Israël laisse 11 familles (74 personnes, dont 41 enfants) sans foyer à Khirbet Humsa
L’Administration civile israélienne n’avait accordé que 10 minutes aux familles vivant dans le hameau palestinien de Khirbet Humsa, dans le nord de la vallée du Jourdain, pour qu’elles retirent leurs possessions de leurs tentes, mardi dernier.
Amira Hass, 10 novembre 2020
Fatma Awawda, 23 ans, tenait sur son bras sa fille Larin, un an. Elle était restée paralysée à la vue des jeeps de l’armée et des ouvriers de l’administration en vareuses fluorescentes qui en étaient descendus, ainsi qu’à la vue des bulldozers et des militaires, sans parler de l’effet de tout ce vacarme et de tous ces cris.
Mais elle s’était rapidement ressaisie de façon à pouvoir emmener le plus de choses possible de la tente qui constituait son foyer. Qu’emporter d’abord ? La bonbonne de gaz ? Le berceau ? Les vêtements et les couvertures ? Les matelas ? La cuisinière ? Les jouets en plastique arrivés dans un colis ? Les oignons et les pommes de terre ? Le riz ? Elle avait déposé Larin sur le siège arrière de la Subaru toute déglinguée de la famille. Elle y aura bien chaud et sera en sécurité, puis j’aurai les mains libres, avait pensé Fatma.
Larin n’avait pas été la seule à être déposée à l’abri dans la voiture. Quatre agneaux nouveau-nés, encore trop jeunes pour être envoyés dans les collines avec les moutons plus âgés, avaient été placés dans le coffre. Au bout d’un moment, un travailleur de l’Administration civile avait sorti le bébé emmailloté de la voiture et l’avait tendu à l’un des adultes. Les clés étaient dans la voiture. Un soldat y était entré et avait démarré. Les agneaux étaient toujours dans le coffre.
« Les hommes se sont mis à courir derrière la voiture, criant au soldat de s’arrêter »,
avait déclaré Awawda vendredi, trois jours après l’exécution de l’ordre de démolition, qui avait laissé 11 familles sans foyer – 74 personnes, dont 41 enfants. On avait récupéré les agneaux mais la voiture avait été confisquée.
Une autre gamine de deux ans avait mouillé ses dessous en voyant le bulldozer heurter les structures rudimentaires de ce qui avait été sa maison. Les pleurs des enfants s’étaient noyés dans le fracas des démolitions. Mohammed, deux ans et demi, avait crié à un soldat : « Va-t’en, va-t’en ! » Sa mère, Ansar Abu al-Kabash, déclara que sa cousine était juste née la veille.
« Elle n’a pas encore de nom. Pendant la démolition, j’ai fait asseoir ma belle-soeur sur le côté, avec son bébé dans les bras. Ils sont allés quelque part ailleurs, maintenant. Ils ne pouvaient pas rester ici dans la tente qu’ils nous ont donnée, au beau milieu de tout ce bric-à-brac. »
Vendredi, il fallait toujours calmer son fils de 4 ans, Ismail, qui n’arrêtait pas de pleurer. Mohammed était toujours furieux. Leur petite soeur de 3 mois, Hadil, couchée dans un petit berceau dans la tente de secours que la famille avait reçue, semblait avoir repris leur malheur à son compte et elle y ajoutait ses propres pleurs de colère.
À propos du nombre de personnes laissées sans foyer, il s’agit de la plus grande opération de démolition menée par l’Administration civile depuis 2010. Quant au nombre de structures rasées, c’est également la plus vaste opération de démolition depuis 2016, puisque l’Administration a détruit 11 tentes et cabanes servant de logements, 29 tentes et abris destinés aux moutons (environ un millier de bêtes en tout), plus 19 enclos à moutons, 3 hangars, 9 tentes utilisées comme cuisines, 10 WC portables, 2 panneaux solaires, 23 réservoirs à eau, plus des étables et des mangeoires pour les moutons.
De l’eau précieuse a été gaspillée. Des sacs entiers d’alimentation pour les animaux ont été détruits. Deux tracteurs, ainsi que la Subaru d’Awawda ont été confisqués. La déclaration émanant du coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires et parlant d’une « mesure d’exécution contre sept tentes et huit enclos pour animaux » ne présentait aucune ressemblance avec l’échelle réelle des destructions.
Certains des résidents de Humsa affirment que le convoi des jeeps militaires est apparu à 10 heures du matin. D’autres pensent qu’il était 11 heures. Certains se rappellent avoir vu six bulldozers et excavatrices, d’autres parlent de quatre. Certains disent que l’équipe de démolition a marqué son premier arrêt au deuxième des quatre camprements de tentes qui constituaient cette communauté de bergers. Les campements étaient étalés d’ouest en est et deux kilomètres environ les séparaient les uns des autres. D’autres affirment que l’équipe de démolition est allée jusqu’au troisième campement, puis qu’elle s’est dispersée.
Mais tous se rappellent que la première chose que les hommes de la communauté ont faite a été de courir vers les enclos et d’en faire sortir les moutons pour les conduire vers les collines avoisinantes. « Le problème, c’est que c’est la saison des agnelages », a expliqué Abu al-Kabash. « Que va-t-il advenir des agneaux ? Où allons-nous les garder ? Comment allons-nous en prendre soin. »
Certains des moutons ont mis bas dans les collines, par la suite. Trouver un abri pour les moutons et les agneaux nouveau-nés était la tâche la plus urgente, parce que le gagne-pain des familles dépend précisément des moutons. C’est leur mode de vie, et elles n’y renonceront pas.
La quête de zones de pâture est ce qui a amené les familles Awawda et Abu al-Kabash, originaires du village de Samu’a dans les collines au sud de Hébron, dans le nord de la vallée du Jourdain. Cette migration vers le nord a commencé dans les années 1970 et 1980, quand les terres de pâture à proximité de Samu’a et de Yatta ont commencé à diminuer et qu’il a été de plus en plus difficile d’y accéder en raison des interdictions militaires et de la politique de construction d’Israël. En 1948, les familles de Samu’a avaient déjà perdu une partie importante de leurs terres, qui avait été laissée du côté israélien de la Ligne verte. En raison de la croissance démographique, de l’approvisionnement en eau limité qu’Israël accorde aux Palestiniens, des sécheresses croissantes et de l’expansion des colonies, de plus en plus d’éleveurs de moutons de Samu’a ont déménagé vers le nord, vers la zone de Jénine et de Tubas.
Les familles Abu al-Kabash et Awawda louent des terres appartenant à des personnes de Tamun et Tubas. Sur ces terres, ils ont érigé leurs logements rudimentaires et ils ont également cultivé du blé et de l’orge pour couvrir leurs propres besoins.
Mais Israël a déclaré la région « zone de tir » et c’est l’explication fournie par le COGAT (Coordinateur des activités gouvernementales dans les colonies, NdT) aux démolitions massives et ce l’a été aussi pour un grand nombre des démolitions et restrictions récentes imposées par Israël aux constructions et aux déplacements des Palestiniens en Cisjordanie. La seule zone de tir 903, où se situe Humsa, a ravi 8 000 hectares de terres aux Palestiniens dans le nord de la Cisjordanie. Depuis 2018, les résidents de Humsa ont dû évacuer au moins 20 fois en raison des exercices militaires dans la zone.
« Israël ne nous a pas laissé la moindre terre pour planter. Sans nos moutons, nous allons devenir des mendiants »,
explique Yusef Abu Awad.
« Israël ne veut pas que nous disposions de nos propres sources de revenu. Il veut que nous travaillions pour les Israéliens. »
Lé démolition de chaque campement a duré environ une demi-heure. Aisha Abu al-Kabash, soixante ans, est la belle-mère d’Ansar. Elle éprouve des difficultés pour marcher et elle dit que les travailleurs de l’Administration civile ont déménagé une partie du contenu de ses tentes dans le deuxième campement. Ce qu’ils n’ont pas emporté a été démoli ou enseveli sous les décombres des tentes. Umm Walid al-Kabash, du troisième campement, dit en pleurant :
« Si seulement ils nous avaient informé en temps utile. Nous aurions été à même de sauver plus de choses. Le taboun pour cuire le pain a lui aussi été détruit. »
Des proches des résidents de Humsa qui vivent à peu de distance de là ont essayé de se rendre sur les lieux afin de voir ce qui se passait dès qu’ils ont appris la nouvelle, mais ils ont été bloqués par les soldats. Leurs enfants ont franchi les colines à pied pour se rapprocher de la scène. Des photographes ont eux aussi été bloqués par les soldats, de sorte qu’il n’y a pas de prises de vue des démolitions mêmes. Uniquement le témoignage muet des amas de décombres : des tas de barres et de perches et de toiles froissées ou déchirées, des feuilles de contreplaqué, du treillis, du mobilier simple, des tissus, des parcs pour enfants (depuis mardi, on en avait placé dans les tentes de secours données à la communauté), des grains de maïs (pour nourrir les moutons) éparpillés sur le sol. Les familles se sont hâtées d’emballer leur nourriture et certaines de leurs affaires dans d’épaisses bâches de plastique afin de les protéger de la pluie qui s’est mise à tomber cette nuit.
Vendredi, après la diffusion des scènes de démolition extensive à Khirbet Humsa, une importante délégation de l’UE est venue visiter le site. Les ministres des Affaires étrangères de la Belgique, de la Grande-Bretagne, de l’Irlande et du Luxembourg y sont allés de condamnations et ont déclaré que ces démolitions violaient les lois internationales. Mais Ansar a répondu :
«Qu’y a-t-il de neuf, ici ? Ils ne savent pas ce qu’est Israël ? Ils ne savent pas qu’Israël veut se débarrasser de nous et amener ici plus de colons encore pour nous remplacer ?»
Publié le 10 novembre 2020 sur Haaretz sous le titre : “Israel Gave Them 10 Minutes to Pack Up Their Whole Lives: 74 Palestinians, Including 41 Children, Left Homeless”
Traduction : Jean-Marie Flémal
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Photo à la Une : Yumna Patel/ Mondoweiss