La sous-traitance de l’occupation par l’AP alimente la violence de genre

L’Autorité palestinienne utilise en sous-traitance les armes de guerre de l’occupation :  les nervis de l’AP ont arrêté des femmes palestiniennes, leur dérobant leurs mobilophones et les menaçant de publier leurs messages et photos privés si elles ne se pliaient pas aux exigences sécuritaires de l’AP.

Dessin : Ahmed Frassini

Dessin : Ahmed Frassini (sur FB)

Nada Elia, 2 juillet 2021

La Palestine est une question féministe : cette affirmation est un lieu commun et ne devrait nécessiter le moindre éclaircissement. Pourtant, comme c’est le cas avec bien des sujets concernant la Palestine, elle n’a jamais cessé de requérir de longues discussions, clarifications, analyses et recherches.

Il semble exister un certain consensus selon lequel le colonialisme même entraîne toujours des problèmes de genre – cette remarque, bien des intellectuels l’ont faite de façon convaincante ces quelques dernières décennies en analysant les nombreuses manières dont les corps féminins se muent en champs de bataille du pouvoir, soit comme preuves d’une conquête, soit comme cibles prioritaires du désir du colon d’« éliminer l’autochtone ». L’expression « viols, vols et pillages » constitue une triste description des conquêtes menées en Afrique, dans les Amériques, en Europe et en Asie.

Outre la violence des agressions sexuelles, la violence de genre adopte des formes spécifiques selon le contexte politique, social et culturel de l’agression coloniale. En Inde, par exemple, le colonialisme a pris la forme des « hommes blancs sauvant les femmes de couleur des hommes de couleur ». En Algérie, les colonisateurs français rassemblaient les femmes musulmanes et leur ôtaient publiquement leurs coiffes afin de démontrer à quel point ils « modernisaient » la société de l’Algérie.

Le voile, plutôt que l’impérialisme, était perçu comme oppressif – une tendance qui s’est maintenue dans l’Europe actuelle, où le port du voile est souvent interdit aux femmes musulmanes dans les lieux officiels et espaces publics, dans un geste d’obligation culturelle qui n’a nul respect pour leur piété, et ce, dans le but prétendu de les « libérer » des directives de leur foi.

Les femmes palestiniennes n’ont pas connu mieux sous le colonialisme israélien. Le sionisme, toutefois, n’en a jamais fait des curiosités exotiques – ni n’a jamais aspiré à les « sauver », à les « moderniser » ou à les « libérer ». Il a toujours voulu les éliminer physiquement.  

Une menace démographique

Le sionisme perçoit les femmes palestiniennes comme une menace démographique, les génitrices de futurs terroristes élevant de « petits serpents », comme l’avait dit un jour la ministre israélienne de l’Intérieur et membre du parti d’extrême droite Yamina, Ayelet Shaked. Dans un message qui, depuis, a été traduit en plusieurs langues, Shake avait carrément plaidé en faveur du génocide, écrivant :

«Derrière chaque terroriste se trouvent des dizaines d’hommes et de femmes, sans qui il ne pourrait s’engager dans le terrorisme (…) Ils sont tous des combattants ennemis et leur sang retombera sur toutes leurs têtes. »  

« Aujourd’hui, ceci inclut également les mères des martyrs, qui les envoient en enfer avec des fleurs et des baisers. Elles devraient suivre leurs fils, comme devraient le faire aussi les demeures physiques dans lesquelles elles ont élevé les serpents. Sinon, d’autres serpents encore y seront élevés. »

D’autres sionistes ont mentionné le viol des femmes palestiniennes comme une arme de guerre. Un enseignant du supérieur et ancien responsable militaire a dit un jour qu’une façon de forcer les militants du Hamas à mettre un terme à leur résistance était de violer leurs mères et sœurs :

« La seule chose qui peut dissuader les terroristes, comme ceux qui ont kidnappé les enfants et les ont tués, est le fait de savoir que leur sœur ou leur mère sera violée. »

Israël a une longue pratique, très variée de surcroît, dans la manipulation des structures patriarcales et homophobes palestiniennes, particulièrement des conceptions conservatrices de l’« honneur », et ce, dans le but de recruter des collaborateurs et de fragmenter la société palestinienne. Il existe des rapports de la police israélienne présentant des photos de jeunes femmes qui rencontrent leurs petits amis en secret ; on les menace ensuite de dévoiler ces photos à leurs parents ; ou encore des photos de femmes qui ont été droguées et que l’on a photographiées dans des poses compromettantes, avant de les faire chanter et de les pousser ainsi à révéler des informations vitales sur la résistance.

Les interrogateurs ont également menacé d’agresser sexuellement des femmes si elles ne leur fournissaient pas des informations sur les initiatives de la résistance. Le slogan « la terre avant l’honneur », qui a commencé à devenir populaire après 1967, était censé encourager les femmes palestiniennes à ne pas avoir « honte » de collaborer suite à ce genre de menaces et de chantage.  

Une trahison nationale

Les cultures qui sont la proie d’attaques deviennent fréquemment régressives. Cette tendance pourrait provenir d’une impulsion à vouloir « préserver » des façons d’agir d’avant la conquête, résultant ainsi en un gel du temps et en un blocage de ce qui constituerait la progression naturelle de la société. Et, plus Israël s’autoproclame une « démocratie libérale » – pour les femmes et pour les homosexuels – plus les éléments réactionnaires de la société palestinienne perçoivent la justice de genre et la justice sur le plan sexuel comme des manifestations de colonialisme.  

Associées à l’environnement colonial et militariste masculiniste dans lequel vivent les Palestiniens, les conséquences sont fatales. L’intensification des normes patriarcales résultant du colonialisme sioniste s’est traduite par des exemples horribles de féminicide, où de jeunes femmes ont été tuées tout simplement parce qu’on les avait vues en compagnie d’un individu masculin non apparenté à leur famille.

Aujourd’hui, quand nous voyons les nervis de l’Autorité palestinienne s’en prendre à des femmes palestiniennes parce qu’elles s’opposent à l’assassinat par l’AP de Nizar Banat, nous devons comprendre que, du fait que sa tâche de base consiste à agir comme sous-traitante de l’occupation, l’AP utilise également en sous-traitance les armes de guerre de cette dernière contre la libération et, parmi ces armes, figure la collecte de renseignements s’appuyant sur l’exploitation des détails de la vie privée des personnes ciblées, et qui n’est autre qu’un moyen de chantage destine à réduire la dissension au silence.

Au cours de la dernière semaine, les nervis de l’AP ont arrêté des femmes palestiniennes, leur dérobant leurs mobilophones et les menaçant de publier leurs messages et photos privés si elles ne se pliaient pas aux exigences sécuritaires de l’AP.  

Ceci constitue une reprise parfaite des tactiques coloniales – une forme remarquable de trahison nationale et un autre élément destiné à nous rappeler que la Palestine ne sera pas libre tant que les femmes palestiniennes et les individus soucieux des questions de genre ne seront pas libérés, non seulement du colonialisme sioniste de peuplement, mais aussi des restrictions imposées par le masculinisme violent, militarisé existant actuellement au sein de la société palestinienne


Publié le 2 juillet 2021 sur Middle East Eye
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Nada Elia

Nada Elia

Nada Elia est une intellectuelle activiste palestinienne, auteure et organisatrice de mouvements citoyens. Elle termine actuellement un ouvrage sur l’activisme de la Diaspora palestinienne.
Nada Elia est également membre du collectif de pilotage de la Campagne américaine pour le boycott universitaire et culturel d’Israël.

Lisez également : Les femmes palestiniennes de Tal’at répondent à harcèlement de la police de l’AP

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