« Mais les juifs aussi ont subi une injustice »

Question : Existe-t-il d’autres exemples dans l’histoire où les victimes d’une immense injustice, comme celle perpétrée à l’encontre des Palestiniens par la colonisation des Juifs européens, se sont vu demander de reconnaître et d’adopter les affirmations fallacieuses et malveillantes de leurs oppresseurs ?

Septembre 2011. Au cours d’une manifestation à Bil’in, un protestataire palestinien brandit un drapeau à proximité du mur israélien de l’apartheid/annexion. (Photo : Issam Rimawi/Flash90)

Septembre 2011. Au cours d’une manifestation à Bil’in, un protestataire palestinien brandit un drapeau à proximité du mur israélien de l’apartheid/annexion. (Photo : Issam Rimawi/Flash90)

Bien sûr, il y en a eu. Les détenteurs du pouvoir militaire et politique d’opprimer ont historiquement imposé leur « discours » à leurs victimes et ils ont rédigé leurs manuels d’histoire en fonction de la chose. Quand vint la libération et que l’oppression fut levée, les gens qui avaient été piétinés et dépossédés par le colonialisme furent à même de revendiquer leur territoire géographique et leur histoire. Et les oppresseurs furent forcés de réévaluer leur auto-éducation raciste et suprémaciste.

Je ne dis pas, quoi qu’il en soit, « et tous vécurent heureux par la suite », parce que ce ne fut pas le cas, comme nous pouvons l’observer dans les luttes qui se poursuivent de nos jours, bien des années après que la libération a eu lieu techniquement, particulièrement dans les pays coloniaux d’implantation. Pour reprendre les termes d’Angela Davis, la liberté est un combat constant. Mais une « progression », même avec des hauts et des bas, est toujours présente dans bien des cas, sinon dans tous (voir le Cachemire !).

Le cas de la Palestine présente de nombreuses similitudes avec d’autres cas coloniaux d’implantation. Notre cause, toutefois, a été opiniâtrement en butte au « progrès », même en ce siècle où des « causes progressistes » évidentes abondent – sauf pour la Palestine.

La raison de cette dissonance cognitive présente dans l’expression « progressistes… sauf pour la Palestine » réside dans l’identité juive de ceux qui ont orchestré l’application du sionisme aux Palestiniens. Ici, je veux dire que l’histoire juive en Europe continue à poser un défi à la libération palestinienne.

Il y a toujours eu quelque chose, à propos de la libération palestinienne, pour détraquer les esprits des juifs de gauche de la « diaspora », sans parler des esprits et des cœurs des Juifs israéliens. Aujourd’hui que Peter Beinart a ouvert la porte à quelque révision – non pas de cette histoire, mais de la disposition d’esprit qui fait peser les droits humains palestiniens contre les intérêts juifs et découvre avec réticence (ou avec angoisse) un espace pour les Palestiniens sous la « tente juive » – il apparaît que la clef de l’acceptation de la cause palestinienne en tant que « cause progressiste » se trouve aux mains des juifs, et plus particulièrement des jeunes Juifs américains, qui grandissent en rejetant les croyances de leurs parents en ce que les juifs, mondialement, constituent « un peuple » nanti d’un droit à l’autodétermination hors de leurs pays d’origine.

Mais c’est toujours « compliqué »

En plaidant notre cause, apparaît-il, nous avons la tâche énorme de tenter de convaincre nos oppresseurs de ce qu’ils n’ont rien à craindre et tout à gagner en reconnaissant notre humanité et en démêlant ce que beaucoup ont appelé leur pathologie. Qui plus est, nous devons aussi, semble-t-il, être accrédités comme étant leurs alliés dans la lutte pour mettre un terme à l’antisémitisme – un antisémitisme dont nous n’avons que faire, nous, en Palestine, mais dont eux-mêmes sont complices !

Israël célèbre sa prétendue « indépendance », comme le font les Etats-Unis ; tous deux sont des Etats coloniaux d’implantation ; tous deux ont perpétré un génocide et une épuration ethnique et ont déporté des habitants autochtones – un projet criminel qui est toujours en cours en Israël. Mais, quand les gens disent du « Moyen-Orient » qu’« il est compliqué », ils font allusion au phénomène israélien consistant à vendre sans succès le statut du juif sioniste colonisateur en le prétendant autochtone. C’est là que se situe « la complication ».

En réalité, il s’agit bel et bien d’un canular. La tromperie a toujours la première option d’Israël dans la recherche de ses objectifs sionistes. Et c’est par la tromperie qu’Israël a transformé le droit au retour palestinien, internationalement reconnu, en une « fantaisie de la rédemption du retour de l’autre côté de la Ligne verte », et la fantaisie biblique de la rédemption juive – autrement dit, « Dieu sauvant le peuple d’Israël de son exil » – en une réalité.

Si la réconciliation dans un conflit signifie le rétablissement de relations convenables entre des adversaires, notre plus grand défi en tant que Palestiniens consiste à persuader de ce qu’ils ont tort, tous ces juifs et non-juifs par ailleurs rationnels qui comprennent, d’une part, que la création d’Israël en Palestine en 1948 a été une terrible injustice faite aux Palestiniens et qui, d’autre part, acceptent complètement la légitimité d’Israël.

Quand vous demandez à ces gens-là une explication, la réponse commence invariablement par : « Mais les juifs aussi ont subi une injustice. » C’est exactement ce que dit l’historien israélien Avi Shlaim : « A cela, je dis, donnez-nous une chance, à nous, Palestiniens ! »  


Publié le 20 juillet 2020 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal

Rima Najjar est une Palestinienne dont la famille paternelle vient du village dépeuplé de force de Lifta, dans la périphérie de l’ouest de Jérusalem et dont la famille maternelle est d’Ijzim, au sud de Haïfa. C’est une activiste, une chercheuse et une professeure de littérature anglaise retraitée à l’Université Al-Quds,  en Cisjordanie occupée.

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