Khalida Jarrar dans ses propres termes : L’âge de la liberté viendra

Khalida Jarrar, symbole de la résistance populaire

Khalida Jarrar est une féministe palestinienne, une avocate, une éducatrice et une parlementaire élue. Au fil des années, elle a fini par symboliser la résistance populaire palestinienne en Cisjordanie occupée, ce qui ne manque pas de faire enrager les autorités israéliennes d’occupation qui l’ont arrêtée à plusieurs reprises.

Malgré sa santé défaillante – elle souffre de diverses lésions ischémiques et d’hypercholestérolémie – la dirigeante féministe de 57 ans a été jetée en prison et placée en isolement en de nombreuses occasions.

Après sa libération de prison en février 2019, elle a été de nouveau arrêtée en octobre et elle est actuellement détenue en vertu d’une dangereuse loi israélienne appelée « détention administrative ».

Cette loi est contraire aux lois internationales et aux critères les plus fondamentaux de procédure équitable dans les pays démocratiques, puisque les prisonniers sont incarcérés pour des périodes prolongées, sans accusation ni procèdure régulière.

Entre sa libération et sa nouvelle arrestation, Khalida Jarrar a contribué à mon dernier ouvrage, These Chains Will Be Broken : Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons (Ces chaînes seront rompues : Histoires palestiniennes de lutte et de désobéissance dans les prisons israéliennes).

Comme on peut s’y attendre, son message exprimait toute sa force de caractère, sa détermination, son courage et son espoir.

Ci-dessous, quelques extraits de l’avant-propos de Khalida Jarrar, dans lequel elle invite instamment les gens du monde entier à « véhiculer et communiquer » les histoires des prisonniers palestiniens de sorte qu’« un jour, les murs de chaque prison pourront s’écrouler et marquer le début de l’âge de la liberté palestinienne ».

Khalida Jarrar : “L’âge de la liberté palestinienne viendra”

La prison n’est pas qu’un endroit fait de hauts murs, de fils barbelés et de petites cellules étouffantes aux lourdes portes d’acier. Ce n’est pas qu’un endroit défini par toutes sortes de bruits métalliques ; en effet, les crissements ou les claquements de métal sont les bruits les plus communs que vous entendrez dans les prisons, chaque fois que de lourdes portes se ferment, que l’on déplace de lourdes literies ou armoires, que l’on referme des menottes ou qu’on les ouvre. Même la bosta – le véhicule tristement célèbre qui transporte les prisonniers d’une prison à l’autre – est une bête de métal, de même que son intérieur, son extérieur ainsi que ses portes et ses fers incorporés servant à entraver les prisonniers.

Non, la prison est bien plus que tout cela. C’est aussi les histoires de gens bien réels, de souffrances et de luttes quotidiennes contre les gardiens de prison et l’administration carcérale. La prison est une position morale qui doit être reconstruite jour après jour et qu’on ne peut jamais laisser derrière soi.

La prison, ce sont les camarades – les sœurs et les frères qui, avec le temps, deviennent plus proches de vous que votre propre famille. C’est une agonie, une douleur, une tristesse communes et, malgré tout, parfois aussi, une joie commune.

En prison, nous défions en même temps le gardien grossier et violent, avec la même volonté, la même détermination de le briser afin que lui ne nous brise pas. Cette lutte ne finit jamais et elle se manifeste sous toute forme possible, depuis le simple acte de refus de nos repas, jusqu’à notre autoconfinement dans nos cellules, jusqu’au plus acharné, physiquement et physiologiquement, de tous les efforts : la grève de la faim illimitée. Ce ne sont là que quelques-uns des outils utilisés par les prisonniers palestiniens pour lutter pour leurs droits fondamentaux mêmes, pour les arracher et pour préserver au moins une partie de leur dignité.

La prison est l’art d’explorer les possibilités ; c’est une école qui nous forme à résoudre des défis quotidiens en utilisant les moyens les plus simples et les plus créatifs, qu’il s’agisse de préparer la nouriture, de raccommoder de vieux vêtements ou de trouver un terrain commun de façon à ce que nous puissions tous souffrir et survivre ensemble.

En prison, nous devons apprendre à être conscients du temps parce que, si nous ne le faisons pas, il va s’arrêter. Ainsi donc, nous faisons tout notre possible pour combattre la routine, pour profiter de toute opportunité afin de célébrer chaque occasion importante dans nos existences, qu’il s’agisse de quelque chose de personnel ou de collectif.

Je suis honorée de faire partie de ce livre, en partageant ma propre histoire et en rédigeant cette préface.

Dans ce livre, vous explorerez des existences d’hommes et de femmes, vous lirez des histoires intimes qu’ils et elles ont choisi de partager avec vous, des histoires qui pourront vous surprendre, vous mettre en colère et même vous choquer. Mais ce sont des histoires cruciales qu’il convient de raconter, de lire et de redire encore.

Les histoires de ce livre n’ont pas été écrites pour vous choquer, mais plutôt pour illustrer ne serait-ce qu’une infime partie de la réalité quotidienne subie par des milliers d’hommes et de femmes, qui sont toujours enfermés derrière de hauts murs, des fils barbelés et des portes en métal. Quand vous lirez ce livre, vous disposerez d’un cadre de référence qui vous aidera à imaginer, aujourd’hui et à jamais, à quoi ressemble la vie dans une prison israélienne.

Et chaque histoire, qu’elle soit reprise dans ce livre ou pas, n’est pas une expérience fugitive qui ne concerne que la personne qui l’a vécue, mais un événement qui secoue au plus profond le prisonnier ou la prisonnière, ses camarades, sa famille et la communauté tout entière. Chaque histoire représente une interprétation créative d’une vie vécue, en dépit de toute sa dureté, par une personne dont le cœur bat avec l’amour de sa patrie et l’ardent désir de sa précieuse liberté.

Chaque récit individuel est également un moment bien précis, un conflit entre la volonté du gardien de prison et de tout ce qu’il représente, et la volonté des prisonniers et prisonnières et ce qu’ils et elles représentent en tant que collectif, capable, lorsqu’il est bien soudé, de venir à bout d’obstacles incroyables.

En fait, il ne s’agit pas que d’histoires de prisonniers. Pour les Palestiniens, la prison est un microcosme de la lutte bien plus large d’un peuple qui refuse d’être asservi sur sa propre terre et qui est bien décidé à reconquérir sa liberté, avec la même volonté et la même vigueur que celles de toutes les nations triomphantes qui furent jadis colonisées.

Les souffrances et les violations des droits humains vécues par les prisonniers palestiniens et qui vont à l’encontre des lois internationales et humanitaires, ne sont qu’une facette de l’histoire de la prison. L’autre facette ne peut être réellement comprise et transmise que par ceux qui ont vécu ces expériences très douloureuses.

Ce livre vous permettra de vivre une partie de cette expérience en entrant brièvement en contact avec la trajectoire humaine inspiratrice d’hommes et de femmes de Palestine qui ont subsisté en traversant des moments marquants, avec tous leurs détails et défis douloureux.

Ici, vous pouvez imaginer ce qu’on peut ressentir quand on perd une mère aimante alors qu’on est enfermée dans une cellule étroite, ou imaginer ce qu’est devoir se débrouiller avec une jambe cassée, ou de devoir vivre sans la moindre visite de ses proches pendant plusieurs années d’affilée, ou encore de se voir refuser son droit à l’enseignement ou de digérer la mort d’un ou d’une camarade.

Tout en découvrant les nombreux actes de torture physique, de tourments psychologiques et d’isolement prolongé, vous découvrirez aussi la force de la volonté humaine, quand des hommes et des femmes décident de riposter, de réclamer leurs droits naturels et d’assumer pleinement leur humanité.

En effet, telles sont les histoires d’hommes et de femmes qui ont décidé collectivement de ne jamais céder, aussi fortes que soient les pressions et la douleur.

J’aimerais conclure en saluant chaque prisonnier, homme et femme, qui attend avec passion le moment de sa libération et de la liberté de son peuple. Je salue ceux et celles dont les histoires sont reprises dans ce livre et je les remercie de nous permettre d’entrer dans un chapitre intime et douloureux de leurs existences.

Quant à vous, ceux et celles dont les histoires n’ont pas été reprises ici, tout simplement parce que des milliers et des milliers d’histoires personnelles sont restées non dites, sachez-le tous et toutes, vous serez toujours dans nos cœurs et nos esprits.

Cher lecteur, chère lectrice, à votre tour jouez votre rôle en écoutant et en diffusant les histoires des Palestiniens, qu’il s’agisse de ceux et celles qui sont détenus dans les prisons israéliennes ou de ceux et celles qui étouffent sous l’occupation israélienne. Véhiculez et communiquez leur message au monde de sorte qu’un jour, les murs de chaque prison pourront s’écrouler et marquer le début de l’âge de la liberté palestinienne.

Ramzy Baroud écrit sur le Moyen-Orient depuis plus de vingt ans. C’est un éditorialiste syndiqué au niveau international, un consultant des médias et il est également l’auteur de plusieurs ouvrages ainsi que le fondateur de PalestineChronicle.com.

Son dernier livre s’intitule My Father Was a Freedom Fighter: Gaza’s Untold Story (Pluto Press, Londres)(En français : Résistant en Palestine : Une histoire vraie de Gaza – Éditions Demi-Lune).


Publié le 19 février 2020 sur Informed Comment
Traduction : Jean-Marie Flémal

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