Les conversations secrètes de Susanna Terstal avec un lobby pro-israélien

Susanna Terstal, l’envoyée de l’UE pour la « paix » a a accepté des invitations à au moins trois événements organisés par l’European Leadership Network, une organisation pro-israélienne pure et dure.

Susanna Terstal (à gauche) dénonce les « attaques à la roquette » en provenance de Gaza, sans critiquer l’agression israélienne. (Photo : via Twitter)

Susanna Terstal (à gauche) dénonce les « attaques à la roquette » en provenance de Gaza, sans critiquer l’agression israélienne. (Photo : via Twitter)

David Cronin, 3 mars 2021

Feu l’anthropologue David Graeber avait développé la théorie des « bullshit jobs » (emplois inutiles). Ce genre de fonction, écrivait-il, est « extrêmement dépourvue de sens, n’est d’aucune utilité pour le monde » et « ne devrait pas vraiment exister ».

Bien que Graeber ait en tête un certain avocat d’entreprise, sa description s’applique particulièrement bien à certaines tâches du domaine des relations internationales.

Il arrive très fréquemment que l’UE affuble un.e diplomate ou homme (femme) politique du titre de « représentant.e spécial.e pour le processus de paix au Moyen-Orient ».

C’est un titre qui s’appuie sur un mensonge.

La vérité, c’est qu’il n’y a pas de processus de paix au Moyen-Orient, puisque la création d’Israël est vouée entièrement au sionisme. Cette idéologie caractéristique soutient l’actuelle colonisation des terres palestiniennes et le rejet des droits palestiniens.  

Faire avancer un véritable processus de paix – avec la justice et l’égalité comme composantes essentielles – signifierait exiger l’abandon du sionisme par Israël.

Susanna Terstal, l’actuelle « représentante spéciale » de l’UE pour ce « processus de paix », opte pour l’approche contraire. En insistant tant et plus sur l’engagement de l’UE vis-à-vis de la « sécurité » d’Israël, elle reconduit l’assurance que l’on n’abordera pas la question du sionisme.

Du fait que Terstal dit exactement le genre de chose que les sionistes veulent entendre, on ne sera guère étonné de les voir chercher sa compagnie.

Par le biais d’une requête d’informations, j’ai appris qu’en 2020, elle avait accepté des invitations à au moins trois événements organisés par l’European Leadership Network, une organisation pro-israélienne pure et dure.

Attiser la haine

L’European Leadership Network (E LN) collabore étroitement avec l’armée israélienne – la même armée qui occupe la Cisjordanie et Gaza.

En dépit de la pandémie de COVID-19, l’ELN n’a cessé d’organiser des tournées de propagande en tandem avec cette armée.

Parmi les conseillers de l’ELN figure Michael Herzog, naguère une personnalité importante au sein de l’armée israélienne : il avait effectivement supervisé des opérations de bombardement contre Gaza.

Pendant ce temps, la branche française de l’ELN tente activement d’attiser la haine contre les musulmans en utilisant une rhétorique quasiment identique à celle de l’extrême droite.

Terstal croit-elle suffisamment en son travail pour défendre ses relations apparemment cordiales avec le lobby pro-israélien ?

Elle n’a pas voulu répondre aux questions que je lui ai posées directement. En lieu et place, elle les a transmises à Peter Stano, le porte-parole de la politique étrangère de l’UE.

Stano a répondu que la

« participation de fonctionnaires européens à des événements auxquels ils sont invités n’est pas un secret ».

Il est demandé de la part des envoyés de l’UE qu’ils

« interagissent avec un large éventail de partenaires et de parties prenantes ».

Il a ajouté qu’il était

« totalement erroné et absurde de présumer d’une affiliation ou d’une ‘étroite relation’ avec une organisation »

en s’appuyant sur la façon dont Terstal avait pris la parole lors de leurs événements.

Devenir moins transparent ?

Les preuves disponibles viennent contredire les affirmations de Stano.

Ni Terstal ni l’ELN n’ont publié quoi que ce soit sur internet à propos de la participation de Terstal aux trois événements de l’an dernier.

Cela montre qu’aussi bien elle que le groupe de pression sont devenus moins transparents qu’ils ne l’étaient naguère. En mars 2019, l’ELN avait fait circuler des photos de Terstal prononçant son discours d’ouverture lors d’un repas organisé par le groupe de pression même.

L’un des événements durant lesquels Terstal avait pris la parole l’an dernier était un séminaire en ligne consacré aux accords de normalisation concoctés par Donald Trump entre Israël et quelques autres pays.

L’invitation au séminaire disait explicitement que ses participants ne seraient pas autorisés à révéler les noms de ses orateurs et que l’événement « ne serait pas enregistré ».

En d’autres termes, le contenu de l’événement et l’engagement de Terstal furent gardés secrets.

Alors qu’il est possible que Terstal ne passe pas le plus clair de son temps à traînailler avec des partisans d’Israël, elle a quand même mis tout en œuvre pour leur adresser des signaux amicaux.

En 2019, elle a participé à la conférence de Herzliya, un échange de bla-bla vantant l’armée et l’establishment politique d’Israël. Terstal en a profité pour souligner que les relations entre l’UE et Israël étaient « florissantes », en dépit de certains signes contraires.

Déformer la réalité

Lors d’un autre événement qui a eu lieu en Israël cette même année, Terstal avait présenté une image particulièrement décevante. Se faisant l’écho des points de discussion proposés par Israël, elle avait exprimé son inquiétude à propos des « attaques à la roquette » en provenance de Gaza et à leurs « répercussions pour les gens de l’enclave ».

On avait à faire ici avec une représentante de l’UE déformant la réalité afin de faire plaisir à un public partisan. Deux jours avant qu’elle ne fasse ces remarques – en novembre 2019 – Israël avait assassiné un dirigeant du Djihad islamique et son épouse.

C’était un acte d’agression, au cours duquel des infrastructures civiles avaient été visées, ce qui constituait donc une violation des lois internationales.

N’empêche que Terstal et ses collègues de la bureaucratie bruxelloise n’ont pas condamné cet acte de belligérance israélien. Ils ont réservé leurs condamnations aux Palestiniens qui lancent des projectiles rudimentaires depuis Gaza – un territoire soumis à un blocus impitoyable imposé avec le soutien logistique de l’Europe.

Dans un article du Jerusalem Post en 2019, Terstal a prétendu que l’UE « ne choisit pas ‘son camp’ » entre Israël et les Palestiniens.

Pourtant, dans le même article, elle prenait explicitement fait et cause pour le projet sioniste en soutenant le « droit à l’existence » d’Israël.

Un objectif majeur sous-tendant la « solution à deux États », suggérait-elle, était de faire en sorte qu’Israël « reste un État sûr et démocratique avec une majorité juive ».

Israël est un État avec une majorité juive précisément parce que les forces sionistes ont chassé environ 750 000 Palestiniens de leurs foyers dans les années 1940. Aucun État n’a le droit de faire reposer sa propre existence sur la dépossession d’un peuple.

Et c’est l’antithèse même des principes démocratiques modernes que d’insister sur le fait qu’un État peut s’articuler de façon qu’un groupe religieux ou ethnique reste dominant par rapport à tous les autres.

Il serait peut-être déloyal de prétendre que Susanna Terstal n’a strictement réalisé que dalle en tant que « représentante spéciale de l’UE pour le processus de paix au Moyen-Orient ».

Elle et ses collègues semblent être les champions du monde de l’usage ad infinitum du terme « solution à deux Êtats ». Sa dévotion à une mantra on ne peut plus creuse lui vaudra un jour une note de bas de page dans un manuel d’histoire.


Publié le 3 mars 2021 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

David Cronin est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Europe Israël : Une alliance contre-nature (Ed. La Guillotine – 2013) et  Europe’s Alliance With Israel: Aiding the Occupation (Pluto Press, 2011 – L’Alliance de l’Europe avec Israël contribue à l’occupation). Il a participé à la rédaction du rapport “The israeli lobby and the European Union”. 
Son dernier livre est : Balfour’s Shadow: A Century of British Support for Zionism and Israel (Pluto Press – Londres 2017).

Il a écrit de nombreux articles pour de nombreuses publications, dont The Guardian, The Wall Street Journal Europe, European Voice, the Inter Press Service, The Irish Times and The Sunday Tribune. En tant qu’activiste politique, il a tenté d’appliquer un état d’ “arrestation citoyenne” à Tony Blair et Avigdor Lieberman pour crimes contre l’humanité. 

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