Le Mossad à l’origine de la fausse définition de l’antisémitisme de l’IHRA

Les efforts en vue de redéfinir comme antisémite la critique à l’égard d’Israël – dont le point culminant final a été la définition de l’antisémitisme concoctée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (AIMH ou IHRA) – ont été financés à l’origine par le Mossad, la tristement célèbre agence israélienne d’espionnage et d’assassinat de portée mondiale.

 

Le Mossad à l’origine de la fausse définition de l’antisémitisme de l’IHRA : Katharina von Schnurbein, la coordinatrice de l’UE dans la lutte contre l’antisémitisme, a menti au sujet de ses inquiétudes quant à la façon dont la définition de l’antisémitisme de l’IHRA était utilisée pour censurer, calomnier et châtier les partisans des droits palestiniens.

Katharina von Schnurbein, la coordinatrice de l’UE dans la lutte contre l’antisémitisme, a menti au sujet de ses inquiétudes quant à la façon dont la définition de l’antisémitisme de l’IHRA était utilisée pour censurer, calomnier et châtier les partisans des droits palestiniens. (Photo : John Macdougall / AP Images)

 

Ali Abunimah, 8 juin 2023

La définition controversée de l’antisémitisme adoptée par l’Union européenne et par des douzaines de pays, de gouvernements locaux et d’institutions du bloc a débouché sur de « larges restrictions du droit de rassemblement et de la liberté d’expression ».

C’est l’une des conclusions préoccupantes d’un nouveau rapport du Centre européen d’assistance juridique (CEAJ), une organisation qui défend les partisans des droits palestiniens contre une censure envahissante.

Le rapport attire également l’attention sur la façon dont les efforts en vue de redéfinir comme antisémite la critique à l’égard d’Israël – dont le point culminant final a été la définition de l’antisémitisme concoctée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (AIMH ou IHRA) – ont été financés à l’origine par le Mossad, la tristement célèbre agence israélienne d’espionnage et d’assassinat de portée mondiale.

Le rapport répertorie 53 cas en Allemagne, en Autriche et au Royaume-Uni et conclut que, « dans l’écrasante majorité des cas », les allégations d’antisémitisme avancées en s’appuyant sur la définition de l’IHRA étaient fausses.

Parmi ces cas, 42 impliquaient des allégations contre des personnes de couleur – dont 19 palestiniennes – et 11 concernaient des accusations d’antisémitisme à l’encontre de personnes ou d’organisations juives qui avaient exprimé leur sympathie pour les Palestiniens.

Cette configuration indique que la définition est appliquée « de façon discriminatoire », estime le CEAJ.

Par le biais de ses ministères gouvernementaux et ambassades, Israël a été « une force motrice derrière l’instrumentalisation de la définition de l’IHRA », déclare le CEAJ.

 

« Surveillance »

La plupart des contestations ont fini par prouver que les allégations d’antisémitisme étaient dénuées de fondement, mais qu’elles coûtaient souvent très cher pour les personnes accusées : contentieux, atteinte à la réputation, perte d’emploi et dommages mentaux, entre autres. La crainte de ce genre de conséquences peut avoir un effet dissuasif majeur sur la liberté d’expression.

« J’ai estimé que la définition de l’IHRA était utilisée comme une tactique de détournement à cause de laquelle je me sentais régulièrement las de défendre le droit à la liberté d’expression et la solidarité avec la Palestine »,

a déclaré un étudiant d’une université anglaise.

« J’étais paralysée d’angoisse quant aux personnes auxquelles je pouvais me fier quelque peu, puisqu’on aurait dit que la définition de l’IHRA constituait un moyen de surveillance de mon existence, jour après jour. »

Parmi les cas les plus notoires de répression recourant à la définition de l’IHRA, il y a eu le licenciement massif des journalistes arabes du diffuseur du gouvernement allemand Deutsche Welle, à partir d’accusations fausses et politiquement partiales d’antisémitisme formulées par des partisans d’Israël.

Trois des journalistes congédiés qui étaient allés en justice ont vu leur licenciement annulé parce qu’illégal et injustifié, et un quatrième cas est toujours pendant, selon le CEAJ.

Mais, partout en Europe,

« des procédures disciplinaires à l’encontre d’étudiants et de membres du personnel de plusieurs universités, des refus d’utilisation d’espaces publics, des licenciements et des exclusions d’événements et débats publics ont ciblé des partisans des droits palestiniens, parmi lesquels de nombreux activistes juifs, et ce, au moyen de fausses allégations d’antisémitisme »,

déclare le CEAJ.

« Ces actions sont souvent initiées par des organisations et des individus agissant en soutien d’Israël. »

 

Une loi de fait

Malgré le reproche répandu et croissant que la définition de l’IHRA confond critique à l’égard d’Israël et de son idéologie d’État raciste, le sionisme, d’une part, et le sectarisme antijuif d’autre part, l’UE a poussé de façon agressive ses États membres à appliquer le document.

Dans un même temps, l’UE – et particulièrement sa coordinatrice en matière d’antisémitisme, Katharine von Schnurbein – a ignoré « les inquiétudes substantielles » soulevées à propos de la définition de l’IHRA par les organisations civiques un peu partout en Europe, déclare le CEAJ.

En lieu et place, la Commission européenne – le corps exécutif de l’UE – s’est retranchée derrière la prétention que « la définition de l’IHRA n’est pas juridiquement contraignante » tout en affirmant faussement que la définition « ne limite pas la liberté d’expression ni la possibilité de critiquer Israël ».

Mais les recherches méticuleuses du CEAJ concluent que, partout en Europe, la définition de l’IHRA « est devenue la base de mesures qui, de facto, sont devenues bel et bien contraignantes ».

Au Royaume-Uni – qui, avec l’Allemagne, est l’un des pays les plus répressifs envers les partisans des droits palestiniens – « une pression gouvernementale croissante », comprenant des menaces de suppression de financement, a poussé des conseils locaux, des universités et même l’Union nationale des étudiants, à adopter la définition de l’IHRA.

« Par conséquent, la définition fait désormais partie des investigations internes et des procédures disciplinaires » d’une façon qui a « massivement impacté les personnes qui ont critiqué le gouvernement israélien ou fait la promotion de BDS » – le boycott d’Israël calqué sur le modèle de la campagne citoyenne internationale qui a aidé à mettre un terme à l’apartheid en Afrique du Sud, déclare le CEAJ.

 

Les mensonges flagrants de la coordinatrice de l’UE dans la lutte contre l’antisémitisme

Quand elle se dit confrontée à des inquiétudes quant à l’utilisation répressive de la définition de l’IHRA, la coordinatrice de l’UE Katharine von Schnurbein recourt au mensonge, et ce n’est pas la première fois.

En novembre dernier, Francesca Albanese, la rapporteuse spéciale de l’ONU sur les droits humains dans les territoires palestiniens occupés, a demandé à von Schnurbein – sur Twitter – si l’UE avait mené une évaluation sur la façon dont le recours à la définition de l’IHRA allait impacter les droits fondamentaux comme la liberté d’expression et de rassemblement.

Von Schnurbein avait répondu qu’une telle évaluation avait bel et bien été réalisée.

Mais l’organisation de défense des droits humains basée au Royaume-Uni et en Suède, Law for Palestine, a demandé à l’UE de publier l’évaluation dans le cadre de sa loi sur la liberté d’information.

Au lieu de cela, la Commission européenne a confirmé – contredisant carrément von Schnurbein – qu’aucune évaluation de ce genre n’avait jamais été réalisée.

 

Tout en étant inadmissible, le comportement de von Schnurbein surprend à peine : Comme l’a rapporté The Electronic Intifada, cela fait des années que la fonctionnaire allemande travaille en collaboration étroite avec le lobby pro-israélien à Bruxelles afin de faire appliquer son agenda antipalestinien.

 

La poussée du lobby

La définition controversée de l’antisémitisme de l’IHRA n’est que la dernière itération des efforts en vue de redéfinir la critique envers Israël comme un sectarisme antijuif.

Elle recycle en effet la « définition de travail » discréditée de l’antisémitisme publiée en 2005 par l’Observatoire européen sur le racisme et la xénophobie (devenu entre-temps l’Agence de l’UE pour les droits fondamentaux).

Cette définition avait été rédigée à l’origine par Kenneth Stern, un fonctionnaire du groupe de pression pro-israélien American Jewish Committee. Plus tard, Stern avait dénoncé la façon dont la définition avait été instrumentalisée afin de réduire au silence les critiques à l’égard d’Israël.

La définition de Stern n’avait jamais eu de statut officiel et elle avait abandonnée par l’organe de l’UE en 2013.

Mais, après qu’elle avait été abandonnée, des avocats affiliés à des groupes de pression pro-israéliens, dont le Comité juif américain, le Centre Simon Wiesenthal et le Congrès juif européen, « avaient exercé des pressions sur les institutions européennes afin qu’elles adoptent la définition », rapporte le CEAJ.

Du fait que cela n’avait pas marché, ils s’étaient adressés à l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, qui avait après cela adopté la « définition de travail » abandonnée en lui ajoutant 11 exemples illustratifs d’« antisémitisme » se concentrant principalement sur la critique envers Israël.

 

L’argent du Mossad

Le nom à consonance impressionnante de l’IHRA – une institution composée d’Israël et de 34 autres pays, dont la plupart sont de très proches alliés de Tel-Aviv et des fournisseurs d’armes en Europe et en Amérique du Nord – a été utilisé pour conférer à la définition un vernis d’autorité.

En son genre, c’est le résultat le plus probant de plusieurs décennies d’efforts de la part d’Israël et de son lobby pour définir la critique envers Israël et le sionisme comme la « nouvelle forme d’antisémitisme ».

Le CEAJ fait remarquer que l’initiative « de définir et de codifier » ce nouvel antisémitisme supposé en une définition a été initialement prônée par Dina Porat alors qu’elle était responsable principale du Projet sur l’antisémitisme à l’Université de Tel-Aviv, rebaptisé plus tard Institut Stephen Roth pour l’étude de l’antisémitisme contemporain et du racisme.

De façon significative, le CEAJ fait remarquer que le projet dirigé par Porat « était financé par le Mossad ».

Le CEAJ puise ses renseignements dans le compte rendu d’Antony Lerman, le fondateur de l’Institut de recherche sur la politique juive.

Dans son livre de 2022, Whatever Happened to Antisemitism ? (Qu’est-il donc advenu de l’antisémitisme ?), Lerman dit de Porat qu’elle est une des

« principales promotrices du ‘nouvel antisémitisme’ de la ‘définition de travail’ de l’IHRA et de l’infrastructure de ‘guerre’ contre l’antisémitisme ».

Selon Lerman, c’est Porat qui avait directement donné à Kenneth Stern l’idée de rédiger sa définition de l’antisémitisme.

Dans les années 1990, Lerman dirigeait l’Institut des Affaires juives, la section de recherche du Congrès juif mondial, qui publiait chaque année un rapport sur l’antisémitisme pays par pays.

Lerman écrit que dès que l’Institut des Affaires juives s’est mis à publier ce rapport annuel sur l’antisémitisme,

« il a subi des pressions intenses en vue de collaborer avec un nouveau Projet – financé par le Mossad – d’étude de l’antisémitisme à l’Université de Tel-Aviv dans la production d’un rapport commun ».

Lerman affirme que son organisation a tenté de résister à ces pressions,

« doutant de l’objectivité de ce genre d’implication israélienne et inquiet de ce que le rapport allait pouvoir être utilisé pour favoriser les objectifs sionistes de l’État ».

Mais d’autres groupes de pression pro-israéliens, dont le Comité juif américain et la Ligue anti-diffamation, n’avaient pas ces scrupules et se hâtèrent de faire équipe avec l’initiative financée par le Mossad.

Lerman révèle que l’inimitié que lui et son organisation ont gagnée de la part du projet soutenu par le Mossad et de ses partenaires les lobbyistes israéliens était liée à l’estimation faite par son organisation au milieu des années 1990, qui disait qu’en fait, l’antisémitisme régressait au niveau mondial. Cela contredisait absolument la notion du « nouvel antisémitisme » promue par Israël et son lobby.

« En général, nous estimions que le message disant que l’antisémitisme était en déclin n’était pas celui que bien des gens avaient envie d’entendre »,

écrit Lerman.

« Et, puisque nous tentions de récolter des fonds pour notre travail sur le rapport, adopter spécialement ce genre de point de vue ne nous a pas fait de cadeaux. »

« Nous ne le savions déjà que trop bien : pour attirer des donateurs à soutenir un travail sur l’antisémitisme, il fallait être sous de fortes pressions afin d’exagérer le problème »,

ajoute Lerman.

Quant à Dina Porat, qui dirigeait le projet financé par le Mossad à l’Université de Tel-Aviv, elle est l’historienne en chef du mémorial israélien de l’Holocauste, Yad Vashem, depuis 2011.

Alors qu’elle assumait ce rôle, elle a été accusée d’avoir aidé le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou à blanchir le rôle de la Pologne dans l’Holocauste afin d’aplanir les relations avec l’un des plus fidèles alliés de Tel-Aviv au sein de l’UE.

Porat a manifestement continué de jouer un rôle dans les efforts d’Israël en vue d’assimiler la critique à l’égard de ses crimes à du sectarisme antijuif, bien qu’il soit impossible de savoir à quel point elle collabore encore avec le Mossad, pour autant que ce soit toujours le cas.

L’an dernier, elle a démissionné de son poste de directrice fondatrice du Centre Kantor de l’Université de Tel-Aviv pour l’étude du judaïsme européen contemporain, bien qu’elle continue d’y travailler.

En 2019, Porat et la coordinatrice de l’UE sur l’antisémitisme, Katharina von Schnurbein, ont partagé la scène avec d’autres hauts fonctionnaires européens et des responsables du gouvernement israélien lors d’une conférence à l’Université de Tel-Aviv sur la « montée de l’antisémitisme », conférence au cours de laquelle les orateurs ont fait une promotion agressive de la définition de l’IHRA et ont assimilé l’opposition au sionisme à du sectarisme contre les juifs.


La riposte

Comme le prouve le rapport du CEAJ, la plus forte raison d’exagérer et de falsifier les allégations d’antisémitisme – s’appuyant particulièrement sur la définition de l’IHRA, d’une partialité grotesque – est de réduire au silence, de calomnier et de châtier les partisans des droits palestiniens.

C’est un outil qui n’est pas seulement utilisé par les groupes de pression mais également comme un moyen pour Israël de s’ingérer directement dans les affaires d’autres pays.

En 2017, par exemple, l’ambassade d’Israël à Londres a exercé des pressions sur l’Université de Manchester au sujet d’une conférence prévue par Marika Sherwood, une historienne juive et survivante de l’Holocauste, conférence intitulée « Vous êtes en train de faire aux Palestiniens ce que les nazis m’ont fait. »

L’ambassade affirmait que la conférence allait violer la définition de l’IHRA, ce qui incita les administrateurs de l’université à imposer de sévères restrictions à l’événement, y compris la révocation de l’organisateur et la diffusion imposée de leur propre publicité très limitatrice, l’obligation de modifier le titre de la conférence et le fait d’informer les étudiants de ce que l’événement serait enregistré.

Malgré l’effet sans aucun doute dissuasif qu’a eu la définition de l’IHRA, ses promoteurs rencontrent une résistance de plus en plus forte.

En avril, plus de 100 organisations ont insisté auprès du secrétaire général de l’ONU, António Guterres, pour qu’il rejette les pressions émanant d’Israël et de ses alliés en vue d’adopter la définition de l’IHRA.

Et certains partisans des droits palestiniens ont vu une victoire dans l’échec de l’administration Biden concernant l’adoption de la définition de l’IHRA comme seule référence de ce qui constitue un préjugé antijuif dans sa stratégie récemment initiée de lutte contre l’antisémitisme. (La Maison-Blanche a toutefois fait savoir clairement que le gouvernement américain avait « adopté » la définition de l’IHRA.)

Quant au Centre européen d’assistance juridique (CEAJ), il estime qu’il est urgent que l’UE et les autres autorités publiques révoquent et cessent de promouvoir la définition de l’IHRA, qu’elles protègent proactivement la liberté de parole et d’expression et qu’elles proposent des stratégies destinées à combattre les préjugés antijuifs et qui n’enfreignent pas les droits et libertés des partisans des droits palestiniens.

« En 2023, toute personne qui s’exprime ou écrit de façon critique à propos d’Israël, risque de devoir faire face à la stigmatisation publique et à des mesures punitives s’appuyant sur de fausses allégations d’antisémitisme”,

fait remarquer le CEAJ.

Telle est la réalité, mais elle changera si davantage de personnes trouvent le courage d’élever la voix et de se dresser en solidarité les unes envers les autres contre les mensonges, les calomnies et les tactiques d’intimidation d’Israël et de son lobby.

*****

 

Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse

*****

Publié le 8 juin 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

 

Print Friendly, PDF & Email

Vous aimerez aussi...