Maroc – Israël : un long passé de coopération secrète et étroite

Derrière l’annonce jeudi qu’Israël et le Maroc vont instaurer leurs premières relations diplomatiques normales, il y a près de six décennies de coopération étroite et secrète au niveau des renseignements et des questions militaires entre deux nations qui, officiellement, ne se reconnaissaient pas mutuellement.

Rencontre entre Hassan II et Shimon Peres en 1986 (Photo : AFP)

Ronen Bergman, 10 décembre 2020

Israël a aidé le Maroc à obtenir des armes et des équipements de collecte de renseignements et à apprendre comment les utiliser, et il l’a aidé à assassiner un dirigeant de l’opposition. Le Maroc a aidé Israël à faire venir et accueillir des Juifs marocains, à monter une opération contre Osama ben Laden – et même à espionner d’autres pays arabes.

La collaboration – non masquée dans une série d’interviews réalisées et de documents déterrés portant sur de nombreuses années – reflète une très longue politique israélienne de mise en place de liens secrets avec des régimes arabes avec lesquels Israël pouvait trouver des intérêts – et des ennemis – communs. En particulier, Israël a poursuivi ce qu’on appelle une stratégie périphérique atteignant des États plus distants et très éloignés du litige territorial israélo-arabe ou qui avaient des relations hostiles avec les ennemis mêmes d’Israël.

Les relations entre le Maroc et Israël provenaient en partie du nombre important de Juifs vivant au Maroc avant la naissance d’Israël en 1948 et dont beaucoup allaient y migrer pour constituer l’une des composantes les plus importantes de la population d’Israël. Environ un million d’Israéliens proviennent du Maroc ou sont des descendants de ceux qui en sont venus, provoquant ainsi un profond et constant intérêt pour ce pays distant de plus de 3 000 kilomètres.

Quand le Maroc obtint son indépendance vis-à-vis de la France, en 1956, il interdit l’émigration juive. L’agence israélienne d’espionnage, le Mossad, fit passer en fraude de nombreux Juifs, mais l’opération fut dénoncée en 1961, quand un navire du Mossad transportant nombre de ces migrants fit naufrage, provoquant ainsi la mort de la plupart des gens qui se trouvaient à bord.

Le mois suivant, un nouveau roi du Maroc, Hassan II, prit le pouvoir et Israël fit des efforts très fructueux pour le courtiser. Des agents israéliens approchèrent le dirigeant marocain de l’opposition, Mehdi Ben Barka, qui cherchait de l’aide pour renverser le roi. En lieu et place, les Israéliens mirent Hassan II au courant du complot.

Le roi autorisa l’émigration de masse des Juifs et permit au Mossad d’établir une antenne au Maroc. Israël fournit des armes et entraîna les Marocains à les utiliser ; il fournit également toute une technologie de surveillance et contribua à organiser le service de renseignement marocain ; et les deux pays partagèrent des informations récoltes par leurs espions – ce fut le début de plusieurs décennies de collaboration.

Un moment crucial eut lieu en 1965, quand les dirigeants arabes et les commandants militaires se rencontrèrent à Casablanca, et que le Maroc permit au Mossad de mettre leurs salles de réunion et leurs suites privées sous écoute. Ces écoutes clandestines donnèrent à Israël un aperçu sans précédent de la pensée, des capacités et des plans arabes, lequel s’avéra vital pour le Mossad et pour les Forces de défense israélienne dans la préparation de la guerre des Six-Jours, en 1967.

« Ces enregistrements, qui furent vraiment une réussite extraordinaire des renseignements, confortètent notre sentiment, au haut coimmandement des FDI, que nous allions gagner la guerre contre l’Égypte »,

déclara dans une interview de 2016 le général Shlomo Gazit qui, plus tard, allait devenir le chef des renseignements militaires.

Peu après ce coup des renseignements, et à la requête des renseignements marocains, le Mossad localisa Mehdi Ben Barka, le chef de l’opposition, et contribua à l’attirer à Paris où des Marocains et des Français qui leur étaient associés l’enlevèrent. Il fut torturé à mort et les agents du Mossad disposèrent du corps, qui ne fut jamais retrouvé.

Une décennie plus tard, le roi Hassan et son gouvernement devinrent le canal arrière entre Israël et l’Égypte et le Maroc devint le site de rencontres secrètes entre leurs hauts responsables, dans l’attente des accords de Camp David en 1978 et de la normalisation des relations entre les anciens ennemis. Plus tard, Israël contribua à persuader les États-Unis de fournir une assistance militaire au Maroc.

En 1995, les renseignements marocains se joignirent à un plan du Mossad – qui, finalement, devait avorter – visant à recruter le secrétaire d’Osama ben Laden afin de débusquer et de tuer le chef d’al-Qaïda. C’est ce que prétend un ancien responsable du Mossad qui participa à ce plan et qui a demandé de ne pas être cité nommément dans la discussion sur les opérations de renseignement.

Depuis des années, le successeur de Hassan II, le roi Mohammed VI, cherche l’aide d’Israël afin d’obtenir l’accord des Américains dans l’annexion par le Maroc du Sahara occidental et la chose a finalement porté ses fruits avec l’annonce de jeudi. Depuis 2006, Serge Bardugo, un dirigeant de la petite communauté juive vivant encore au Maroc, est l’ambassadeur du roi dans cet effort et c’est lui qui rencontre les hauts responsables israéliens et les dirigeants juifs américains.

À l’occasion, ces rencontres ont lieu en présence de Yassin Mansouri, un ami de longue date du roi, qui dirige l’agence de renseignement du Maroc à l’étranger. Yassin Mansouri, à son tour, a rencontré directement son homologue israélien, Yossi Cohen, le chef du Mossad, dans la conduite des négociations qui ont abouti à l’accord de normalisation des relations.


Publié le 10 décembre 2020 sur The New York Times
Traduction : Jean-Marie Flémal

Ronen Bergman est un chroniqueur militaire israélien , auteur du livre : « Rise and Kill First: The Secret History of Israel’s Targeted Assassinations » (« Lève-toi et tue le premier« )

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