L’administration sortante des États-Unis qualifie BDS d’«antisémite»

Jeudi, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a formellement qualifié le mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) en faveur des droits palestiniens d’« antisémite » et a exprimé le souhait de voir l’administration américaine sortante le combattre.

Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et le ministre des Affaires étrangères du Bahreïn Abdullatif bin Rashid Al Zayani lors d’une conférence de presse à Jérusalem, ce 18 novembre. (Photo : Menahem Kahana UPI)

Tamara Nassar, 19 novembre 2020

Il s’agit de la dernière violation de la liberté d’expression de la part du gouvernement américain dans ses efforts en vue de réprimer toute forme de soutien aux droits des Palestiniens.

« Comme nous l’avons fait savoir clairement, l’antisionisme est de l’antisémitisme », a déclaré Pompeo, assimilant les critiques à l’encontre d’Israël et de son iséologie politique raciste, le sionisme, à du sectarisme à l’égard des Juifs.

Les États-Unis se sont « engagés à s’opposer à la campagne BDS mondiale en tant que manifestation d’antisémitisme », a affirmé Pompeo.

Il a également qualifié BDS de « cancer », dans une conférence de presse commune avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou à Jérusalem ce jeudi.

Pompeo a déclaré que l’envoyé du département d’État sur les questions d’antisémitisme allait

« identifier les organisations qui s’engagent en ce sens ou soutiennent d’une façon ou d’une autre »

BDS, et ce, afin de donner au département d’État la possibilité de mettre un terme à tout financement par le gouvernement.

Le ciblage par Pompeo de groupes

« recourant à des moyens pacifiques, tels les boycotts, pour mettre un terme aux violations des droits de l’homme à l’encontre des Palestiniens en les taxant d’antisémitisme, viole la liberté d’expression et constitue une aubaine pour ceux qui cherchent à réduire au silence, harceler, intimider et opprimer les personnes qui se dressent pour défendre les droits de l’homme partout dans le monde »,

a déclaré Amnesty International ce jeudi.

Les organisations de la société civile palestinienne ont lancé la campagne BDS en 2005 afin d’exercer des pressions sur Israël pour qu’il respecte les droits des Palestiniens et qu’il obéisse aux lois internationales. Cette campagne a été modelée sur celle qui a contribué à mettre un terme à l’apartheid en Afrique du Sud.

Le mouvement BDS s’oppose à toutes formes de racisme et de sectarisme, y compris l’antisémitisme, et il prône l’égalité, dont il fait une question de principe.

Le Comité national palestinien du boycott (BNC), l’organisation de coordination qui a lancé la campagne BDS mondiale, a dénoncé la démarche de

« l’alliance fanatique Trump-Netanyahou », qui continue à favoriser et normaliser le suprémacisme blanc et l’antisémitisme aux États-Unis et dans le monde tout en calomniant en même temps BDS ».

Omar Shakir, de Human Rights Watch, a déclaré que l’administration Trump « sapait le combat contre l’antisémitisme en assimilant ce dernier aux boycotts pacifiques ».

Vendre des marchandises des colonies

Pompeo a également déclaré que les marchandises produites dans les colonies installées sur les terres palestiniennes occupées devaient être étiquetées « made in Israel » – masquant ainsi le fait qu’elles étaient produites dans les colonies implantées dans les territoires occupés en violation des lois internationales.

Cela s’appliquera à tous les produits de zone C – les 60 pour 100 de la Cisjordanie sous le seul contrôle militaire d’Israël, suite aux accords d’Oslo des années 1990. C’est la zone où sont situées la plupart des colonies israéliennes.

Ceci a lieu au moment où quatre sénateurs républicains ont adressé – cette semaine – une lettre au président Donald Trump l’invitant à modifier la politique douanière américaine dans le but de permettre aux marchandises produites dans les colonies de porter le label « made in Israel ».

Pompeo a ajouté que les marchandises produites dans les zones de la Cisjordanie occupée nominalement sous l’Autorité palestinienne seraient étiquetées comme étant fabriquées en « Cisjordanie ».

Pompeo a dit également que les États-Unis « n’accepteraient plus » un étiquetage additionnel des produits originaires de la Cisjordanie occupée et de Gaza, puisque les deux territoires « sont politiquement et administrativement séparés et qu’ils devraient donc être traités en tant que tels ».

Ces mesures peuvent être interprétées comme une reconnaissance accrue, de la part des États-Unis, de l’annexion de facto par Israël de terres palestiniennes, tout en refusant aux Palestiniens la moindre reconnaissance de ce que la Cisjordanie et la bande de Gaza constituent une seule et unique entité politique.

Le BNC a qualifié cette confusion volontaire par le département d’État entre l’antisionisme et l’antisémitisme de tentative « révisionniste et frauduleuse » en vue de réduire au silence non seulement les partisans de BDS mais même les organisations des droits de l’homme – comme Human Rights Watch – qui ne soutiennent pas BDS tout en s’opposant malgré cela au commerce des marchandises en provenance des colonies.

Du vin des colonies

Dans un tweet de jeudi, Pompeo attaquait également la politique européenne faiblement appliquée consistant à exiger que les marchandises en provenance des colonies israéliennes soient étiquetées comme telles.

Apparemment, Pompeo a détruit son tweet peu de temps après, puis l’a posté à nouveau, mais sans la photo qu’il comprenait au départ de ce qui ressemblait au village palestinien de Mukhmas.

Ceci a eu lieu au moment où Pompeo et l’ambassadeur des États-Unis David Friedman visitaient Psagot Winery (vignoble, NdT), une firme implantée opérant sur des terres palestiniennes volées et occupées.

« Apprécié le lunch à la très pittoresque Psagot Winery, aujourd’hui », a écrit Pompeo.

« Malheureusement, Psagot et d’autres entreprises ont été ciblés par les pernicieux efforts américains dans l’étiquetage, lesquels facilitent le boycott des sociétés israéliennes. »

D’importantes personnalités américains ont précédemment visité les territoires occupés, sous l’administation Trump.

Toutefois, l’arrêt de Pompeo à Psagot Winery a manifestement été mis en scène pour accorder un soutien de haut profil aux colonies illégales d’Israël.

Le vin produit par Psagot Winery l’est avec des raisins en provenance de diverses colonies implantées en Cisjordanie.

Le vignoble est installé sur des terres appartenant à des Palestiniens de la ville toute proche d’al-Bireh, dont les résidents ont protesté contre la visite de Pompeo.

Comme cela a été le cas pour d’autres colonies d’implantation européennes, Israël a longtemps cherché à vendre sur le marché mondial des vins produits sur des terres palestiniennes et syriennes volées, comme l’écrivait récemment Joseph Massad, professeur à la Columbia University.

Le vin produit sur les hauteurs occupées du Golan syrien sera bientôt proposé à la vente aussi aux Émirats arabes unis.

Durant sa visite, Pompeo a également applaudi à la construction du site City of David, un parc thématique aménagé dans le quartier de Silwan, à Jérusalem-Est occupée, dont Israël a expulsé de force les résidents palestiniens.

Jeudi, Pompeo a également visité le site baptismal (de Jésus, NdT), situé à proximité du Jourdain, à la frontière séparant la Cisjordanie occupée et la Jordanie.

Il était également prévu qu’il s’arrête aux hauteurs du Golan. En mars 2019, Trump a reconnu la souveraineté d’Israël sur la région, et ce, au mépris total des lois internationales.

Cimenter une alliance contre l’Iran

La visite de Pompeo coïncidait avec celle du ministre des Affaires étrangères du Bahreïn, Abdullatif bin Rashid Al Zayani, qui a débarqué mercredi à Tel-Aviv pour sa première visite officille depuis que son pays a consenti, en septembre, à normaliser ses liens avec Israël.

https://twitter.com/Gabi_Ashkenazi/status/1328956569158029315?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1328956569158029315%7Ctwgr%5E&ref_url=https%3A%2F%2Felectronicintifada.net%2Fblogs%2Ftamara-nassar%2Foutgoing-us-administration-labels-bds-anti-semiticAl Zayani a rejoint Pompeo et Netanyahou pour une conférence de presse commune à Jérusalem.

Al Zayani a annoncé qu’Israël et le Bahreïn allait bientôt échanger des ambassades. Dès le mois prochain, les Israéliens et les Bahreïnis seront en mesure de se procurer des visas électroniques de façon à pouvoir emprunter des vols réguliers entre les deux pays.

Les accords de normalisation entre les États arabes et Israël ont été consentis dans le cadre des efforts américains en vue de mettre sur pied une alliance contre l’Iran entre Israël et les États du Golfe, et ce, sous la supervision des États-Unis.

Pompeo s’est vanté que les accords récents entre Israël et les États arabes avaient encore « isolé un peu plus » l’Iran et, dans un même temps, « réduit » son influence.

Ceci vient au moment où l’administration Trump durcit ses sanctions économiques contre l’Iran dans un effort visant à rendre irréversible le retrait de Trump de l’accord nucléaire de 2015 une fois que Joe Biden l’aura remplacé à la présidence.

Trump a même envisagé de bombarder le principal site nucléaire iranien au cours des toutes dernières semaines de sa présidence, rapportait The New York Times ce mardi.

Des conseillers, dont Pompeo et le vice-président Mike Pence l’ont, dit-on, dissuadé de le faire.

L’accord de 2015 dégagé par l’administration Obama et d’autres États a vu l’Iran restreindre volontairement son programme d’énergie nucléaire en échange de la levée des sanctions économiques.

Inlassablement, Israël a exercé des pressions pour que s’intensifie la guerre économique contre l’Iran, laquelle fait considérablement souffrir les simples citoyens iraniens tout en dévastant l’économie du pays en ces temps de pandémie.

Mercredi, Pompeo annonçait triomphalement la « campagne de pression maximale » de son administration contre l’Iran.

« Aujourd’hui, l’économie de l’Iran est confrontée à une crise des devises, à une dette publique croissante et à une inflation montante »,

a déclaré Pompeo. Il a mis en garde contre de « douloureuses conséquences » les pays et entreprises qui oseraient défier les sanctions américaines.

Une lettre du Congrès

Juste avant l’arrivée de Pompeo en Israël, le congressiste Mark Pocan a été l’initiateur d’une lettre demandant au secrétaire d’État de condamner les démolitions récentes de maisons palestiniennes par Israël.

Cosignée par 40 autres membres du Congrès, la lettre fait référence à la démolition totale de la communauté de Khirbet Humsa, en Cisjordanie occupée, le 3 novembre dernier.

La destruction a laissé sans abri plus de 70 Palestiniens, dont 41 enfants – c’était la plus importante démolition de ce genre depuis des années.

La congressiste Ilhan Omar, l’une des cosignataires, a qualifié la démolition de « crime grave » et a affirmé que les États-Unis « ne devraient pas financer le nettoyage ethnique ».

La lettre se demande si des équipements fournis par les États-Unis ont servi dans cette démolition – Omar avait déjà fait une mise en garde précédemment, disant que ce serait illégal.

La lettre insiste également en disant que, durant les deux derniers mois du mandat de Pompeo,

« les violations des droits de l’homme et des lois internationales devront continuer à être rejetées énergiquement par le gouvernement américain ».

Il est très clair, toutefois, que Pompeo est bien décidé à utiliser le temps qui lui reste pour encourager et récompenser le plus grand nombre possible de violations par Israël.


Publié le 19 novembre 2020 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal

Lisez également : Le mouvement BDS l’emportera sur l’alliance d’extrême droite Trump-Netanyahou

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