L’Autorité palestinienne détourne sa répression sur les journalistes palestiniens

À mesure que les protestations s’intensifient, l’AP détourne sa répression sur les journalistes palestiniens. Ils rapportent qu’ils sont la cible d’agressions violentes, de vols de téléphone et de menaces verbales et ce, en pleine répression par l’Autorité palestinienne des protestations en Cisjordanie.

Ramallah, Cisjordanie occupée, le 24 juin 2021. Des Palestiniens participent à une manifestation suite à la mort de l’activiste palestinien Nizar Banat, décédé lors de son arrestation par les forces de l’Autorité palestinienne. (Photo : Flash90)

Dima Abumaria, 6 juillet 2021

La journaliste palestinienne Faten Elwan a l’habitude de réaliser des reportages dans des situations de danger. Lors de la Seconde Intifada, au début des années 2000, elle a été confrontée aux chars et hélicoptères israéliens. Elle a été touchée à deux reprises par des balles tirées par des soldats israéliens, alors qu’elle faisait son travail – une première fois alors lorsqu’elle couvrait des événements à Ramallah, en Cisjordanie, et une autre fois dans la ville de Naplouse. Mais c’est la première fois que Faten Elwan déclare qu’elle craint pour sa sécurité. 

Depuis le 24 juin, la date à laquelle Nizar Banat, qui exprimait ouvertement ses critiques à l’égard du gouvernement, a été tué alors qu’il était sous la garde des forces sécuritaires de l’Autorité palestinienne, qui venaient de l’arrêter avec une extrême violence dans la maison de ses proches, près de Hébron, des milliers de Palestiniens sont descendus dans les rues un peu partout en Cisjordanie occupée afin de protester contre l’AP, dont ils considèrent le pouvoir comme corrompu et autoritaire. 

Des journalistes palestiniens, dont Faten Elwan, ont affirmé que les forces sécuritaires palestiniennes et les gens loyaux envers le Fatah, le parti du président Mahmoud Abbas, les ont attaqués alors qu’ils couvraient les manifestations et ils ont tenté à maintes reprises de s’emparer de leurs téléphones et autres équipements. Dans certains cas, des journalistes ont été tabassés ou harcelés par des agents en civil, lesquels recouraient à des tactiques utilisées par les forces israéliennes contre les Palestiniens.

Lors d’une manifestation qui a eu lieu à Ramallah le 26 juin, Faten Elwan, une vétérane du journalisme qui a plus de 65 000 fans sur Facebook, filmait et enregistrait au moment où des centaines de protestataires réclamaient un changement dans le gouvernement palestinien et sa répression des libertés, tout en scandant des slogans contre le président Abbas et d’autres dirigeants.

« J’ai été abordée directement par un policier qui m’a arraché mon téléphone de la main alors que je filmais et qui, ensuite, s’est mis à essayer de me prendre mon sac »,

déclare Faten Elwan, qui portait pourtant une vareuse de la presse au moment où elle couvrait les événements. Et d’expliquer que, conformément aux directives sécuritaires données aux journalistes, elle se trouvait du côté des policiers, dans la manifestation.

« Je lui ai demandé de me rendre mon téléphone mais il a insisté pour que je m’adresse à l’officier responsable »,

poursuit Faten Elwan. Son téléphone a changé de main plusieurs fois avant qu’on ne le lui rende, finalement, mais à certaines conditions.

« On m’a demandé de quitter le camp de la police et de me diriger du côté des manifestants », explique Faten Elwan. Mais elle a regretté la requête de l’agent, étant donné que la police s’était mise à tirer sur les manifestants.

Faten Elwan a alors décidé de quitter les lieux tout à fait : « J’ai fait un pas vers l’avant, puis un pas vers l’arrière, après quoi, je suis partie », conclut-elle en soupirant.

Le lendemain, une vingtaine de journalistes palestiniens couvraient des protestations antigouvernementales à Ramallah quand ils ont brusquement été entourés par un groupe d’hommes dont il s’est avéré qu’il s’agissait d’agents de la sécurité en civil, toujours selon Faten Elwan. «Ils ne cessaient de répéter la même chose : ‘Agents de la sécurité, amenez les gens de la presse», se rappelle-t-elle.

« Ils étaient répartis en groupes d’une trentaine d’hommes, ils intimidaient et visaient des journalistes connus qui enregistraient les événements sur le terrain. »

Faten Elwan affirme que, déjà avant ces manifestations, elle avait été approchée par une connaissance qui l’avait mise en garde en lui disant qu’elle pouvait être reprise sur une liste noire de l’AP si elle ne « choisissait pas son camp ».

« J’ai compris qu’il n’était qu’un messager me faisait savoir que j’étais ‘limite’ », explique-t-elle.

« Je lui ai demandé de définir les deux ‘camps’ afin de comprendre comment répondre ou garantir ma propre protection. Il n’a pas su comment répondre. » 

Les forces de l’AP, ajoute Faten Elwan, ne se contentaient pas de tabasser les journalistes palestiniens, mais elles les poursuivaient et les menaçaient longtemps encore par la suite. 

« Je connais un journaliste qui est en fuite depuis dimanche, après avoir été menacé [par les forces de l’AP] »,

dit-elle. Outre le fait qu’elle craint pour sa propre sécurité, Faten Elwan est également embarrassée par le fait que les menaces qu’elle recevrait pourraient également viser sa famille et ses proches. « Ils peuvent me chasser du terrain, mais je crains pour ma famille », dit-elle.

Faten Elwan déplore aussi le fait que, lors des manifestations contre l’occupation israélienne, elle se réfugiait dans les bâtiments des forces sécuritaires palestiniennes afin d’échapper aux attaques des soldats israéliens. « Aujourd’hui, où suis-je censée m’abriter ? Qui est censé me protéger ? »

« Nous nous sommes retrouvés pourchassés »

Le 26 juin, c’est-à-dire deux jours après le début des protestations déclenchées par l’assassinat de Nizar Banat, le Syndicat des journalistes palestiniens a accusé les forces de sécurité de l’AP d’agresser des journalistes et de les empêcher de rapporter les événements ; le syndicat a également fait remarquer que, dans certains cas, la police avait été témoin d’agressions contre la presse mais qu’elle n’ait rien fait pour les faire cesser.

Le syndicat a invité les journalistes à boycotter toutes les conférences de presse organisées par le président palestinien et les autres responsables de l’AP tant que le gouvernement n’aurait pas destitué le chef de la police et demandé des comptes aux policiers qui ont agressé des journalistes.

Parmi ces assaillants, il n’y avait pas que des agents en uniforme. Najla Zaiton, une journaliste palestinienne qui travaille pour l’AlQuds News Network, affirme qu’elle a été agressée par un homme en civil au cours d’une manifestation à Ramallah, alors qu’elle faisait son reportage avec tout son attirail de journaliste et qu’elle était dûment munie de sa carte de presse.

« Il portait un masque sur le visage quand il m’a poussée. Je lui ai immédiatement montré ma carte de presse et j’ai essayé de lui expliquer que j’étais une journaliste mais, sans tenir compte de rien, il m’a cognée de toutes ses forces dans l’épaule gauche. »

Aujourd’hui, Najla Zaiton souffre toujours d’une enflure et d’ecchymoses à l’épaule et à la jambe gauche, comme le confirme l’hôpital de Ramallah où elle a été soignée.

Alors qu’elle couvrait la manifestation de la place Manara dans le centre-ville, Najla Zaiton avait remarqué que, dès que les manifestants anti-AP se mettaient en route en direction de la Muqata’a – le quartier général administratif du gouvernement –, ils se heurtaient à une autre manifestation, très différente.

« C’était un groupe de gens qui scandaient des slogans de soutien au gouvernement et au mouvement Fatah », 

explique-t-elle.

« Puis, tout d’un coup, les deux groupes se sont mis à échanger des insultes et à se balancer mutuellement des bouteilles d’eau. Les partisans du gouvernement accusaient les protestataires d’être des traîtres et des espions hostiles au Fatah »,

ajoute-t-elle.

Alors que Najla Zaiton filmait les événements, un homme s’est approché d’elle par derrière et a tenté de lui arracher son téléphone, mais elle est parvenue à s’éloigner.

« J’ai continué de filmer jusqu’au moment où, brusquement, j’ai été agressée par un des protestataires antigouvernementaux nanti d’un long bâton en bois, comme ceux qu’on utilise sur les chantiers de construction »,

se souvient-elle.

Quand Najla s’est retrouvée au sol, un autre homme lui a arraché son téléphone – qui, un peu plus tôt, lui avait déjà été confisqué par la police de l’AP – des mains, avant de s’encourir. La journaliste a tenté de le suivre, mais d’autres manifestants du Fatah lui ont barré intentionnellement la route. Son téléphone est passé d’une main à l’autre jusqu’au moment où il est arrivé à un check-point gardé par les forces sécuritaires palestiniennes.

« Le téléphone a été remis à un agent palestinien sur place. J’ai essayé de lui expliquer ce qui s’était passé et je lui ai montré ma carte de presse. Mais un groupe de gens se sont amenés et l’ont entourée tout en pointant leurs caméras sur moi, pendant que je m’époumonais à réclamer mon téléphone »,

dit Najla Zaiton. 

Elle a ensuite été agressée verbalement par une femme qui s’est présentée comme membre des forces de sécurité palestiniennes.

 « Elle disait aux hommes de me rudoyer avant qu’ils ne m’envoient chez elle. Je lui ai demandé qui elle était et elle a répondu qu’elle était ‘une fille’ de l’establishment sécuritaire palestinien. »

Même si cette femme était une agente de la sécurité, elle n’avait pas le droit de l’agresser ou de lui parler de cette façon, surtout qu’elle n’était pas vêtue de son uniforme officiel, explique encore Najla Zaiton.

« Quelques minutes plus tard, une autre femme est venue me dire de façon provocatrice et grossière de m’en aller, mais je lui ai dit que j’avais besoin qu’on me rende mon téléphone, avant de m’en aller »,

poursuit Majla Zaiton. Un peu plus tard, la femme a de nouveau demandé à la journaliste de s’en aller mais, cette fois, elle était accompagnée d’un policier en uniforme.

« Il m’a demandé de me tenir à dix mètres au moins d’eux et du check-point. Puis une autre personne est venue dans ma direction et m’a jeté une pierre sur la jambe gauche »,

dit-elle.

À ce moment, Najla Zaiton avait cessé d’enregistrer les protestations et elle ne pensait plus qu’à tenter de se protéger contre les agressions. Quand elle s’était mise en quête d’autres journalistes sur les lieux afin de se mettre à l’abri en leur compagnie, elle avait vu qu’un manifestant partisan du Fatah s’en prenait à sa collègue Fayhaa Khanfar et tentait de s’emparer de son téléphone, dit-elle.

Finalement, les journalistes se sont retrouvés en train de fuir devant un groupe d’agents de la sécurité en civil.

« Nous tentions de nous éloigner pour notre propre sécurité mais c’est alors que nous nous sommes retrouvés pourchassés par tous ces gens »,

ajoute Najla Zaiton.

Les forces sécuritaires palestiniennes singent les tactiques israéliennes

La prévalence d’agents sécuritaires clandestins ou en civil – une tactique communément utilisée par l’unité des « mista’arivim » de l’armée israélienne contre les manifestants palestiniens – a été l’une des principales caractéristiques des efforts de l’AP en vue de réprimer les protestations de ces deux dernières semaines.

Moeen al-Taher, un analyste politique palestinien qui écrit pour l’Institut des études palestiniennes à Amman, a expliqué que le but principal de ces agents était d’infiltrer la manifestation et d’arrêter les meneurs des protestations.

« Ils visaient également les journalistes afin de les empêcher de couvrir ces événements et, à cette fin, ils leur confisquaient leurs téléphones et leur équipement, allant même jusqu’à les détruire »,

a-t-il déclaré.  

En dépit de ces violences inquiétantes, estime al-Taher, l’élément le plus dangereux des événements récents n’est autre que les contre-manifestations organisées par l’AP et qui rassemblaient bon nombre de membres des forces sécuritaires et autres membres du mouvement Fatah.

« Leur but est d’éclipser la manifestation originale et de donner aux forces de l’AP une excuse pour la briser, en prétextant de faire cesser les confrontations alors que c’est eux-mêmes qui les ont provoquées »,

explique encore al-Taher.

Et d’insister sur le fait que l’AP aurait dû désamorcer l’incident qui a suivi l’assassinat de Banat en lançant une procédure juridique indépendante, au lieu de tenter de manipuler et de devancer les événements qui s’en sont suivis

«sous le prétexte que ces manifestations tendaient à saboter [l’AP] et que, par conséquent, il fallait les réprimer. En fait, jusqu’à ce moment-là, les manifestations s’étaient généralement déroulées de façon pacifique »,

ajoute-t-il.  

Selon al-Taher, le Fatah a tenté de mobiliser les membres de son mouvement pour faire comme si les accrochages n’étaient que de simples bagarres entre factions politiques et prétendre, par conséquent, qu’ils reflétaient une scission sociale dans les rues palestiniennes. « C’est en fait un grand danger pour la totalité du mouvement palestinien », insiste-t-il.

Les activistes palestiniens et leurs figures de proue ont méchamment critiqué l’AP pour avoir singé les tactiques israéliennes en réprimant les manifestations, soit en faisant intervenir les forces spéciales soit en utilisant des agents clandestins. Moeen al-Taher fait remarquer que, dès le début de la récente « Intifada de l’unité », qui s’est déclenchée à Jérusalem en avril dernier, aussi bien l’AP qu’Israël ont opéré chaque jour des arrestations de Palestiniens qui participaient aux protestations de masse.

« Nous avons remarqué qu’il y avait une intégration, dans les termes de ces arrestations : ceux qui n’étaient pas arrêtés par l’AP l’étaient par Israël, et vice-versa »,

explique al-Taher. Et d’ajouter qu’il était clair qu’il y avait une entière coordination entre les deux autorités.

Al-Taher fait en outre remarquer que l’opération de l’arrestation par l’AP qui a tué al-Banat a eu lieu en zone C de la Cisjordanie, qui se trouve entièrement sous contrôle israélien, conformément aux accords d’Oslo.

« Il n’est pas permis aux forces de sécurité palestiniennes d’opérer dans ces zones », explique-t-il, et il leur faut donc l’autorisation des Israéliens pour y entrer. Il fait également remarquer que les méthodes utilisées pour arrêter Banat « étaient les mêmes que celles des forces spéciales israéliennes quand elles arrêtent des Palestiniens », y compris le fait qu’on a fait sauter la porte de sa maison avant de faire irruption à l’intérieur.

« Toute personne autour de vous pouvait très bien être utilisée pour vous réprimer »

Rita Ammar, 22 ans, étudiante à l’Université de Birzeit, a été choquée par la vitesse de l’escalade des stratégies de l’AP contre son propre peuple, ce qui a rendu plus sérieuses encore les exigences adressées par le public à l’AP.

« Il y a un changement important dans les mesures appliquées par l’AP pour réprimer les manifestants et l’opposition politique »,

explique Rita Ammar. Voici un mois, elle avait participé à des protestations contre les arrestations politiques en Cisjordanie. « Aujourd’hui, nous nous sommes éveillés dans une nouvelle réalité, celle de l’assassinat politique », dit-elle.

Au cours des dernières manifestations, Ammar et ses amis ont été pourchassés par les forces sécuritaires palestiniennes dans les ruelles de la Vieille Ville de Ramallah et attaqués par des policiers et des agents en civil à coups de bombes à gaz et de grenades incapacitantes. Des tabassages et des arrestations ont également eu lieu.

« Ils utilisaient des bâtons en bois, des pierres et leurs lourdes bottes militaires », dit-elle.

Ammar ajoute qu’une contre-manifestation organisée à proximité des protestations était protégée par la police et les forces sécuritaires palestiniennes.

« Parmi ceux qui participaient à cette manifestation figuraient des étudiants du Fatah que je connais de l’université »,

ajoute-t-elle.

Elle dit aussi que les protestataires palestiniens avaient tenté de créer un cercle de défense afin de protéger leur manifestation et de la tenir à l’écart de la contre-manifestation, mais que des confrontations avaient quand même eu lieu malgré leurs tentatives.

« Quand ils nous ont attaqués, la police n’a rien fait. Mais quand les protestataires se sont mis à riposter contre leurs attaques, la police s’est ruée sur notre manifestation. »

Ammar et ses amis ont tenté de se cacher et de s’enfuir, mais les forces sécuritaires et les agents clandestins poursuivaient les protestataires et les agressaient avec une grande violence.

« J’ai vu un jeune homme gisant sur le sol en entouré par plus de 20 membres de la sécurité qui s’acharnaient sur lui, bien qu’il ait été incapable de bouger »,

dit-elle.

Quand Ammar a tenté de l’aider en le couvrant de son propre corps, pensant que les assaillants ne s’en prendraient pas à une jeune fille parce que ce serait considéré comme infamant, elle aussi s’est fait agresser. Après cela, les mains et les jambes d’Ammar étaient couvertes d’hématomes et d’ecchymoses et elle a souffert d’un vilain traumatisme autour de sa cage thoracique, déclare-t-on à l’Hôpital arabe Istishari à Ramallah, où elle dû se faire soigner.

« Dans mon existence, mon combat contre l’occupation israélienne a toujours été clair comme du cristal »,

dit Ammar.

« Mais, aujourd’hui, il est devenu pénible et confus, surtout quand vous vous rendez compte que votre voisin, ou un chauffeur de taxi de votre connaissance ou encore n’importe qui autour de vous peut être utilisé par l’AP pour vous réprimer. »


Publié le 6 juillet  2021 sur +972 Magazine
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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Dima Abumaria est une journaliste palestinienne ayant plus de six années d’expérience dans le journalisme et la communication. Elle est diplômée en sciences politiques et journalisme de l’Université de Birzeit, à Ramallah. Ces quatre dernières années, elle a été correspondante pour les affaires arabes auprès d’une agence de presse américaine. En outre, elle a contribué à coordonner et diriger des visites de délégations importantes en Cisjordanie et en Israël, afin de les éduquer à propos du conflit sur le terrain. Dima Abumaria a précédemment travaillé au département des informations de Sky News Arabia, où elle a été responsable des infos et du lecteur des nouvelles de dernière minute. Elle a également participé à la production d’informations et de matériel pour la télévision.

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