La procureure de la CPI persiste dans son enquête

 
La procureure générale de la Cour pénale internationale maintient son point de vue : Il convient d’examiner les crimes de guerre en territoire palestinien occupé.

La procureure, Fatou Bensouda (screenshot youtube)

Fatou Bensouda (screenshot youtube)

Le 30 avril, Fatou Bensouda, procureure générale de la Cour pénale internationale établie à La Haye, s’est exprimée en détail sur les réactions suscitées par sa décision d’ouvrir une enquête officielle sur les possibles crimes de guerre israéliens et palestiniens. Et de conclure qu’il n’y a pas d’arguments fondés pour abandonner cette enquête.

Cinq années d’enquête préliminaire

Après une enquête préliminaire de cinq ans, Bensouda a fait savoir en décembre dernier qu’elle voyait suffisamment de motifs pour ouvrir une enquête sur de possibles crimes de guerre dans les territoires palestiniens occupés par Israël – la Cisjordanie, Jérusalem-Est et Gaza.

Elle a toutefois émis une réserve : pour être certain que la Cour pénale aune compétence juridique dans les territoires occupés, elle a demandé l’avis des juges de la Chambre préliminaire de la Cour.

Elle a entrepris cette démarche intermédiaire afin d’éviter que l’enquête qu’elle a décidée puisse par la suite être contestée sur le terrain même.

Ce risque est élevé, vu que c’est l’argument central avec lequel Israël et ses alliés tentent d’écarter une telle enquête depuis des années.

D’après eux, la Palestine n’est pas un État souverain aux frontières bien établies et, de ce fait, elle n’est pas habilitée à accorder à la Cour pénale quelque juridiction que ce soit sur son territoire.

L’inventarisation des opinions

La procureure Bensouda a invité les parties qui se sentent concernées dans l’enquête qu’elle a décidée de réfléchir à leur vision.

Huit États et trente-trois organisations avec leurs experts l’ont fait. Israël a laissé passer son tour ; le pays avait déjà réfléchi à un mémorandum juridique.

En outre, Israël ne s’est jamais approché de la Cour pénale internationale, par crainte que ses dirigeants ne doivent se justifier de crimes comme ceux sur lesquels Bensouda voudrait désormais qu’on enquête.

Cette fois, une coalition a été rameutée afin de soutenir le point de vue israélien.

L’Allemagne, l’Autriche, la Hongrie, la Tchéquie, l’Australié, le Brésil et l’Ouganda, des organisations comme Shurat HaDin, l’Ordre israélien des avocats, ainsi que nombre d’experts juridiques ont réfléchi à des plaidoyers en ce sens.

Les Palestiniens ont toutefois plaidé leur propre cause, soutenus par la Ligue arabe et par l’Organisation de la coopération islamique, ainsi que par des experts comme Richard Falk, John Quigley et Dennis Ross.

D’autres réactions encore

Ensuite, dans une lettre ouverte, plus de 180 organisations, dont The Rights Forum, se sont exprimées en faveur de l’enquête sur les crimes de guerre décidée par la Cour pénale.

Dans leur lettre, les organisations ont insisté pour que soit mis un terme à l’impunité de plus de cinquante ans dont Israël jouit dans les territoires palestiniens qu’il occupe.

En décembre, sous la direction de The Rights Forum, une coalition internationale de 203 organisations avait déjà demandé à la Cour pénale de lancer sans tarder une enquête officielle.

À cet effet, le 10 décembre 2019 – date de la Journée des droits de l’homme –, une pétition avait été déposée à La Haye.

L’évaluation de la procureure

Dans sa réaction publiée le 30 avril dernier, un document de soixante pages, Bensouda se penche sur les plaidoyers introduits.

Sur base de ces derniers, elle invite la Chambre préliminaire à confirmer que « le ”territoire” sur lequel la Cour pourra exercer sa juridiction (…) comprend bien la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et Gaza ».

Au contraire des voic pro-israéliennes, Bensouda adhère à un point de vue non politisé.

Elle insiste sur le fait qu’en novembre 2012, la Palestine a été reconnue par les Nations unies comme un État observateur non membre (Résolution 67/19), et que c’est en s’affiliant en tant qu’État membre qu’elle a accédé au Statut de Rome, le statut de fondation de la Cour pénale internationale.

Il en résulte entre autres que la Cour pénale peut bel et bien ouvrir une enquête sur les crimes de guerre en Palestine et ce, au moment où elle en aura l’occasion, c’est-à-dire, dans le cas présent, après une enquête préliminaire fouillée.

Bensouda insiste sur le fait que le Statut de Rome ne fait aucune distinction dans le droits et obligations des 138 États affiliés.

La question qui se pose est de savoir si, parmi les critères du Statut, les juges de la Chambre préliminaire voient des bases pour faire une exception des Palestiniens vi-à-vis des 137 autres États membres.

Elle-même n’en voit pas. Déjà, en janvier, elle exposait ses points de vue de façon détaillée dans une longue interview du journal The Times of Israël, interview dans laquelle elle parlait également des attaques israéliennes contre sa personne.

Il convient d’applaudir au fait que la Cour pénale rend ainsi sa façon d’opérer compréhensible pour le grand public et qu’elle fait un outre un sort à la désinformation qui est diffusée à ce propos.

Les réactions aux propos de Bensouda

Israël a réagi à l’avis de Bensouda comme si une mouche l’avait piqué.

Selon le ministre responsable Yuval Steinitz, elle est « anti-Israël », elle a « inventé » un État palestinien et complètement perverti le droit international.

Sous l’influence du mouvement BDS et de l’Organisation de la coopération islamique, Bensouda vise à nuire à Israël et à le salir, ajoute Steinitz.

En janvier déjà, le Premier ministre Netanyahou accusait Bensouda et la Cour pénale d’antisémitisme et il réclamait des sanctions internationales contre les deux.

Au nom des Palestiniens, Saeb Erakat, de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), a qualifié l’évaluation de Bensouda de « courageuse et justifiée » et de « message d’espoir » de voir se rapprocher le jour où une enquête sera lancée contre ceux qui ont commis des crimes de guerre contre le peuple palestinien. Erakat a insisté sur le fait que l’État de Palestine apportera sa collaboration totale à l’enquête qui a été décidée.

C’est désormais aux trois juges de la Chambre préliminaire qu’il incombe de donner une évaluation définitive sur l’enquête prévue sur les possibles crimes de guerre. On peut s’attendre à ce que ce soit pour le 1er septembre de cette année.

De sévères critiques contre l’Allemagne

En marge de ces développements, le rôle de l’Allemagne en tant que défenseur d’Israël s’est heurté à de sévères critiques.

Le fait que c’est ce pays en particulier qui s’engage activement à laisser hors de propos et impunis les potentiels crimes de guerre et violations des droits de l’homme – et, par la même occasion, bloque aussi bien l’accès à la justice des victimes qu’il ne porte atteinte à l’ordre juridique international – est perçu avec horreur.

Le journaliste israélien Gideon Levy, ainsi qu’Adri Nieuwhof, qui a publiué à plusieurs reprises sur le site Internet de The Rights Forum, y ont consacré un article et Avaaz a lancé une pétition demandant à l’Allemagne de revoir son rôle.


Publié le 3 mai 2020 sur The Rights Forum
Traduction : Jean-Marie Flémal

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