Zineb Sedira : « Je n’étais pas préparée à un tel niveau de discrimination et d’intimidation »

Zineb Sedira, artiste franco-algérienne, déclare qu’elle ne se désistera pas en tant que représentante de la France lors de la Biennale de Venise en 2021, après avoir été entraînée dans une polémique autour de son soutien à la Palestine.

Zineb Sedira : "Je n'étais pas préparée à un tel niveau de discrimination et d'intimidation"

Zineb Sedira. Photo : Musthafa Aboobacker. Avec la permission de Third Line gallery.

Les derniers développements de l’affaire viennent après qu‘Isart, une association favorisant les échanges culturels entre la France et Israël, a invité le ministre français de la Culture, Franck Riester, à « renoncer » à la désignation de Sedira.

« J’ai décidé de ne pas renoncer à représenter la France à la prochaine Biennale de Venise, malgré cette tentative de m’imposer le silence et d’empiéter sur ma liberté d’expresion »,

explique Sedira dans une déclaration (dont le texte complet est repris ci-dessous).

La polémique a éclaté le mois dernier, lorsque l’écrivain français Bernard-Henri Lévy a tweeté :

« Comment, après l’émouvant voyage du président Emmanuel Macron en Israël [fin janvier], la France peut-elle choisir, pour la représenter à la Biennale d’art à Venise, une artiste activiste du BDS, chantre du boycott d’Israël ? »

Tel était textuellement le tweet repris sur son site Internet.

Lévy a posté une lettre de Jacqueline Frydman, la directrice d’Isart, datée du 25 janvier et adressée à Riester.

Frydman écrit qu’elle représente « le monde artistique parisien, choqué par votre choix de Zineb Sedira en tant que représentante de la France [à la biennale de 2021] ».

Dans sa lettre, Frydman fait allusion à la décision de Sedira de retirer ses œuvres de la Biennale de la Méditerranée, à Sakhnin, une ville arabe située dans le nord d’Israël. Elle écrit :

« Cette artiste [Sedira] a signé une requête afin de retirer ses œuvres de la Biennale 2017 de la Méditerranée à Sakhnin (…) parce qu’une de ses œuvres avait été exposée en Israël que, dans son message, elle [Sedira] avait appelé la Palestine occupée. »

Autre élément crucial, elle dit également que le fait d’avoir sélectionné Sedira constitue un soutien au mouvement BDS.

Le « message » cité par Frydman fait référence à un post de Facebook daté du 24 juin 2017 et qui disait :

« Un message de Yto Barrada, Bouchra Khalili & Zineb Sedira. Les artistes réclament le retrait de leurs œuvres de la Biennale de la Méditerranée à Sakhnin (Palestine occupée). Barrada, Khalili et Sedira disent dans le post que l’organisation française des arts contemporains, Frac Paca, a prêté leurs œuvres à la Biennale 2017 de la Méditerranée sans leur demander leur consentement.

Un message sur Facebook (détruit depuis) associé à BDS a été posté à la même époque et citait les noms des trois artistes.

« Nous sommes pleinement solidaires avec nos collègues palestiniens. #BDS », disait le post.

Plus tard, Lévy a tweeté que la page Facebook associant Sedira à BDS avait été publiée sans son consentement et que Sedira condamnait « BDS et toutes formes de discrimination et de haine ».

BDS et le ministère français de la Culture n’ont pas répondu immédiatement quand on leur a demandé un commentaire.

Pendant ce temps, le curateur de la Biennale de la Méditerranée, l’artiste israélien Belu-Simon Fainaru, a déclaré à l’adresse de notre confrère The Art Newspaper France qu’il avait invité Sedira à participer à la prochaine Biennale de la Méditerranée, prévue en novembre.

Déclaration complète de Zineb Sedira

Je suis une artiste qui travaille entre Londres, Paris et Alger.

Je perçois ma démarche comme autobiographique, poétique et universelle ; un lieu de préservation et de transmission de souvenirs et d’éléments personnels et collectifs, se concentrant sur des récits et expériences français, algériens et britanniques, un pont réconciliant les souvenirs et allant au-delà des stéréotypes culturels.

Je suis née dans la banlieue parisienne de parents immigrés algériens. Je sais ce que cela signifie d’être ignoré, réduit au silence ou à l’invisibilité. J’ai grandi dans l’ombre de la mémoire algérienne, de sa lutte de l’Algérie pour l’indépendance.

Je me suis sentie honorée en apprenant la nouvelle que j’allais représenter la France à la Biennale de Venise de 2021. J’ai reconnu la chose comme un important virage de l’art français contemporain et de notre société partagée : une femme arabe, berbère, algérienne et française vivant à Londres et représentant la France ! Je suis également la quatrième femme sélectionnée pour le pavillon français depuis sa création en 1912.

Ce à quoi je n’étais pas préparée, c’était le niveau de discrimination et d’intimidation en réponse à ma nomination. J’ai été la cible d’accusations diffamatoires qui visent non seulement à s’opposer à ma nomination, mais également à me couper de mes affiliations – de mes amitiés et solidarités artistiques et intellectuelles.

Il m’a été conseillé juridiquement de faire une déclaration pour AFP (Agence France Presse) afin de répondre à ces fausses allégations. AFP n’a pas publié la déclaration complète. La version qu’AFP a publiée a produit des informations encore plus trompeuses, qui ramenaient mes opinions à une simple condamnation de BDS.

Certains passages ont été complètement supprimés de ma déclaration. Par exemple : « J’affirme mon entier soutien aux aspirations du peuple palestinien à l’autodétermination et à la protection de son existence et de ses droits », de même que l’affirmation de mon opposition bien déterminée à toute forme d’injustice et de néocolonialisme.

Avec la diffusion d’une déclaration partielle dans la presse, mes opinions, ma position éthique et les choses dans lesquelles je crois ont été présentées de façon trompeuse.

En tant que femme algérienne et française, il m’a été donné une opportunité, une voix afin de continuer à me montrer critique envers toutes formes de haine et de racisme.

J’ai décidé de ne pas renoncer à représenter la France à la prochaine Biennale de Venise, malgré cette tentative de me réduire au silence et d’empiéter sur ma liberté d’expression.

Par la présente, je réaffirme mes croyances en un monde artistique et des histoires de l’art inclusifs, interconnectés et décolonisés.

Publié le 11 février 2020 sur The Art Newspaper
Traduction : Jean-Marie Flémal

Lisez et écoutez aussi : « La nuit rêvée » de Zineb Sedira

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