Une quarantaine en cache une autre : un journal du coronavirus, depuis Gaza
« Le coronavirus est tout simplement un autre siège, une quarantaine à l’intérieur d’une autre quarantaine. » Aya Al Ghazzawi a partagé une journée de la vie quotidienne à Gaza pendant la pandémie de Covid-19.
Par Aya Al Ghazzawi, 3 septembre 20
2 septembre 2020
8 heures du matin : Je commence ma journée en nourrissant mes chatons et leur mère Semsem. Ils sont de plus en plus gros et fringants. Mes parents estiment que je devrais en faire cadeau à certaines personnes que cela intéresserait de les avoir. Mais nombreux sont ceux qui peuvent à peine nourrir leur propre famille, en ce moment. Avoir un animal de compagnie est devenu un luxe. Imaginez que j’en ai cinq, sans compter leurs frères et sœurs qui vont venir bientôt. Eh oui ! Semsem est grosse pour la deuxième fois !
J’ai pris le petit déjeuner avec ma famille et j’attrape mon téléphone pour consulter les dernières mises à jour concernant le Covid-19. Il y a quelque 326 cas positifs actifs, à Gaza. Le ministère de la Santé dit que la situation est sous contrôle, jusqu’à présent, mais qu’il nous faut rester confinés tant que les spécialistes n’auront pas complètement mis en carte l’épidémie à Gaza, qui est assiégé depuis si longtemps. Le coronavirus n’est à vrai dire qu’un autre siège, une quarantaine à l’intérieur d’une quarantaine.
Maman me pose sans arrêt des questions sur le virus. Je trouve ça assez marrant qu’en fin de compte, nous nous stressions pour autre chose que les agressions israéliennes !
Bien des Gazaouis ont fini par penser que le monde et nous étions dans le même bateau, avec la pandémie. Les morts actuels cités dans les infos ne viennent pas des frappes aériennes israéliennes qui ont frappé tant de foyers de résistance ces quinze derniers jours. Les patients qui ont contracté le virus ne devront pas passer par des opérations d’amputation comme ce fut le cas lors de la Grande Marche du Retour, quand les soldats israéliens ciblaient les membres des manifestants. Pour commencer, avons-nous estimé sarcastiquement, une forteresse au milieu d’un siège de 14 ans imposé par Israël. La restriction de mouvement nous a empêchés de quitter Gaza et d’être infectés. Nous sommes restés hors de portée de la pandémie. Le gouvernement ici a fait de son mieux pour empêcher la pandémie de se répandre parmi la communauté. Il a placé toutes les personnes entrant à Gaza dans des centres de quarantaine loin du reste de la société et pour pas moins de 21 jours. Mais nous savions que c’était inévitable. Tristement, nous cherchons une humanité partagée dans la maladie et la vulnérabilité. Voilà ce que peuvent faire des décennies de déshumanisation et d’inégalité.
Le coronavirus est-il le grand égalisateur ? Le reste du monde est-il réellement pareil à nous, désormais ?
14 heures. A la maison, tout le monde transpire abondamment. Nous avons l’air morose et las. Notre plafond est frappé directement par la chaleur du soleil. Le vent souffle un enfer. Nous subissons déjà une lourde vague de chaleur dans le mois le plus chaud de toute l’année. Les ventilateurs sont teints, puisque nous n’avons pas d’électricité. Il a fallu mettre à l’arrêt la seule centrale électrique de Gaza. Les garçons sont assis dans la chambre des garçons, les filles dans la leur. Nous nous changeons fréquemment en essayant de ne pas penser à la lessive. Nous aimerions tous prendre une douche. Malheureusement, on ne peut prendre de douche sans eau. Nos citernes à eau sont vides depuis trois jours.
Une heure plus tard, mon père remonte des seaux d’eau d’en bas. Il descend les étages, puis les remonte à de nombreuses reprises pour que nous ayons assez d’eau. Il n’y a pas d’ascenseur, ce qui l’oblige à tous ces efforts physiques. Deux de mes frères l’y aident. Il insiste pour que nous n’utilisions l’eau que pour des choses vraiment nécessaires, comme la vaisselle et l’usage de la salle de bains.
16 heures. Nous nous rassemblons tous dans le living. Nous quittons nos chambres parce que nos voisins se lancent dans une conversation. Nous pouvons entendre le moindre mot qu’ils disent. Eux aussi peuvent nous entendre facilement. Notre fenêtre donne sur la leur et vice versa. Je crois que c’est un problème commun à la plupart des Palestiniens du ghetto de Gaza. Gaza a été reconnue comme le plus grand camp de concentration du monde : deux millions de Palestiniens y vivent sur 360 kilomètres carrés. La vie privée n’existe pour ainsi dire pas. Tout le monde connaît les histoires de tout le monde. Nous décidons de les laisser parler librement et nous nous asseyons ensemble dans une pièce afin de leur laisser une certaine intimité.
« Regardez ! Les employés font la queue pour leur traitement devant la banque ATM. Ils n’ont pas peur de contracter le virus ? », demande ma sœur. « Ils ont des gosses à nourrir. Ils ont besoin de cet argent », répond mon frère. « On ne leur paie que 50 pour 100 de leur salaire, de toute façon », insiste ma sœur.
19 heures. Nous avons des piles de vêtements qui ont besoin d’une lessive. Nous tombons également à court de pain. Nous sommes censés avoir quatre heures de courant par jour. Ouais. Il fait extrêmement chaud, ici, à l’intérieur. Il commence aussi à faire sombre. Oh Dieu, accorde-nous la patience. Nous commençons à nous plaindre.
21 heures. Les enfants dorment à même afin de se rafraîchir. Nous allumons les DEL, qui constituent une source alternative sûre d’électricité. On n’utilise pas de bougies, chez nous. Des familles ont péri et des maisons ont brûlé, à cause de cela. Aman me demande d’appeler mon frère Muhannad en Algérie afin de prendre de ses nouvelles. « Ma pile est presque morte. Je l’appellerai demain », dis-je.
22 h 10. Le courant est revenu ! Tout le monde se précipite pour brancher les appareils et charger les téléphones. Maman branche la machine à laver puis se précipite sur le pétrin et se met à pétrir la pâte pour faire notre pain. Nous l’aidons pour le cuire au four électrique et disposer les pains dans des sacs. Quand j’ai fini, je surfe sur internet. Les dernières infos disent : « Trois enfants d’une même famille sont morts au camp d’Al Nuseirat dans l’incendie de leur maison, provoqué par une bougie. » Gaza n’a vraiment pas besoin de tragédies supplémentaires, m’écrié-je en haletant.
23 h 30. Je pose la tête sur mon oreiller en pensant à ma chatte et à ses chatons, au drame d’Al Nuseirat et à mon frère : je ne puis attendre jusqu’à demain pour l’appeler. Une question me vient une fois de plus à l’esprit. « Est-il honnête de dire que les souffrances du monde sont les mêmes que les nôtres ? » Mon esprit répond par empathie : Diable, bien sûr que non !
Publié le 3 septembre 2020 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal
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