Plus encore que de l’apartheid

Nada Elia

Plus encore que de l'apartheid

18 février 2011. Un Palestinien dans sa propriété, face à la colonie illégale installée par Israël à Har Homa, en Cisjordanie. (Photo : UPI/Debbie Hill)

Une semaine après l’annonce officielle du « Deal du siècle » de l’administration Trump, ce ne sont pas les analyses qui manquent pour expliquer comment « cette vision en faveur de la paix et de la prospérité » légitimise les innombrables crimes d’Israël, dans le même temps qu’elle comblera les aspirations du pays à se faire accepter dans la région.

Et, alors que nous dénonçons cette vision, il convient de mettre l’accent sur le fait qu’elle ne propose vraiment pas grand-chose de neuf, d’autant qu’elle se contente d’officialiser un cadre contractuel de transgressions qui, depuis longtemps déjà, constituent « la réalité sur le terrain ».

Annexer Jérusalem ;
proclamer qu’elle est la capitale d’Israël ;
refuser le droit au retour des réfugiés palestiniens ;
le contrôle par Israël de toutes les frontières palestiniennes, y compris les frontières maritimes de la bande de Gaza ;
l’annexion des colonies de Cisjordanie ;
la démilitarisation palestinienne ;
la mise sur pied d’alliances régionales ;
mettre un terme à BDS,

tout cela ne constitue pas une « vision » audacieuse, mais plutôt et surtout une réalité de longue date, que Trump entend faire accepter officiellement par les Palestiniens.

(Sinon, quoi ?
Gaza est déjà invivable,
BDS a été criminalisé,
les manifestants de la Grande Marche du Retour sont abattus à vue,
dans le même temps que les réfugiés de la diaspora mondiale se voient refuser le droit au retour.)

En d’autres termes, le plan ne propose pas l’apartheid, il essaie de l’officialiser.

Et, pendant que les commentateurs restent occupés à expliquer les nombreux détails choquants du Deal, Israël fonce à toute vapeur pour annexer plus de terres encore et s’emparer d’un plus grand nombre encore de demeures palestiniennes.

Ici, aux États-Unis, le « Deal du siècle » a relancé le discours qualifiant les pratiques d’Israël d’apartheid – encore une fois, rien de neuf, l’analogie est à la base de l’appel aux BDS de 2005.

Et, comme nous accueillons favorablement ces signes tardifs d’acquiescement, nous devons continuer à faire passer le discours dénonçant toute l’ampleur de la catastrophe initiale qui a frappé les Palestiniens le siècle dernier, plutôt que ses manifestations récentes.

La Nakba a été bien plus que de l’apartheid

Pourtant, de nombreuses personnes s’imaginant progressistes ne remettent pas en question la mentalité de l’implantation coloniale qu’il y a derrière leur soutien à la solution à deux États, une solution qui préserverait leur Israël bien-aimé en tant qu’État juif.

Je pense à des groupes comme J Street, « le foyer politique des Américains pro-Israël et pour la paix » et IfNotNow, qui veut « mettre sur pied un mouvement de juifs en vue de mettre un terme à l’occupation israélienne », et qui ne dénonce que l’occupation de 1967.

Et, bien sûr, je me suis également exprimée sur le sionisme de Bernie Sanders, même si je maintiens qu’il est le meilleur candidat à la présidence, pour les Palestiniens.

Plus encore que de dénoncer l’apartheid, il est temps de reconnaître qu’Israël, quelle que soit la forme qu’il ait revêtu ou peut revêtir, n’aurait jamais vu le jour sans l’impérialisme et le colonialisme d’implantation de l’Europe.

S’il devait jamais y avoir eu un Israël en tant qu’État juif, dans des parties de ce qui fut jadis la Palestine, cet Israël n’aurait pu exister que via l’expulsion initiale, suivie par la violation toujours en cours du droit au retour du peuple palestinien dans ses foyers, terres, villages et villes dans l’Israël d’avant 1967.

Et ainsi donc, ceci est un appel à la cohérence : Exactement de la même façon que l’apartheid est une chose mauvaise et un crime contre l’humanité, le colonialisme d’implantation n’est autre que du racisme, il entraîne la dépossession et la privation de tous droits d’un peuple autochtone, et ce, afin de créer une enclave de suprématie – de quelque dimension que ce soit.

Le sionisme de 1917 (la Déclaration de lord Balfour), de 1923 (le « Mur de fer » de Ze’ev Jabotinsky) et de 1948, c’est-à-dire le sionisme des débuts qui posa les fondations du nouvel État d’Israël, n’était pas moins meurtrier et violemment séparatiste que le sionisme des occupants actuels d’Hébron.

Voici quelques semaines à peine, des « sionistes progressistes » ont été atterrés par une annonce alarmiste du New York Times (qui s’avéra injustifiée par la suite) disant que Trump allait sortir un ordre exécutif affirmant que le judaïsme était une nationalité, et pas seulement une religion.

Pourtant, si le judaïsme n’est pas une nationalité, l’autodétermination juive ne devrait nécessiter ni les privilèges ni les signes extérieurs d’un État-nation et, qui plus est, d’un État créé sur des terres volées dont les propriétaires légitimes restent des réfugiés aujourd’hui encore.

Quinze ans après la sortie de l’appel aux BDS, qui utilise l’Afrique du Sud comme modèle, il est finalement accepté par la majeure partie des progressistes qu’Israël est un État d’apartheid et non la vibrante démocratie que ces mêmes progressistes ont longtemps imaginée, en dépit de bon nombre de défauts et de manquements d’après 1967.

Le changement de discours est important, puisqu’il est à la base de la solidarité mondiale croissante avec le peuple palestinien. Mais nous ne devons pas nous arrêter là.

Nous devrions non seulement insister fortement pour que soit avoué l’apartheid israélien, nous devrions aussi exiger l’aveu de ce que tout État israélien juif, quelles que soient ses frontières dans la Palestine historique, est nécessairement un État colonial d’implantation. Et aucune forme de colonialisme d’implantation ne peut être progressiste.

L’État-nation moderne d’Israël, cet État créé par le biais d’une « déclaration » impériale dans les premières années du vingtième siècle, a été envisagé comme une enclave de suprématie ethnonationaliste, réalisée grâce à l’expulsion des habitants autochtones des terres qu’il occupe.

Le « Deal du vingt-et-unième siècle » ne peut être une continuation du colonialisme d’implantation.

Il doit être l’aveu de ce que toute forme de colonialisme d’implantation est mauvaise, et que la « réalité sur le terrain » d’aujourd’hui nécessite l’acceptation d’un État et d’un seul, du fleuve à la mer, avec l’égalité des droits pour tous.


Nada Elia

Publié le 6 février 2020 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal

Nada Elia est une intellectuelle activiste palestinienne, auteure et organisatrice de mouvements citoyens.

Elle termine actuellement un ouvrage sur l’activisme de la Diaspora palestinienne.

Nada Elia est également membre du collectif de pilotage de la Campagne américaine pour le boycott universitaire et culturel d’Israël.

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