Etats-Unis : La censure pro-israélienne en prend un coup

Nada Elia

Suite à une prise de position juridique exprimée dans la Harvard Law Review, l’opposition à la censure du discours propalestinien va croissant, tant dans le monde académique que dans la société au sens large.

La censure pro-israélienne en prend un coup – Les voix propalestiniennes ne seront pas réduites au silence

Des manifestants antisionistes défilent à New York en 2016 (inscription sur la banderole : L’État d’« Israël » ne représente pas la communauté juive mondiale). (Photo : AFP)

Pour les activistes en faveur des droits palestiniens, la prise de position de la rédaction de la Harvard Law Review (Revue juridique de Harvard) du 10 février, disant que BDS n’était pas une pratique discriminatoire et ne devrait pas être interdit en tant que telle, a eu l’effet d’un baume lénifiant sur une plaie ouverte.

L’Université de Harvard est l’une des institutions académiques les plus prestigieuses au monde et la prise de position très tranchée des responsables éditoriaux de la revue juridique de l’université a été amplement citée et commentée au point de faire autorité.

« Cette note réfute l’allégation selon laquelle BDS constitue une discrimination relevant des lois »,

ont écrit les responsables éditoriaux de la revue dans leurs commentaires d’introduction, ajoutant que

« les lois anti-BDS ne sont pas soutenues par un intérêt légitime à l’encontre de la discrimination ».

On ne peut qu’espérer que cette prise de position mettra un terme au musellement du discours antisioniste et pro-BDS, en dépit de deux incidents qui, début 2020, juste avant sa publication, ont fait les gros titres nationaux.

Le premier a été le licenciement d’un enseignant américain en raison de certaines de ses déclarations sur les médias sociaux ; le second a eu lieu quand une journaliste s’est vu empêcher de participer à une conférence après avoir refusé de souscrire à un engagement anti-BDS (boycott, désinvestissement et sanctions).

J. B. Brager, un homosexuel professeur d’histoire juive à l’Ethical Culture Fieldston, une école très élitaire de New York, a été licencié voici quinze jours, après avoir publié des commentaires antisionistes sur Twitter.

Et la journaliste et cinéaste Abby Martin a été interdite de parole lors d’une conférence médiatique après avoir refusé de souscrire à un engagement à ne pas boycotter Israël.

Très récemment, Martin avait encore réalisé le documentaire Gaza Fights for Freedom (Gaza lutte pour la liberté), avec des prises de vue montrant des soldats israéliens tirant sur des manifestants sans armes durant la Grande Marche du Retour.

Antisémitisme contre antisionisme

Ces deux incidents – et la réponse vigoureuse contre le musellement du discours antisioniste – révèlent l’ampleur croissante que revêt la bataille contre la censure, de même que celle des dissensions au sein des communautés juives à propos du soutien inconditionnel au sionisme ou de la critique à son égard.

Une lettre de soutien à Brager, signée par des centaines d’anciens de Fieldston, d’homosexuels, de Juifs et d’amis, a été adressée à l’administration, de l’école, exprimant leur indignation suite au licenciement du professeur et réclamant sa réintégration.

La lettre explique que la communauté de Fieldston est elle-même divisée, à propos du soutien à Israël, avec « un petit groupe de parents conservateurs » qui cherche à censurer les voix progressistes, et elle critique l’école quand elle prend injustement fait et cause pour cette faction en licenciant Brager.

La lettre était suivie d’une lettre de soutien séparée, signée par des dizaines de responsables spirituels et éducateurs juifs qui demandaient à la direction de Fieldston de réintégrer Brager, de lui présenter publiquement des excuses et de clarifier la distinction entre antisémitisme et antisionisme.

La lettre dit encore ceci :

« En licenciant le Dr Brager, vous adressez un message erroné à vos étudiants – qu’il convient de craindre la dissension, qu’exprimer son droit à la liberté d’expression a des limites, que des opinions divergentes ne seront pas tolérées, qu’il n’y a qu’une seule version de l’histoire qui puisse être tolérée, et qu’il n’y a qu’une sorte de juifs. »

Au moment de rédiger le présent article, toutefois, Brager n’avait toujours pas été réintégré à l’école.

Pendant ce temps, en Géorgie, la controverse à propos de l’interdiction de prise de parole de Martin à l’International Critical Media Literacy Conference, et le soutien apporté par des collègues au droit de parole de la journaliste, en dépit de la législation anti-BDS de la Géorgie, ont eu pour résultat l’annulation de toute la conférence, s’il faut en croire Abby Martin.

Alors que la censure même, ainsi que l’opposition à cette censure sous forme de pétitions et de lettres, n’ont rien de neuf, la résistance acquiert aujourd’hui une nouvelle dimension, puisqu’un petit groupe de professeurs sont passés à l’offensive en intentant des procès aux institutions qui veulent les museler.

Ces professeurs luttent pour garder leurs droits à la libre expression, tant dans le monde académique que dans les médias sociaux.

Un environnement hostile

L’an dernier, la professeure Rabab Abdulhadi a intenté un procès à l’Université d’État de San Francisco, où elle dirige le programme des Ethnicités et Diasporas arabes et musulmanes, pour avoir créé un environnemet hostile qui l’a empêchée d’accomplir ses tâches intellectuelles, dont l’envoi de délégations de recherche en Palestine.

Le procès intenté par Abdulhadi vise à obtenir une ordonnance du tribunal en vue de financer le programme, comme le stipule le contrat, d’appliquer des remèdes institutionnels à l’islamophobie, au racisme antiarabe et antipalestinien et de procéder à des réparations financières.

Actuellement, aucune audiance n’a encore été décidée à ce propos.

Un peu plus tard, cette même année dernière, Rima Najjar, une professeure retraitée, a intenté un procès contre Quora, un site de médias sociaux de style « questions et réponses » qui pratiquait la censure à son égard en permanence en raison de ses critiques à l’égard du sionisme, dont Quora estimait qu’elles constituaient une violation de ses principes « restez poli et respectueux ».

Najjar réclame la restauration de son compte ainsi qu’une ordonnance du tribunal enjoignant à Quora de cesser de pratiquer la discrimination à l’encontre de ses usagers en raison de leur origine palestinienne ou de leurs opinions politiques antisionistes.

L’avocat du Dr Najjar a déclaré qu’ils n’attendaient pas de réponse avant le début mars.

La censure pro-israélienne en prend un coup – Les voix propalestiniennes ne seront pas réduites au silence

2018, New York. Rassemblement en faveur des droits palestiniens. (Photo : AFP)

MEE s’est entretenu avec Najjar, qui a expliqué qu’elle avait d’abord décidé de poster des messages sur le forum après avoir remarqué que les réponses émanant du site même étaient surtout reprises dans des recherches Internet d’informations concernant la Palestine et Israël, mais qu’elles contenaient très souvent de fausses informations.

En cherchant à réparer ce parti pris, Najjar avait commencé à publier sur le site pour devenir une contributrice prolifique de 2016 à la mi-2019, date à laquelle elle avait été interdite pour de bon et qu’en même temps, toutes ses réponses bien documentées et bel et bien citées avaient été radiées du site.

Les médias sociaux peuvent paraître très éloignés du monde académique mais, pour bien des professeurs, il s’agit justement d’un autre forum d’éducation qui peut atteindre des milliers de personnes en sus des quelques douzaines d’étudiants que peut compter une classe.

Comme Najjar l’a expliqué à MEE,

« les médias sociaux sont importants parce qu’ils ont le pouvoir d’influencer l’opinion publique et, partant, les mouvements politiques et sociaux et la politique qui les concerne ».

La pénalisation des critiques à l’encontre d’Israël

Najjar a également pointé un doigt accusateur sur la campagne d’Israël en vue d’asseoir son influence dans le monde, campagne qui

« a longtemps utilisé les médias sociaux pour débiter toute une littérature dépeignant le sionisme comme une forme de résistance antiraciste et de justice en faveur des juifs du monde entier, tout en refusant aux Palestiniens leur identité nationale. Cette activité a été accompagnée, dans mon cas, d’une campagne concertée de harcèlement et de censure par les sionistes et les Israéliens. »

L’impact des médias sociaux sur le discours populaire à propos d’Israël et de la Palestine est reconnu par les administrateurs des universités et des écoles, qui pénalisent les membres de leur corps enseignant pour ce qu’ils publient sur ces sites.

Brager a été licencié de Fieldston en raison de ses messages sur Twitter, bien plus qu’à cause de ce qu’il peut avoir dit en classe. Les administrateurs des écoles utilisent comme arme l’accusation d’antisémitisme ou l’absence de « courtoisie », afin de censurer et de pénaliser les critiques à l’égard d’Israël.

Mais il n’est pas possible de faire cesser les conversations, pas plus qu’il n’est possible de masquer l’aliénation ressentie par un nombre croissant de juifs progressistes à propos d’Israël et du sionisme. Le désir des juifs progressistes de se dissocier ouvertement du sionisme et de concrétiser leur soutien aux droits palestiniens devient de plus en plus évident avec chaque nouvel élément de législation contre BDS et chaque nouvelle tentative de censure de tout discours critiquant Israël.

Une détermination accrue

Le bus « Palestinian Freedom 2020 », qui transporte un groupe d’étudiants organisés par Jewish Voice for Peace Action, est également en tournée au niveau national, et suit les candicats démocrates à la présidence avec le message disant qu’un nombre très important de juifs soutiennent les droits des Palestiniens. Comme l’a tweeté Brager :

« Je refuse de  »réaffirmer la valeur » du colonialisme ethnonationaliste d’implantation. Je soutiens BDS et la souveraineté palestinienne et j’y consacrerai toute ma vie d’adulte. »

Plutôt que de faire taire les critiques à l’égard d’Israël, la censure a catalysé et accru la volonté – de la part du corps enseignant et des étudiants palestiniens, juifs et alliés qui soutiennent les droits des Palestiniens – de ne pas se laisser imposer le silence et de dénoncer plus vigoureusement encore toute forme de législation qui soutient le sionisme et criminalise la solidarité avec les opprimés.

Et, avec le soutien juridique fourni par des groupes comme « Palestine Legal » et le « Centre des droits constitutionnels », nous pouvons nous attendre à plus de contestation encore à l’égard de la censure dans le courant de cette année.

Lisez ici d’autres articles de Nada Elia, publiés sur ce site


Publié le 27 février sur Middle East Eye
Traduction : Jean-Marie Flémal

Nada Elia

Nada Elia

Nada Elia est une auteure et commentatrice politique de la Diaspora palestinienne, qui travaille actuellement à la rédaction de son deuxième livre, Who You Callin’ « Demographic Threat? » Notes from the Global Intifada (Qui traitez-vous de « menace démographique » ? Notes en provenance de l’Intifada mondiale).

Ancienne professeure en Études du Genre et autres, elle est membre du Comité de direction de la Campagne américain pour le boycott académique et culturel d’Israël (USACBI).

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