Le FBI a enquêté sur des Américains soutenant les droits des Palestiniens

Ali Abunimah, 6 avril 2020

7 novembre 2003. Des activistes du Mouvement pour la solidarité internationale (MSI) tentent d'empêcher un bulldozer de l'armée israélienne de bloquer l'entrée du camp de réfugiés de Balata, en Cisjordanie occupée. Des documents récemment déclassifiés révèlent qu'en 2004, le FBI a enquêté sur des citoyens américains engagés dans des activités absolument légales en compagnie du groupe non violent. (Photo : Abed Omar Qusini Reuters)

7 novembre 2003. Des activistes du Mouvement pour la solidarité internationale (ISM) tentent d’empêcher un bulldozer de l’armée israélienne de bloquer l’entrée du camp de réfugiés de Balata, en Cisjordanie occupée. Des documents récemment déclassifiés révèlent qu’en 2004, le FBI a enquêté sur des citoyens américains engagés dans des activités absolument légales en compagnie du groupe non violent. (Photo : Abed Omar Qusini Reuters)

Le FBI a mené des enquêtes « antiterroristes » autour de citoyens américains parce qu’ils soutenaient les droits des Palestiniens, révèlent des documents entrés en possession de The Intercept.

Initiées en 2004, ces enquêtes se sont concentrées sur des activistes engagés au sein du International Solidarity Movement (ISM) à Saint-Louis (Missouri) et à Los Angeles.

Certaines indications révèlent que, un peu partout dans le pays, des bureaux du FBI ont été impliqués dans la surveillance de citoyens américains uniquement sur base des opinions politiques de ces derniers.

Il ressort également que, selon toute apparence, ces enquêtes ont été coordonnées ou effectuées pour le compte d’Israël.

« Alors que les enquêtes pourraient être perçues comme inoffensives puisque, finalement, elles n’ont découvert aucune preuve de terrorisme, elles sont toutefois en ligne avec une facette obscure de l’histoire du FBI »,

écrit Chip Gibbons, de The Intercept.

« Il s’est avéré que ISM est exactement ce qu’il prétendait – entièrement non violent – ce qui n’a pas empêché le FBI de s’obstiner à justifier ses enquêtes par des conceptions tout à fait paranoïaques sur les associations politiques. »

« Le FBI a qualifié certaines formes de discours de preuves de terrorisme », ajoute Gibbons.

Les enquêtes n’ont été révélées qu’après que le FBI a rendu publiques des centaines de pages de documents suite à une requête concernant la liberté d’information introduite en 2015.

Mais ce n’est qu’au terme d’une action en justice que le gouvernement a transmis les documents à The Intercept à la fin de l’an dernier.

La première enquête, à Saint-Louis, visait deux activistes, dont l’un s’appelle Mark Chmiel, l’autre est resté anonyme.

Tous deux avaient accompagné une délégation d’ISM en Cisjordanie occupée en 2003.

« Lors de la présence de la délégation dont Chmiel faisait partie, des soldats israéliens ont ouvert le feu sur une manifestation palestinienne et ont blessé l’un des activistes de Saint-Louis »,

rapporte The Intercept.

Feue la survivante de l’Holocauste, Hedy Epstein, faisait également partie de cette délégation.

Plus tard, Epstein a décrit l’horreur et l’impression de viol qu’elle a éprouvées d’avoir été « fouillée dans ses parties les plus intimes » à l’aéroport Ben Gourion.

En dépit d’une enquête qui a duré deux ans, le FBI a conclu que les activistes de Saint-Louis n’avaient enfreint aucune loi et n’avaient en aucun cas posé de menace à la sécurité nationale.

« Des notes manuscrites griffonnées dans les marges des deux dossiers du FBI disent ”aucune trace de preuve” »,

rapporte The Intercept.

On ne voit pas très bien pourquoi l’enquête de Saint-Louis s’était uniquement concentrée sur deux activistes en particulier, alors que de nombreux autres activistes de cette même ville avaient également accompagné ISM dans ses voyages.

S’appuyer sur des islamophobes

La deuxième enquête d’envergure sur le MSI a été lancée par l’antenne locale du FBI à Los Angeles, des mois après l’enquête de Saint-Louis.

Il s’agissait d’une « enquête concernant une entreprise terroriste » telle qu’on en lance habituellement contre des groupes soupçonnés de recourir à la violence pour atteindre leurs objectifs.

« Une fois encore, tout au long des documents se rapportant à l’enquête, le FBI a confondu opinions politiques et terrorisme »,

fait remarquer The Intercept.

Le FBI s’est concentré sur la façon dont certains membres de ISM défendaient des opinions anticapitalistes tout en éprouvant de la sympathie pour les droits des Palestiniens.

Aux yeux du FBI, révèlent des documents gouvernementaux, cette association d’opinions politiques

« est un motif de crainte que les membres d’ ISM ne soient éventuellement manipulés, ou encore soumis à des pressions – à moins qu’ils ne le fassent délibérément – voire qu’ils ne soient les pourvoyeurs financiers d’actes de terrorisme ».

Pour suivre le groupe à la trace, l’antenne de Los Angeles s’est servie d’informateurs secrets et a même noté les affiliations religieuses et ethniques des activistes aussi bien palestino-américains que judéo-américains.

Les bureaux du FBI dans tout le pays ont également suivi des pistes et collecté des indices, parfois aidés par les polices locales.

Les documents du FBI révèlent que l’enquête de Los Angeles avait été motivée par des allégations disant que les activistes d’ISM

« conspiraient pour enfreindre les lois sur la neutralité – via des actions directes contre le gouvernement israélien en raison de son occupation de la Palestine – et pour commettre d’autres actes criminels sur le sol même des États-Unis ».

Apparemment, cette enquête a été menée en vertu de la loi de 1794 sur la neutralité (1794 Neutrality Act) – un outil archaïque que les autorités américaines utilisent depuis longtemps pour poursuivre les gens qu’ils perçoivent comme leurs ennemis politiques.

Un aspect particulièrement dérangeant des activités du FBI résidait dans le fait qu’il s’appuyait sur FrontPage Magazine, un site Internet géré par le David Horowitz Freedom Center (Centre DH pour la liberté), d’extrême droite, comme source d’information sur les activistes.

Ce site, dirigé par l’islamophobe et raciste (entre autres à l’égard des noirs) notoire David Horowitz, a un long passé de harcèlement et de diffamation à l’égard des activistes et professeurs amis de la Palestine.

Les divers sites Internet et publications de Horowitz font partie des « principaux vecteurs des messages et mythes islamophobes », fait remarquer une importante étude sur l’industrie de l’islamophobie aux États-Unis.

Ils calomnient fréquemment aussi toute forme de défense des droits palestiniens en la faisant passer pour du soutien au « terrorisme ».

Bien que les enquêtes du FBI aient couvert tout le pays et que de nombreux groupes de solidarité avec la Palestine aient été mentionnés « en passant » dans les dossiers, il n’en est pas résulté la moindre poursuite ni la moindre allégation de terrorisme.

Pourtant, tout indique que le FBI continue à « assumer » son rôle historique de police politique secrète du gouvernement américain.

Les enquêtes lancées contre ISM nous ramènent en arrière, à l’époque du scandaleux programme de contre-espionnage et de sabotage « Cointelpro » des années 1960 (1956-1971, en fait, NdT), qui avait ciblé entre autres Martin Luther King Jr., nombre d’organisations des droits civiques et de groupes radicaux de couleur, sans oublier le mouvement contre la guerre.

Faire les quatre volontés d’Israël

Une indication provenant de The Intercept suggère que les enquêtes du FBI pourraient avoir été menées en coordination avec Israël ou pour le compte d’Israël.

Les documents révèlent que les agents du FBI aux États-Unis ont partagé des renseignements avec un bureau du FBI installé dans une ambassade des États-Unis à l’étranger.

Le FBI gère des dizaines de bureaux de ce genre à l’étranger, dont un à l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv (à l’époque, vers 2003-2004 ; depuis le 14 mai 2018, l’ambassade des États-Unis auprès d’Israël est située à Jérusalem, NdT).

Mais le FBI a censuré le lieu où se trouvait le bureau en question, prétendant que le révéler

« divulguerait des techniques et des procédures dans les enquêtes et les poursuites en vue de faire appliquer les lois ».

Même s’il est impossible d’en être sûr, on peut parier sans gros risque que cette antenne du FBI se trouvait à Tel-Aviv.

L’avocat des droits civils Jamil Dakwar a émis plusieurs observations importantes ignorées de The Intercept.

Dakwar fait remarquer que les enquêtes du FBI

« ont apparemment coïncidé avec la campagne du gouvernement israélien en vue de délégitimer le MSI et d’empêcher ses activistes d’agir, particulièrement après les homicides extralégaux [commis par l’armée israélienne] de Rachel Corrie en mars 2003 et du citoyen britannique Tom Hurndall en avril de la meême année ».

Ce n’est sans doute pas un hasard non plus si, depuis 2004-2007, une taupe de la police britannique a infiltré l’antenne ISM de Londres.

Corrie, 23 ans, était une activiste de ISM à Gaza et elle avait été écrasée (et tuée) par un militaire israélien au volant d’un bulldozer alors qu’elle tentait d’empêcher que soit détruite une maison palestinienne.

L’étudiant en photographie Tom Hurndall, 21 ans, avait été abattu, un mois plus tard, alors qu’il accompagnait des enfants vers un endroit en sécurité, et ce, dans le cadre de son volontariat pour ISM à Gaza. Il était décédé dans un hôpital britannique neuf mois après avoir été abattu.

Quelques jours à peine avant que des soldatds israéliens n’abattent Hurndall, les forces israéliennes d’occupation dans la ville cisjordanienne de Jénine avait abattu (et grièvement blessé) un autre militant américain de ISM, Brian Avery.

Les parents de Rachel Corrie avaient tenté d’intenter un procès devant un tribunal israélien, pour le meurtre de leur fille.

Au cours du procès, des témoins du gouvernement israélien avaient tenté en permanence de calomnier les activistes de ISM en les impliquant dans le «terrorisme».

Finalement, même la FBI n’a pas été d’accord avec cela. Toutefois, ces investigations – qui rappellent la façon d’agir d’une police secrète – contre des citoyens américains exerçant leurs droits constitutionnels ne sont pas innoffensives.

Au lieu de soutenir des Américains comme les Corrie et les Brian Avery qui ont été les victimes de la violence israélienne, fait remarquer Dakwar,

« le FBI était davantage intéressé à aider le gouvernement israélien à noircir les militants du MSI en les faisant passer pour des terroristes ».

Il ajoute que le FBI doit déclassifier

« tous les documents pertinents et fournir une explication complète de ses activités d’investigation plus que douteuses qui constituent un gaspillage de l’argent des contribuables et ne servent en même temps qu’à continuer de refroidir l’actuel et futur activisme légitime au profit de la Palestine ».

Publié le 6 avril 2020 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal

Lisez également : Déclaration de l’ISM sur l’enquête du FBI, par ISM Palestine – International Solidarity Movement Palestine

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