Que signifie le deal de Trump pour les prisonniers palestiniens ?

Le plan de Trump ne vise en rien la libération des prisonniers pour lesquels ces familles manifestent

Naplouse, Cisjordanie, 16 avril 2017. Au cours d’un rassemblement de commémoration de la Journée du Prisonnier palestinien, des Palestiniens arborent des photos de leurs proches détenus dans des prisons israéliennes. (Photo : Reuters/Abed Omar Qusini)

Posez la question à n’importe quel Palestinien et il vous parlera d’un frère, d’une sœur, d’un(e) cousin(e) ou d’un(e) ami(e) qui a été sorti(e) de son domicile par l’armée israélienne, au beau milieu de la nuit, et soumis(e) au labyrinthe tortueux des interrogatoires, des poursuites militaires et de l’incarcération, ou gardé(e) en détention administrative sans la moindre accusation, sous le prétexte que la chose implique des «informations secrètes».

On estime que près d’un million de Palestiniens ont été arrêtés depuis la création d’Israël en 1948.

Depuis 1967, un cinquième environ de la population palestinienne et près de 40 pour 100 des Palestiniens mâles ont été arrêtés et accusés sous le coup des quelque 1 600 ordonnances militaires qui contrôlent le moindre aspect des existences des Palestiniens vivant sous occupation.

Fin décembre 2019, il y avait au moins 4 544 prisonniers et détenus administratifs palestiniens enfermés dans les installations du Service pénitentiaire israélien (IPS).

Du fait que tant de Palestiniens se trouvent illégalement derrière les barreaux, la libération des prisonniers politiques est sans nul doute d’une importance cruciale pour que soit mis un terme à l’occupation de la Palestine par Israël.

Pourtant, on a consacré moins d’une page à ce problème dans le document – qui en compte 181 – explicitant le prétendu plan de « paix » du président des États-Unis Donald Trump.

Dans ce plan intitulé « La paix vers la prospérité » et que Trump a baptisé le « deal du siècle », les Palestiniens n’ont rien trouvé d’autre que les tentatives habituelles de leur ravir leurs droits humains et aspirations nationales légitimes les plus fondamentaux.

Ils ont perçu le deal de Trump comme le chapitre ultime du plan raciste et colonial d’Israël visant à contrôler unilatéralement la Palestine historique dans sa totalité et à éloigner les Palestiniens de leur patrie.

Pour bien des Palestiniens, la seule différence entre ce plan de « paix » et les propositions sionistes les plus extrêmes est que ce plan est mis en avant non seulement par les dirigeants racistes d’une colonie d’implantation, mais aussi par une administration américaine aussi dangereuse qu’incompétente.

Les prisonniers politiques palestiniens, qui avaient été soit entièrement ignorés soit réduits à une vulgaire monnaie d’échange dans les tentatives passées de résolution politique, n’ont rien trouvé de neuf eux non plus dans ce plan qui ne leur promettait d’ailleurs ni la liberté ni la justice.

Le bref passage du plan concernant l’avenir des prisonniers palestiniens tente de se rapprocher des insatisfaits en concédant que certains prisonniers politiques palestiniens à désigner seront libérés en deux phases, suite à la signature d’un accord de paix entre Israël et la Palestine.

Selon ce document, la première phase doit avoir lieu « immédiatement après la signature de l’accord », tandis que le timing de la seconde devra être convenu par les deux parties et fixé à une date ultérieure.

Le document poursuit en déclaration que toute libération additionnelle de prisonniers devra dépendre du consentement d’Israël.

Il s’agit d’une stratégie déjà essayée et vouée à l’échec.

Durant l’été 2013, dans le cadre d’un accord ficelé par les États-Unis afin de relancer les négociations au Moyen-Orient, Israël avait accepté de libérer en quatre phases 104 prisonniers condamnés à de lourdes peines.

Nombre de ces prisonniers avaient été condamnés bien avant les accords d’Oslo en 1993 et ils auraient déjà dû être libérés, en vertu des termes de ces accords.

Israël commença par relâcher 78 prisonniers d’avant Oslo et ce, en trois fournées.

Mais, en avril 2014, afin de punir les Palestiniens pour avoir gagné une plus grande reconnaissance de la part des Nations unies, Israël annonça qu’il ne libérerait pas la fournée finale de 32 prisonniers. Ils sont toujours incarcérés à ce jour.

De la même façon qu’avec l’accord de 2013, le nouveau deal de Trump ne dispose d’aucun mécanisme pour forcer Israël à tenir parole et à garantir la libération des prisonniers.

Les prisonniers devaient être utilisés comme monnaie d’échange afin de pousser la direction palestinienne à renoncer à réclamer leur libération et leur reconnaissance ensuite et, aujourd’hui, l’administration Trump tente de les utiliser exactement dans le même but.

De plus, le document décrivant le tout dernier plan de « paix » stipule que, selon les termes de l’arrangement proposé, les anciens prisonniers qui vivent actuellement en exil se verront accorder l’« amnistie » et auront la permission d’entrer en Palestine.

Pour les prisonniers palestiniens et toutes les autres personnes qui ont suivi leur combat de plusieurs décennies en faveur de justice, il ne s’agit que d’un leurre grossier de plus.

En 2009, Israël a amendé l’Ordonnance militaire 186 pour en faire l’Ordonnace 1651, permettant à l’armée israélienne d’utiliser des « preuves secrètes » afin d’annuler les amnisties accordées à d’anciens prisonniers palestiniens libérés dans le cadre des accords passés concernant les échanges de prisonniers.

Cela a permis d’arrêter de nouveau des dizaines d’anciens prisionniers et de leur faire purger le reste des sentences qui leur avaient été infligées au départ.

Pour beaucoup, il s’agissait de dizaines d’années, voire de perpétuité. Comme ils étaient emprisonnés sur des « preuves secrètes », il leur était impossible de se défendre devant les tribunaux.

Le plus ancien prisonnier palestinien en détention dans une prison israélienne, Nael Barghouti, 61 ans, est l’un des plusieurs dizaines d’anciens prisonniers arrêtés à nouveau en fonction de cette Ordonnance militaire 1651.

Barghouti avait d’abord été arrêté par les forces israéliennes en 1978. Après avoir passé 34 ans en prison, il avait été relâché dans le cadre de l’accord d’échange de prisonniers passé entre le Hamas et Israël en 2011. Il était toutefois réarrêté en juin 2014 (sous cette Ordonnance militaire 1651, donc). Et il est toujours emprisonné à l’heure actuelle.

Nous pouvons et devons donc nous attendre à ce que, sous le nouveau plan proposé, les gens relâchés finiront par se faire ramasser à nouveau, comme d’habitude, et par retrouver la prison. C’est d’ailleurs, en fait, ce qui se passe déjà.

Les problèmes avec les nouvelles propositions du plan concernant les prisonniers palestiniens ne s’arrêtent pas là.

Selon le « deal du siècle », les prisonniers palestiniens seront forcés, s’ils veulent être relâchés, de signer une promesse « de promouvoir les bienfaits de la coexistence entre Israéliens et Palestiniens, et de se conduire d’une façon qui encourage cette coexistence ».

Y aurait-il un seul Palestinien qui accepterait de signer cette promesse ?

Que signifie la coexistence pour le million ou presque de Palestiniens qui ont été arrêtés depuis 1948 et dont les seuls contacts avec les Israéliens se sont passés à la pointe du fusil, à des check-points miliaires et au cours de raids nocturnes à leurs domiciles ?

Qu’est-ce que ces prisonniers sont censés promouvoir après leur libération, quand on considère que bon nombre d’entre eux ont été torturés physiquement et psychologiquement pendant leur captivité, ce qui s’est traduit par des lésions permanentes et dans leur corps et dans leur esprit ?

Et que dire de ceux qui ont dû endurer des grèves de la faim au risque de leur vie afin d’obtenir la satisfaction de besoins de base, tels visites familiales et soins médicaux ?

Finalement – et c’est ici que se situe la véritable information – le prétendu « deal du siècle » affirme qu’aucun prisonnier palestinien ne sera relâché si « tous les prisonniers israéliens ou leurs restes ne sont pas restitués à l’État d’Israël ». Puisque l’Autorité palestinienne n’a aucune juridiction sur Gaza et, partant, sur la majeure partie de ce genre d’échanges, cette clause garantit quasiment que les prisonniers resteront incarcérés.

Ici, il est extrêmement important de faire remarquer que les restes de plus de 300 Palestiniens sont actuellement gardés par Israël dans des zones militaires fermées.

Les familles se battent depuis longtemps pour que ces dépouilles leur soient restituées afin d’être enterrées de façon correcte. À de multiples reprises, Israël a ignoré ces requêtes. En septembre 2019, la Cour suprême israélienne a statué qu’Israël avait le droit de garder ces dépouilles afin de pouvoir les utiliser dans d’éventuelles négociations politiques ultérieures.

Ne vous laissez pas abuser par les tentatives de Trump d’embrouiller la communauté internationale en lui faisant gober que ce « deal du siècle » vise le bien des prisonniers politiques palestiniens.

Ce plan malicieux ne vise qu’à multiplier les actuelles incarcérations de masse et à accroître la criminalisation des Palestiniens qui ont été longtemps utilisés comme pions politiques aussi bien de leur vivant qu’après leur mort – et sans jamais avoir été traités en êtres humains.


Publié le 5 février 2020 sur Al Jazeera
Traduction : Jean-Marie Flémal

Randa Wahbe

Randa Wahbe est palestinienne et prépare actuellement un doctorat en anthropologie à l’Université de Harvard.

Lisez également : L’ « Accord du siècle » colonial échouera un article : Le « deal du siècle » est un « plan de guerre » contre l’ensemble du peuple palestinien : les Palestiniens sous occupation, les Palestiniens de 48, les réfugiés, les prisonniers, la résistance

Print Friendly, PDF & Email

Vous aimerez aussi...