L’industrie militaire israélienne a-t-elle vraiment déclaré la guerre à un virus ?

 David Cronin, 11 avril 2020

Elbit, une firme d'armement, a équipé des médecins d'une nouvelle application pour mobilophone. (Photo : Via Facebook)

Elbit, une firme d’armement, a équipé des médecins d’une nouvelle application pour mobilophone. (Photo : Via Facebook)

Savon et eau importent plus que bombes et balles. On applaudit davantage le personnel médical que les généraux de l’armée. Et la valeur des masques s’avère supérieure à celle des missiles.

Si on devait se baser sur ces réalités, les fabricants d’armes du monde entier seraient contraints dès aujourd’hui de vivre des temps pourris : leurs produits sont franchement inutiles, pour combattre un virus.

Ce n’est bien sûr pas le message qu’ils aimeraient faire passer. Pour l’instant, Elbit, le premier exportateur d’armes d’Israël, fait activement la promotion de la manière dont ses innovations peuvent profiter aux soins de santé.

Elbit prétend avoir développé « un système de test à distance du coronavirus ». En utilisant un radar, il peut apparemment repérer la température et mesurer les pulsations cardiaques de patients sans même les toucher.

Comme si cela n’était pas assez excitant en soi, Elbit a également équipé des médecins en Israël d’une nouvelle application pour mobilophone, destinée à faciliter les communications dans un environnement bruyant – c’est du moins ce que j’ai pu comprendre en essayant de digérer tout ce vocable fantaisiste dégoisé par l’équipe de presse d’Elbit.

Abandonner la guerre ?

Malheureusement, aucun signe ne permet de supposer qu’Elbit veuille abandonner le commerce de la guerre.

Le mois dernier, Elbit annonçait qu’il avait des commandes non exécutées d’un montant excédant 10 millions de USD.

Les demandes d’armes israéliennes n’ont jamais été aussi fortes. Des données compilées par l’Institut international de Stockholm de recherche en faveur de la paix (SIPRI) suggèrent que les exportations d’armes israéliennes ont augmenté de 77 pour 100 dans la période allant de 2015 à 2019, comparée à celles de la période de 2010 à 2014.

Cette chronologie est très instructive.

En bombardant constamment Gaza durant l’été 2014, Israël a donné à ses fabricants d’armes une importante opportunité de mettre en vitrine de nouveaux produits. Un drone d’Elbit, le « Hermes-900 », a effectué son « baptême du feu », à l’époque.

La montée des exportations qui s’en est suivie ne peut être dissociée de cette offensive. Elbit et d’autres firmes israéliennes ont transformé le massacre des Palestiniens en opportunités de marketing.

Le détail piquant, c’est que le matériel promotionnel d’Elbit présente les armes comme ayant été « testées au combat ».

Une destruction délibérée

L’agression de 2014 impliquait la destruction délibérée des installations de santé. Onze conducteurs d’ambulance et travailleurs de la défense civile avaient été tués.

Le travail d’Elbit sur le Covid-19 n’efface pas le fait que la firme a tiré profit d’une opération militaire dans laquelle du personnel médical a été délibérément pris pour cible.

En tant que principal fournisseur de drones à l’armée israélienne, Elbit a directement facilité des crimes contre l’humanité. Les drones ont été déployés à des fins horribles tel le « roof-knocking » (litt. « coup sur le toit »), consistant à larguer un missile sur des bâtiments résidentiels en prévision d’attaques plus dévastatrices et mortelles encore.

Elbit pourrait désormais se faire passer pour un fabricant de technologie médicale. Mais cela ne change rien à la façon dont il a manufacturé des bombes à sous-munitions – des armes si effroyables que la plupart des pays de la planète ont signé un accord en vue de les interdire.

Il n’est peut-être pas nécessaire d’ajouter qu’Israël a rejeté cet accord. Israël a truffé une partie du Liban de ces bombes à sous-munitions lorsqu’il a attaqué ce pays en 2006.

Elbit et ses filiales ont installé des équipements de surveillance le long du mur construit par Israël en Cisjordanie occupée – un mur déclaré illégal par la Cour internationale de justice.

De même, Elbit a contribué à la militarisation de la frontière entre les États-Unis et le Mexique.

D’autres opportunités apparaîtront si l‘Union européenne continue à se comporter de façon cruelle envers les réfugiés. Le ministère israélien de la Défense a signalé qu’il envisageait de tirer prioritairement profit de ces opportunités.

Les leçons qu’on doit tirer de la pandémie du Covid-19 deviennent on ne peut plus claires.

Pratiquer des coupes sombres dans les budgets de la santé – et c’est ce qui s’est produit dans de nombreux pays – peut avoir des répercussions dévastatrices.

Si les dirigeants politiques veulent être préparés à de futures situations d’urgence, il est d’une importance vitale qu’ils changent d’approche, dans ce cas. Il est vital, avant toute chose, de traiter les soins de santé comme un droit et non comme une marchandise.

Il est tout aussi vital de réduire considérablement les dépenses militaires et, en lieu et place, d’investir davantage dans la médecine et l’éducation.

Du fait que les dirigeants politiques sont tributaires des idéologues de droite, un changement de direction semble improbable. Cela ne signifie pas que nous ne devrions pas nous organiser pour exiger ces choses.

Depuis trop longtemps, de nombreux hommes politiques admirent la façon dont Israël a tiré parti des opportunités que lui offrait l’occupation militaire de mettre sur pied une industrie extrêmement lucrative des armements.

Des sociétés comme Elbit pourraient être en mesure de se féliciter entre elles pour avoir apporté une petite contribution en vue de mettre un terme à une pandémie – si c’est bien ce qu’elles font, toutefois.

Cette petite contribution ne devrait pas cacher à quel point tous les contrats décrochés par Elbit ont été entachés de sang palestinien.


Publié le 11 avril 2020 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal

David Cronin est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Europe Israël : Une alliance contre-nature (Ed. La Guillotine – 2013) et  Europe’s Alliance With Israel: Aiding the Occupation (Pluto Press, 2011 – L’Alliance de l’Europe avec Israël contribue à l’occupation). Il a participé à la rédaction du rapport “The israeli lobby and the European Union”. 
Son dernier livre est : Balfour’s Shadow: A Century of British Support for Zionism and Israel (Pluto Press – Londres 2017).

Il a écrit de nombreux articles pour de nombreuses publications, dont The Guardian, The Wall Street Journal Europe, European Voice, the Inter Press Service, The Irish Times and The Sunday Tribune. En tant qu’activiste politique, il a tenté d’appliquer un état d’ »arrestation citoyenne » à Tony Blair et Avigdor Lieberman pour crimes contre l’humanité. 

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