deux mesures ? Parce qu’il s’agit d’Israël. »
Écoutez également, dans la vidéo en bas de l’article, sa réaction après avoir entendu le témoignage de Mustapha, le lendemain de sa libération.
Le Comité Free Mustapha est allé jusqu’au bout de ses démarches auprès du ministère des Affaires étrangères. Au sein du Comité « Free Mustapha », nos amis palestiniens ont cru qu’il fallait agir plus durement envers le ministère des Affaires étrangères dès le départ. D’autres nous ont conseillé le contraire. Nous avons joué la prudence mais, en fin de compte, nous nous rendons compte que nous avons été naïfs. L’Etat belge, fidèle ami et partenaire commercial d’Israël, n’allait rien faire pour Mustapha. Pour lui, le commerce des diamants et des armes est bien plus important que la défense de son citoyen.
Mustapha est libre, mais plus de 6000 prisonniers ont toujours besoin de notre solidarité
« Est-ce la fin ou le début ? » demandait une Palestinienne, membre du Comité après l’arrivée de Mustapha en Belgique. Ce qui est certain, c’est que l’action des membres du comité se prolongera, sous différentes formes, pour l’ensemble des prisonniers palestiniens.
Mustapha nous a rapproché de tous les prisonniers palestiniens. Nous avons vécu la peur et le stress en pensant à ce que Mustapha pouvait subir en Israël. Nous avons aussi mieux compris la souffrance des familles et proches des prisonniers, en rencontrant sa famille au Liban et par les contacts avec sa mère adoptive.
La campagne pour Mustapha a aussi mieux fait connaître la question des prisonniers palestiniens en Belgique. Nous réfléchissons comment être plus efficaces pour eux dans nos campagnes futures, sans oublier évidemment Georges Ibrahim Abdallah, qui est toujours emprisonné en France depuis 35 ans.
References
1. | ↑ | qui avait été condamné à un an d’emprisonnement, sur base d’un dossier vide… |
2. | ↑ | Salah Hamouri : « Les conditions de détention sont difficiles, surtout l’isolement collectif que l’on vit en prison. Personnellement, j’ai vécu les mêmes conditions de détention que les autres détenus, à la différence près que je n’avais pas le droit de recevoir la visite de ma femme et de mon fils qui sont interdits d’entrer en Palestine. C’était un moyen de pression supplémentaire sur moi. » |
3. | ↑ | la « Course pour la Paix » à Ypres, la présentation de la pièce de théâtre « Sauge qui peut », un « Christmas Dinner » d’ Intal Bruxelles, la vente de gauffres de Comac Anvers…. |
4. | ↑ | plusieurs personnes ont versé mensuellement 5 ou 10 € |
5. | ↑ | un rassemblement était organisé par le Comité Free Mustapha, l’autre par l’ABP |
6. | ↑ | En tout, près de 1000 personnes se sont fait prendre en photo avec l’affiche « Free Mustapha » |
7. | ↑ | une délégation carolo s’est rendu auprès de la famille de Mustapha |
8. | ↑ | un texte qui criminalise les prisonniers palestiniens, le mouvement des prisonniers, et la résistance palestinienne en général, ainsi que le mouvement international de boycott d’Israël |
9. | ↑ | jusqu’en haut du balcon de l’Hôtel de Ville de Bruxelles |