Quand ce sont vos parents qui sont en ligne de front
Tamam Abusalama, 25 mai 2018
Hier, je me suis éveillée et j’ai vu une photo sur laquelle ma mère portait sa robe traditionnelle palestinienne, faite à la main, et mon père son keffieh rouge, rappelant son idéologie de gauche.
Elle avait été prise le jour avant qu’ils rallient la Grande Marche du Retour, et ils l’avaient commentée en disant :
« Nous allons protester. On ne sait jamais ce qui peut nous arriver. Quoi qu’il en soit, continue à écrire, à travailler, à mobiliser. »
Quel message pour entamer la journée !
On aurait dit un message d’adieu. Des sentiments mitigés me secouaient en tous sens ; je voulais qu’ils s’en aillent mais, en même temps, je ne le voulais pas.
En tant que Palestinienne, je voulais les voir partir parce que la libération de la Palestine exige de nous que nous résistions par tous les moyens.
Comme papa ne cesse de le répéter, « le prix de la liberté est très élevé ».
Mais, en tant que fille de ce couple résilient, je ne voulais pas vivre les moments d’angoisse dont j’aurais souffert, je le sais, en me demandant s’ils avaient été blessés ou tués, exactement comme 13 000 autres jusqu’à présent. Je ne voulais pas pleurer les gens que j’aimais le plus sur terre.
Après les protestations, mes parents nous ont envoyé, à mes frères, mes sœurs et moi, une autre photo pour nous délivrer de nos inquiétudes.
Ils n’avaient pas l’air bien : Ils avaient inhalé des gaz lacrymogènes en provenance des grenades larguées par les drones israéliens, ce qui les avait obligés de s’encourir avant de devenir d’autres numéros parmi les masses de blessés.
Mais le fait de savoir que ma famille est physiquement en bonne santé n’a pas atténué la colère qui me ronge lorsque je regarde de loin, avec désespoir et impuissance, le massacre commis contre mon peuple.
Cela me met hors de moi de voir comment la vie continue, ici où je vis, à Bruxelles, considérée comme le centre des affaires européennes, comme s’il ne se produisait rien de bien conséquent à Gaza, mon chez moi.
Quand j’ai écrit mon mémoire afin d’obtenir mon diplôme, je me suis servie d’une analyse critique du discours, une discipline qui met l’accent sur la façon dont les relations de pouvoir sont établies et renforcées par le biais du langage.
Quand j’applique ces mêmes techniques de couverture de ce qui se passe à Gaza par les médias occidentaux, même les prétendus médias de gauche, soutiennent indirectement le discours sioniste en ne donnant aucune voix aux soumis (les Palestiniens) et en utilisant des mots qui blâment et déshumanisent ceux qui protestent.
La nuit est finalement tombée, ce jour-là, mais je ne pouvais toujours pas fermer l’œil alors que je me demandais comment je pouvais croire en une humanité qui fait semblant de ne pas voir les massacres de gens désarmés qui réclament tout simplement les droits dont tout le monde jouit ailleurs.
J’imaginais de voir les noms de mes parents sur la liste des martyrs. Jusqu’où laissera-t-on aller cette brutalité ?
Mon cœur avait mal pour bien plus que mes parents et mon plus jeune frère, qui est toujours à Gaza; il avait mal pour tous ceux qui ont été tués et qui voulaient une vie dans la dignité, pour ceux qui ont perdu les jambes mais qui voulaient néanmoins vivre pleinement leur vie, pour ceux qui ont perdu des êtres chers et qui, désormais, les pleureront tout le reste de leur vie.
Que la communauté internationale s’en soucie ou pas, qu’elle condamne les violations israéliennes ou pas, nous continuerons à résister jusqu’à notre tout dernier souffle.
Septante années de Nakba incessante, d’oppression, d’épuration ethnique, d’expulsions, de racisme, d’humiliations quotidiennes et de mesures d’apartheid ne nous feront jamais renoncer.
Je puis être exilée en Belgique, en compagnie de milliers de mes semblables disséminés à travers le monde, cela ne signifie pas pour autant que nous finirons par renoncer.
Publié le 27 mars 2020 sur We are not numbers
Traduction : Jean-Marie Flémal
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