Coronavirus : des avis palestiniens sur la vie en confinement

 

De façon plus tragique, l’isolement fait partie intégrante de la réalité palestinienne depuis très longtemps déjà

Le voisinage de la mosquée al-Aqsa quasi désert suite au confinement

20 mars, Jérusalem. Un volontaire vaporise un gel désinfectant sur les mains d’un Palestinien, dans le voisinage pratiquement désert de la mosquée al-Aqsa. (Photo : AFP)

J’ai téléphoné à ma mère pour lui demander : « Que faisions-nous pendant les couvre-feux à l’époque de l’intifada ? »

Ma mère a rigolé et a répondu : « Nous cuisions des pâtisseries. Des quantités ! »

En effet, je me rappelle que notre maison à Ramallah était remplie des arômes de toutes ces différentes pâtisseries.

Je me rappelle aussi les patrouilles permanentes des soldats israéliens dans les rues, et l’horrible son de cet arabe hésitant qui sortait de leurs jeeps blindées vertes quand, lors du couvre-feu imposé, ils hurlaient leur menace tonitruante d’« abattre toute personne surprise à traîner en rue ».

C’étaient des moments effrayants, des moments que nous passions à l’intérieur de nos maisons, en nous demandant quand tout cela serait fini.

Un emprisonnement perpétuel

Au vu des actuels confinements nationaux dus au COVID-19, les Palestiniens ont partagé des messages dans les médias sociaux et ce, dans une tentative de faire ressortir le siège de Gaza et les couvre-feux imposés en Cisjordanie.

La différence entre les couvre-feux et l’actuel état de quarantaine générale, c’est que, avec les confinements imposés par l’armée, il y a l’élément ajouté que rester à l’intérieur ne garantit pas nécessairement votre sécurité, pas plus que celle des autres.

En effet, à tout moment, en tout endroit, une brigade armée peut faire irruption dans votre maison et prétendre qu’elle est désormais une base militaire.

Vos mouvements sont contrôlés par des armes à feu et on peut entendre le son des bombardements à l’extérieur, ainsi que celui des munitions réelles qui semblent jouer sans arrêt comme l’une ou l’autre sinistre symphonie passant en boucle.

Les récents messages qui émaillent les médias sociaux présentent notre histoire – et notre présent – comme une expérience qui nous a préparés à ces mesures de quarantaine prises aujourd’hui dans le monde entier à cause du COVID-19.

Pour Gaza, cela met en évidence l’insupportable réalité d’un emprisonnement perpétuel.

Pourtant, alors que le monde tente d’accepter ces mesures de quarantaine, la réalité pour les Palestiniens signifie qu’ils doivent vivre dans un état permanent d’enfermement – sauf que notre confinement ne vise ni notre bien-être ni celui du monde extérieur.

Il a été décidé dans le seul but de nous isoler, de nous endiguer et de faire en sorte que nous soyons socialement distants les uns des autres.

Les actuels confinements à l’échelle mondiale – même s’ils diffèrent grandement – sont un moment qui nous permettra à tous de réfléchir sur notre existence propre et sur celle des autres.

Inextricablement liés les uns aux autres

Le fait que, dans une situation d’urgence, des quarantaines sont imposées comme ultime recours pour sauvegarder la sécurité mondiale montre à quel point ce processus peut être préjudiciable et coûteux.

Il paralyse l’économie, plonge les interactions sociales dans l’impasse et accable les individus et les familles.

Après tout, ne sommes-nous pas des êtres sociaux inextricablement liés les uns aux autres ?

Quand j’assiste aux efforts expansifs de solidarité et de soutien dans le but de contrer la solitude et l’isolement, je ne puis que me rappeler les personnes et les communautés qui vivent en isolement depuis des années.

La Palestine n’est qu’un exemple parmi d’autres dans le monde de communauté soumise à des inégalités incessantes et des forces d’oppression.

20 mars. Les forces de sécurité israéliennes montent la garde dans la Vieille Ville de Jérusalem. (Photo : AFP)

Le fait que cet isolement – de façon plus tragique, certes – a fait longtemps partie intégrante de la réalité palestinienne (et de la réalité d’autres aussi, de la Syrie à Cuba), devrait nous forcer à reconsidérer la façon dont nous permettons à nos décideurs politiques de continuer à être complices de la ségrégation de populations entières, dans nul autre but que celui de les diviser, de garantir leur non-accès aux ressources et de maintenir notre domination sur elles.

Ces temps sont extrêmement difficiles, même pour les gens fortunés qui vivent dans le confort de leurs maisons et qui ont accès à tous les aliments et produits sanitaires qui leur sont nécessaires.

N’empêche, je pense aux prisonniers palestiniens, dont des centaines d’enfants, croupissant dans des prisons surpeuplées, sans accès à une nourriture saine, à la chaleur ou à quoi que ce soit ressemblant à un divertissement, en dehors des cris des gardiens de prison et du personnel militaire israéliens.

Un grand nombre de ces prisonniers sont en détention administrative, sans accusation ni procès.

Bien davantage qu’un jeu

Durant les périodes de couvre-feu de la Deuxième Intifada, nous avons également souffert de coupures de courant, de coupures d’eau, et nous ne disposions pas des technologies sociales que l’on trouve aujourd’hui.

Je me souviens encore des marathons de parties d’ombres chinoises auxquels ma mère recourait pour nous occuper, mes frères, mes sœurs et moi-même.

Je me souviens du fameux jeu de l’« armure de couvertures » auquel elle nous forçait à jouer, lorsqu’elle nous faisait aller dans la pièce la plus sûre de la maison et nous obligeait à nous couvrir de couches et de couches de couvertures.

C’est ainsi que ma mère tentait de cacher le fait qu’elle était terrifiée à l’idée de voir notre maison bombardée par-dessus nos têtes ; elle cherchait désespérément à nous garder en sûreté, sans montrer de panique.

La panique est l’une des émotions les plus importantes que les décideurs du monde veulent endiguer et mitiger, en des temps de pandémie.
En des temps de violence imposée, par contre, on se sert de la panique comme d’une arme contre nous.

Nous jouions souvent avec ma mère, mais nous savions aussi que c’était bien davantage qu’un jeu.

Ce ne sont que d’infirmes parties des journaux du couvre-feu que tant de gens de ma génération – et de celle qui nous a précédés – peuvent raconter.

Il y a bien pire et, pour Gaza, ces réalités sont restées le statu quo depuis 13 ans et elle pèsent lourdement : le blocus, l’isolement, la crainte d’être bombardé, et aucun accès véritable à des soins médicaux adéquats.

La solidarité collective

En effet, les Palestiniens peuvent donner leur avis sur la façon de vivre dans un isolement angoissant, avec des ressources limitées.

Nous pouvons parler des jardinets de fortune qu’en des temps de pénurie de produits nous cultivions dans les ruines des maisons détruites par les bombes, ou des parties de barbecue que nous organisions ensemble sur les balcons de Beit Sahour, afin de nous rappeler que nous étions toujours des êtres humains.

Nous pouvons parler des jeux d’ombres chinoises auxquels nous jouions quand il n’y avait pas d’électricité et qu’il fallait consoler les enfants qui pleuraient, et nous pouvons parler de même des discours pénibles dont il fallait s’abreuver durant les interdictions de circuler, afin de s’assurer qu’on pouvait tenir le coup et continuer.

Il aurait bien mieux valu ne pas avoir connu toutes ces choses.

Et, en vérité, la réalité dans une époque de pandémie est très différente ; sous les confinements décrétés par l’armée, la menace de souffrance n’est dirigée que contre un segment bien particulier de la population, dans le simple but de saper sa résistance et de mettre un terme à sa présence dans le pays.

Au moment où nous sommes confrontés à cette pandémie qui nous menace tous et qu’il nous faut combattre, il est important de réfléchir aussi aux réalités humainement imposées, des réalités que nous bâtissons et soutenons nous-mêmes – et il est plus important encore de reconnaître l’importance de la confrontation avec ce qui nous tue, et nous devons le faire ensemble, intégralement et dans une solidarité collective.


Publié sur le 22 mars 2020 Middle East Eye.
Traduction : Jean-Marie Flémal

Mariam Barghouti

Originaire de Ramallah, Mariam Barghouti est une écrivaine et commentatrice palestinienne. Ses écrits ont été publiés dans le New York Times, Al-Jazeera en version anglaise, Huffington Post, Middle East Monitor, Mondoweiss, International Business Times et bien d’autres encore.

Trouvez ici les articles de Mariam Barghouti, publiés sur ce site

 

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