Un musée compte présenter l’œuvre de 50 artistes palestiniennes
Mars sera vraiment perçu comme le mois des dimanches. Dimanche dernier a marqué l’inauguration du Mois de l’histoire des femmes et, aujourd’hui, nous célébrons la Journée internationale des femmes.
Afin d’honorer les deux, le Palestine Museum US de Woodbridge, dans le Connecticut, compte encourager les visiteurs à s’immerger chaque dimanche jusque fin mai dans les œuvres d’art de 50 artistes palestiniennes venues du monde entier.
L’exposition Telling the Palestinian Story (Raconter l’histoire de la Palestine), qui s’ouvre aujourd’hui, présente plus 200 œuvres d’art regroupant peintures, sculptures, photographies, textiles et mixed media.
Les artistes participantes, dont un grand nombre exposeront leur œuvre aux États-Unis pour la première fois, proviennent de 14 pays répartis sur les cinq continents, dont les États-Unis et le Canada, la Palestine, le Kenya, le Chili, l’Allemagne et le Royaume-Uni.
« La mission du musée consiste à montrer la grande qualité artistique des Palestinien(ne)s et nous avons voulu mettre particulièrement en lumière les femmes palestiniennes parce qu’elles n’ont jusqu’à présent reçu que peu d’attention en Occident »,
explique l’artiste-entrepreneur palestino-américain Faisal Saleh, fondateur et manager du musée.
Saleh estime que l’histoire de l’art palestinien a surtout été dominée par les hommes.
« Nous voulions modifier le discours et attirer l’attention sur les femmes – et quel meilleur moment y a-t-il pour cela que la Journée internationale des femmes ? »
Les artistes choisies pour l’exposition, explique Saleh, vont d’
« artistes extrêmement accomplies et mondialement reconnues, comme Samia Halaby, à des artistes dont personne n’a jamais entendu parler »,
mais qui sont particulièrement talentueuses.
« J’ai été très sélectif dans mes invitations, mais pas au point d’ignorer de jeunes artistes montantes toujours en train de progresser »,
poursuit-il.
Haya Halaby, une artiste multimédia vivant à New York, exposera plusieurs peintures abstraites très colorées.
Parmi les autres artistes de premier plan reprises dans l’exposition figurent l’artiste palestino-américaine Manal Deeb, née à Ramallah mais qui vit à Washington, DC, et qui aborde dans son œuvre les thèmes de l’exil.
De même, l’artiste londonienne Laila Shawa, dont l’art a des connotations politiques en dénonçant l’injustice et la persécution.
Une autre encore est Haya Kaabneh, qui vit et travaille en Palestine. Son œuvre s’inspire d’histoires véridiques de femmes de son pays.
Elle les peint à la couleur à l’eau et ses œuvres constituent une métaphore des difficultés rencontrées par les femmes. Les visages de ses sujets sont souvent décrits comme tristes ou lointains, en raison des conditions pénibles de la vie sous l’occupation.
Les œuvres varient dans leurs thèmes, dimensions et styles – de la peinture à la sculpture. Certaines dépeignent l’identité palestinienne de façon manifeste via des symboles alors que d’autres le font de façon plus subtile.
Le musée, à vocation non lucrative, a ouvert ses portes en avril 2018 et il est le premier de l’hémisphère occidental à être consacré à l’art et la culture de Palestine.
L’exposition couvre les huit galeries du musée, dont trois vastes espaces et cinq plus exigus, dont certains consacrés à une seule artiste. La commissaire de l’exposition, Nancy Nesvet, qui a rallié récemment l’équipe du musée, explique que la diversité des œuvres présentées reflète à merveille l’ampleur de la diaspora palestinienne.
« Une chose intéressante à propos de cette exposition réside dans la variété des moyens utilisés et bon nombre d’entre eux se rapportent à l’idée de la Palestine, à son histoire, comme, par exemple, le fait d’utiliser des fils d’or et des motifs issus des tatreez – les motifs de la broderie traditionnelle – mais tout cela se traduit dans les peintures mêmes, dans les œuvres multimédias »,
explique-t-elle.
« L’une des artistes a réalisé des thobes (sortes de robes longues, NdT) palestiniennes en toile qui sont exposées comme des sculptures et sont couvertes de motifs de tatreez contemporains et abstraits, de sorte qu’elle, et nombre de ces artistes en général, reprennent les traditions populaires palestiniennes et les intègrent à des élements modernes, faisant ainsi entrer l’art palestinien dans la diaspora. »
Les thobes en toile, réalisée par l’artiste du New Jersey Samar Hussaini, sont exposées dans leur propre espace de galerie.
Deeb, de son côté, expose un ensemble de peintures semi-abstraites intitulées From Here to There (D’ici à là-bas) et qui met l’accent sur la force et le mouvement de la calligraphie arabe enracinée dans l’imaginaire afin d’évoquer l’expérience de la diaspora palestinienne.
L’artiste a également bénéficié d’un espace pour elle seule, dans une des galeries un peu plus petites. Nesvet a disposé les œuvres par thèmes et elle a utilisé la couleur pour orienter les visiteurs dans l’espace du musée, cherchant ainsi à créer une expérience d’immersion.
Thématiquement parlant, l’exposition est également très variée, elle reprend des œuvres figuratives et abstraites, des paysages ruraux et urbains dans un style qui va du réalisme à la semi-abstraction, et des œuvres dépeignant des événements et des personnalités, dont une série de portraits de l’artiste luxembourgeoise Jacqueline Bejani mettant en scène des Palestiniens célèbres, vivants ou morts – comme feu le philosophe américano-palestinien Edward Said.
Saleh insiste en disant qu’alors que nombre des œuvres ont un rapport avec la Palestine, ces liens ne sont pas toujours évidents à première vue.
« Une bonne partie du travail réside dans le fait qu’on ne peut dire que c’est palestinien, en le regardant – et c’est intentionnel »,
dit-il.
« Nous ne cherchions pas nécessairement un art palestinien rempli de drapeaux et de choses dans ce genre-là. Nous voulions que cet art soit subtil. Vraiment, l’histoire qui est racontée ici, c’est que les Palestiniens existent, qu’ils ont du talent et qu’ils sont exactement comme tout autre peuple. Ils sont humains et ils ont besoin d’être reconnus en tant qu’humains et d’être traités en tant que tels. »
Inaugurée moins de six semaines après que le président américain Donald Trump et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou ont dévoilé un plan de paix au Moyen-Orient largement vilipendé par les Palestiniens du monde entier, Saleh explique que l’exposition est
« une façon de prouver l’existence des Palestiniens à une époque où cette existence même est attaquée et niée. »
S’intercalant au beau milieu de la durée de l’exposition, Palestine Art Week (la Semaine de l’art palestinien), une initiative digitale lancée l’an dernier par le musée, cherche à amplifier les voix des Palestiniens dans le monde entier.
« C’est un élément virtuel annuel où les gens se réunissent et postent des messages sur l’art palestinien – leurs artistes favoris, les peintures qu’ils préfèrent – et nous créons une tempête médiatique sociale à l’échelle mondiale autour de l’art palestinien »,
explique encore Saleh, qui a programmé un second cycle de l’événement – le premier est prévu de vendredi à lundi – du 24 au 30 avril.
Lorsque l’exposition ouvrira ses portes aujourd’hui, il prévoit d’utiliser une plate-forme digitale pour créer des liens entre les 50 artistes participantes.
« Lors de la cérémonie de vernissage, nous aurons une conférence vidéo en zoom et nous rassemblerons les 50 artistes du monde entier en une seule conférence, de façon à crée un sentiment de communauté et d’unité »,
conclut Faisal Saleh.
« L’un des objectifs est de renforcer l’identité des Palestinien(ne)s par le biais des arts et de créer un effet commun, qu’importe où ils (elles) vivent et qu’importe leurs divergences politiques ou économiques, de sorte qu’il y ait une voix artistique palestinienne unanime. »
Publié le 8 mars sur The National
Traduction : Jean-Marie Flémal