Ces prisonniers à qui Israël refuse l’accès opportun à des soins et qui en meurent
Amna Abu Diyak éprouve toujours les pires difficultés à parler de la mort de son fils.
« J’ai eu l’impression que j’allais m’effrondrer, quand j’ai appris la nouvelle », explique la femme de 55 ans à The Electronic Intifada au cours d’une interview par téléphone.
« Je ne parviens toujours pas à croire ce qui s’est passé. Je suis tellement désolée pour mon fils. On l’a jeté en prison alors qu’il n’était encore qu’un enfant. Puis il a été obligé de mourir là-bas. »
À l’âge de 36 ans, Sami Abu Diyak est mort dans une prison israélienne à la fin de l’an dernier. Il avait été emprisonné à l’âge de 17 ans.
Amna avait rendu visite à son fils quelque jours avant qu’il ne succombe à la maladie, le 26 novembre. À cette occasion, les agents de la prison de Ramleh avaient dû amener Sami dans une chaise roulante pour qu’il puisse être présent à l’heure de la visite.
« Il était dans un si mauvais état… Il était à peine conscient. Je devais essayer en permanence de le tenir éveillé. On aurait dit qu’il était déjà mort »,
ajoute Amna.
Les Services pénitentiaires israéliens (IPS) ont adopté « une politique de négligence médicale délibérée envers les prisonniers et les détenus », et ce, depuis l’occupation de la Cisjordanie, Jérusalem-Est y compris, et de la bande de Gaza par Israël, en 1967, explique Ehteram Ghazawneh, de l’association palestinienne Addameer pour les droits des prisonniers.
Selon Ghazawneh, 222 prisonniers palestiniens sont morts dans les prisons israéliennes depuis 1967, dont 67 de négligence médicale.
Cinq Palestiniens sont morts dans les prisons israéliennes, en 2019.
Ramleh : « Ce n’est pas un hôpital, mais un tombeau »
Sami, qui était originaire du village de Silat al-Dahr, dans le nord de la Cisjordanie occupée, avait été arrêté en 2002 au cours de la deuxième Intifada palestinienne.
Il purgeait trois condamnations à vie dans une prison israélienne après avoir été accusé de liens avec les Brigades des Martyrs d’al-Aqsa, l’aile armée du mouvement du Fatah, et d’implication dans le meurtre de trois Israéliens.
En 2015, il avait commencé à souffrir de douleurs abdominales, alors qu’il était détenu à la prison de Rimon.
La clinique de la prison lui avait donné des antidouleurs et n’avait pas été à même de poser un diagnostic correct, selon Addameer.
Deux semaines plus tard, il avait perdu conscience et avait été transféré à l’hôpital de Soroka, où les médecins lui avaient ôté l’appendice.
Après de nombreux transferts entre l’hôpital de la prison de Ramleh et les hôpitaux civils israéliens, les médecins lui avaient enlevé 30 centimètres d’intestin et lui avaient diagnostiqué un cancer.
Il était resté dans le coma pendant 34 jours, après avoir subi quatre opérations. Au cours des huit mois suivants, Sami avait reçu une chimiothérapie à la clinique de Ramleh.
Les autorités de la prison avaient accordé à Amna une demi-heure de visite toutes les deux semaines.
En 2017, Sami avait recommencé à se plaindre de douleurs. On l’avait transféré une fois de plus à la clinique de la prison de Ramleh, où il allait subir des tests qui devaient déceler un cancer de l’estomac.
Dès ce moment, sa santé s’était mise à empirer très régulièrement, explique Amna à The Electronic Intifada.
« Il avait de graves douleurs. Il avait subi six opérations et on lui donnait une chimiothérapie », dit-elle.
« Il a commencé à perdre sa faculté de marcher. Il est passé de 95 kilos à 30 à peine. Le cancer s’était répandu dans tout son corps et sa colonne vertébrale. »
Selon Qadura Fares, responsable du Club des prisonniers palestiniens,
« déjà en 2015, nous savions à coup sûr qu’il allait mourir à cause de la négligence qui règne dans les prisons israéliennes ».
Ehteram Ghazawneh, d’Addameer, fait remarquer que l’erreur initiale de diagnostic de la prison et le fait que Sami ne se voyait prescrire que des antidouleurs quand il montrait des symptômes de douleurs abdominales extrêmes ont contribué à la grave détérioration de son état par la suite.
Dans une lettre écrite par Sami quelques jours avant sa mort, il disait qu’il voulait passer ses « derniers jours et heures » avec sa mère et sa « famille bien-aimée ».
« Je veux mourir dans les bras de ma mère. Je ne veux pas quitter la vie les mains et les jambes menottés face à des gardiens qui aiment la mort et se réjouissent de nos douleurs et souffrances. Ces mots seront-ils entendus par les responsables ? Je vous le dis, si je meurs séparé de ma mère, je ne le vous pardonnerai pas »,
écrivait Sami.
Amna a donc tenté désespérément d’assurer sa libération avant son décès, mais en vain.
« Ramleh n’est pas un hôpital », a dit Amna. « C’est un tombeau. »
Amna explique à The Electronic Intifada que les autorités israéliennes avaient refusé la permission à Sami d’être enterré chez lui, en Cisjordanie, et qu’en lieu et place elles avaient envoyé sa dépouille en Jordanie pour qu’elle y soit ensevelie, du fait qu’il avait la nationalité jordanienne en même temps qu’une carte d’identité de Palestinien.
Moins d’une semaine après le décès de Sami, les forces israéliennes ont effectué un raid dans la maison de la famille, dans le district de Jénine, et, après avoir mis la maison sens dessus dessous, ont arrêté Salah, 22 ans, un autre fils d’Amna.
Salah reste en prison et n’a pas encore été accusé de quelque crime que ce soit.
Un autre des quatre enfants d’Amna, Samer, 36 ans, est en prison en Israël depuis près de 15 ans, accusé d’avoir tué des Israéliens au cours de la deuxième Intifada.
La mort « n’avait rien de surprenant »
Le cas de Sami est un « clair exemple des conditions très sévères de la prison et de la négligence médicale qui règne dans les cliniques des prisons », explique Ghazawneh (d’Addameer) à The Electronic Intifada.
Les cliniques des prisons ne satisfont pas aux « normes minimales » de fourniture de soins médicaux, a déclaré le porte-parole.
Les cliniques des prisons sont mal équipées pour traiter des problèmes médicaux graves, déclare Qadura Fares, du Club des prisonniers palestiniens. Fares lui-même a passé 12 ans dans une prison israélienne.
« Les médecins des prisons viennent de l’armée et ils n’ont pas les certificats qu’il faut pour pratiquer la médecine », ajoute-t-il.
De temps à autre, un médecin généraliste visite les prisons, mais les cliniques des prisons n’ont en permanence qu’une infirmière, fait remarquer Ghazawneh, d’Addameer. Elles manquent de médecins spécialisés et d’équipements pour effectuer les contrôles médicaux nécessaires.
Les prisonniers peuvent demander de subir des tests médicaux ou des consultations auprès de médecins généralistes ou de spécialistes.
Mais ces requêtes traînent souvent « très longtemps » et peuvent parfois être ignorées complètement par l’équipe de la prison, qui se contente de fournir des antidouleurs aux prisonniers, fait encore remarquer Ghazawneh.
Qadura Fares explique à The Electronic Intifada que, dans les tout derniers mois de sa vie, Sami avait refusé d’être transporté entre Ramleh et les hôpitaux civils, du fait que le trajet devenait bien trop pénible pour lui.
« Quand il était à l’hôpital, une de ses jambes et une de ses mains étaient menottées en permanence au lit. C’est trop pour une personne qui souffre d’une maladie grave »,
explique Fares. « Nous n’avons pas été surpris d’apprendre la nouvelle de sa mort. »
La décision de Sami est habituelle, chez les prisonniers. Les prisonniers palestiniens ne sont pas transportés en ambulance, mais ils vont dans la bosta, le nom que les prisonniers donnent au véhicule de prison utilisé par Israël et dans lequel les prisonniers sont séparés dans des cages en métal.
Pendant le transfert, bras et jambes des prisonniers sont enferrés, qu’ils souffrent ou pas de maladies graves. Au vu de ces conditions de transport, bien des prisonniers choisissent de ne pas demander leur transfert dans un hôpital civil.
Les prisonniers palestiniens sont également confrontés à des traitements inadéquats de la part du personnel médical des hôpitaux civils israéliens qui, souvent, ne leur fournissent pas le traitement requis ou négligent de prévoir des rendez-vous de suivi apès des opérations critiques, ce qui peut mener à de graves complications médicales, ajoute Ghazawneh, d’Addameer.
Les erreurs de diagnostic sont également très, très fréquentes, fait remarquer Ghazawneh, ce qui a retardé le traitement nécessaire de certains prisonniers et, dans bien des cas, a résulté en leur décès.
Les IPC ont été contactés dans l’espoir d’un commentaire, mais n’ont jamais répondu.
« Une politique systématique »
Bassam al-Sayih est mort en détention en Israël environ un mois après Sami. Il avait été arrêté en 2015 en plein tribunal militaire israélien de Salem, près de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie occupée, alors qu’il assistait à une session du procès de son ancienne femme.
Finalement, celle-ci a passé sept mois en prison, explique Khaldoun al-Sayih, le frère de Bassam.
Bassam, originaire du district de Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie, souffrait d’un cancer des os et du sang, d’une faiblesse des muscles cardiaques et de complications médicales dans le foie.
Malgré ces graves problèmes de santé, il avait été interrogé chaque jour pendant de longues heures, ce qui l’avait amené à plusieurs reprises à perdre conscience, nous apprend Addameer.
Pendant une vingtaine de jours, il n’avait pas reçu le moindre traitement médical, ce qui avait provoqué une grave détérioration de son état.
« En raison de la torture, de la négligence médicale et du report constant des soins médicaux dont il avait besoin, sa santé s’est détériorée et a abouti à 80 pour 100 de faiblesse cardiaque et à une incapacité de se déplacer ou de s’exprimer »,
poursuit Addameer.
Bassam avait finalement été condamné à l’emprisonnement à vie plus trente ans. On l’accusait d’avoir été impliqué dans un attentat qui s’était soldé par la mort de deux colons israéliens.
Sa santé avait continué à se détériorer. On ne lui permettait pas de subir des opérations, prétend son frère Khaldoun, et ses séances de chimiothérapie étaient souvent interrompues par les autorités de la prison, qui lui refusaient l’accès à des spécialistes.
« Il était dans un très mauvais état », explique Khaldoun à The Electronic Intifada.
« J’ai été forcé d’assister à la mort de mon frère en prison et je n’avais pas le moindre pouvoir d’y faire quoi que ce soit. Nous lui rendions visite comme s’il était un détenu absolument comme les autres – comme s’il n’était pas en train de mourir. »
Suite au décès de Bassam en septembre dernier, les autorités israéliennes ont retenu le corps de l’homme de 44 ans.
Selon Addameer, Israël retient pour l’instant les dépouilles de cinq Palestiniens décédés – dont Bassam – dans des prisons israéliennes.
La politique israélienne permet aux autorités de retenir les corps des Palestiniens et de ne pas les restituer à leurs familles, s’ils sont supposés avoir été responsables d’attentats contre des Israéliens. Les organisations de défense des droits des prisonniers, comme Addameer, classifient cette façon de faire comme un cas manifeste de punition collective, ce qui est illégal, aux yeux des lois internationales.
« Nous n’avons même pas le moindre idée de l’endroit où se trouve son corps et nous ne savons absolument pas si nous le récupérerons jamais et serons ainsi en mesure de lui dire décemment au revoir »,
a ajouté Khaldoun.
Ghazawneh, d’Addameer, explique à The Electronic Intifada qu’il y a actuellement quelque 750 prisonniers palestiniens malades dans les prisons israéliennes, dont 26 femmes et quelque 160 hommes dans un besoin critique de soins médicaux permanents.
Les cas les plus sérieux impliquent des prisonniers souffrant de cancer.
Muwaffaq Uruq, 75 ans, a été arrêté en 2003. Selon un rapport fourni par Addameer, Uruq souffre d’un cancer de l’estomac, d’anémie, de douleurs chroniques dans le dos et de douleurs aiguës dans les membres inférieurs et les articulations.
Au cours de ses 17 années de détention, il a été transféré dans diverses prisons israéliennes, ce qui a aggravé son état et a provoqué une détérioration de sa santé. Il n’a commencé une chimiothérapie qu’en novembre l’an dernier et il est aujourd’hui incapable de manger et souffre de nausées permanentes.
Il est considéré comme l’un des cas les plus critiques parmi les prisonniers en Israël.
Et les perspectives pour ces prisonniers sont des plus lugubres, selon certains. Qadura Fares, du Club des prisonniers, croit que la négligence médicale à l’encontre des prisonniers palestiniens s’inscrit dans une « politique systématique ».
« Cela a commencé avec l’occupation même », dit-il.
« Ils [les Israéliens] veulent faire de nous [les prisonniers] un exemple pour les autres générations. Ils veulent nous humilier et montrer ce qu’il adviendra d’eux s’ils tentent de résister à l’occupation. »
Publié le 5 mars 2020 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal
Jaclynn Ashly est une journaliste free-lance couvrant les questions de politique et de droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés et en Israël.
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