Témoignages du front (Janan Abdu) (1)

Le journal As-Safir Al-Arabi  a publié des témoignages de militant.e.s qui se trouvent essentiellement à Haïfa. Trouvez ici celles de Janan Abdu. Des témoignages qui nous font mieux comprendre la réalité des Palestiniens de 48, qui se sont soulevés, en même temps que celles et ceux de Jérusalem, de Gaza et de la Cisjordanie, dans toute la Palestine historique.

"Un peuple uni, un seul combat", "Haifa, Al-Quds, Gaza, Al-Lydd, Al-Ramla, Akka (Acre)".

“Un peuple uni, un seul combat”, “Haifa, Al-Quds, Gaza, Al-Lydd, Al-Ramla, Akka (Acre)”.

Haïfa

Janan Abdu (*), 15 mai 2021

A propos de Haifa, ma ville natale, il n’existe pas de coexistence. La majorité de la population indigène de Haïfa a été déplacée de force, expulsée, les maisons ont ensuite été transformées en propriétés immobilières vendues à des investisseurs israéliens.

La municipalité a négligé la population arabe, nos quartiers ressemblent à des ghettos, surpeuplés et sans espaces verts, sans places de parking etc. Les attaques dans nos quartiers et sur notre jeunesse, les arrestations n’ont pas provoqué de positionnement clair de la part de la mairesse. Il ne sert à rien d’aller porter plainte, la police devrait être tenue responsable pour le sang qui coule dans les rues et pour nos vies en danger. La municipalité ne peut pas prétendre ou affirmer que la police nous a protégé ou qu’elle a empêché les attaques à notre encontre parce que ce n’est pas vrai et elle n’a rien fait contre les hordes de fascistes qui nous ont attaqués.

A propos de l’occupation de Haifa, il se trouve qu’aujourd’hui est la commémoration de la Nakba. Autour de la municipalité, il y a un parc public avec un mémorial où il est écrit: la libération de Haifa. Cela dit tout de la municipalité et de son affiliation politique – la ville a été libérée par le sionisme. Haifa a été occupée et non pas libérée. Vous ne nous faites aucune faveur, vous avez pris nos maisons et cela s’appelle une occupation et non pas une libération.

Aujourd’hui est l’anniversaire de la Nakba, l’endroit ou il faut être aujourd’hui c’est devant les tribunaux de justice afin de soutenir notre jeunesse et leurs familles. La fermeture des entrées de nos districts et villages ainsi que l’annonce de leur mise sous administration militaire (alors même que ce n’est pas une nouveauté) montre comment l’État nous traite. En amenant les forces armées spéciales dans nos quartiers, l’état montre qu’il nous considère comme des ennemis.

Malgré toute l’oppression, la violence et la brutalité, notre moral reste élevé et ne vous inquiétez pas pour nous ou nos détenus. Merci à tous les bénévoles, avocats, infirmiers, médecins, étudiants, mouvements et journalistes. Vous nous rendez fiers, vos efforts réchauffent nos cœurs. Merci à tous, tout ce que vous faites nous aide grandement.

Les faits sont là

Janan Abdu (*), 15-05-21

J’ai commencé à parler de ce qui se passe, ce qui suit est le reste de l’expérience sur le terrain:

• Plus de 800 arrestations et détentions à travers les villes et villages palestiniens (parmi lesquels des femmes et des enfants), plus de 100 détenus à Haïfa même durant cette semaine.

• De nombreux détenus ont besoin de soins médicaux d’urgence pour cause de blessures à la tête, un jeune homme était blessé au cou, le nez fracturé, présentait des saignements oculaires et des saignements internes.

• Des soldats israéliens infiltrés attaquent brutalement les Palestiniens.

• Beaucoup de détenus sont mineurs (15, 14, 11 ans).

• Violations policières massives dans les postes de police :

– Retarder et empêcher les détenus d’avoir recours au conseil d’un avocat.

– Détenir et interroger des mineurs sans conseil juridique malgré notre présence et nos protestations ainsi que leurs promesses.

– Les interrogatoires sont menés en hébreu bien que les détenus déclarent ne pas le parler.

– Les mineurs sont interrogés à des heures tardives (un mineur a été emmené à un interrogatoire après 2 h 30 du matin).

– Les détenus ont été invités à signer le rapport d’interrogatoire alors qu’ils n’étaient pas en mesure de lire ou d’écrire.

– Les personnes libérées ont été informées que leur libération était conditionnelle, mais aucun document précisant les conditions de libération, ne leur a été remis. Ainsi, ils sont arrêtés par la suite pour avoir « enfreint les conditions de libération » dont ils ignorent tout.

– Leurs biens et leurs téléphones ont été confisqués et n’ont pas été rendus lors de leur libération, le poste de police leur a demandé de revenir plus tard (alors que les biens n’ont pas été catalogués). Beaucoup s’attendent à ce que leurs biens « soient perdus ».

– Les forces de police refusent aux civils blessés de recevoir des soins médicaux avant de les interroger. Les avocats présents au poste de police ont essayé de faire pression sur (nous) les avocats présents dans le poste de police afin que nous représentions les détenus. Nous avons refusé (sous ces circonstances) et en avons informé les détenus.

Depuis le premier jour, des équipes d’avocats bénévoles ont suivi les arrestations, offrant conseil juridique et représentation légale/judiciaire :

– Les arrestations, détentions ainsi que l’état des détenus sont documentés. On compte plus de 100 avocats bénévoles et le nombre augmente chaque jour.

– Nous avons reçu de nombreuses preuves vidéo et photo des violences policières, de harcèlement et d’usage de force excessive sur des passants et personnes se trouvant près de leurs domiciles.

Des foules fascistes protégées et aidées par la police attaquent nos quartiers, détruisent nos propriétés et menacent les résidents. Notre jeunesse s’est mobilisée pour protéger nos quartiers. Avant hier, en allant à la station de police, j’ai vu un groupe de jeunes protégeant notre quartier ce qui donne un sentiment de sécurité, le sentiment que notre lutte est une et que nous sommes unis dans cette lutte. Les tentatives de terrorisation ne fonctionnent pas car nous ne faisons rien de mal, nous défendons nos vies, notre propriété et nos foyers des attaques ce qui est le minimum requis sans même entrer dans les considérations légales de la chose. C’est une question de droit naturel et légitime.

• Il y a une tentative de supprimer, de faire taire les journalistes afin de les empêcher de refléter la vérité en les arrêtant sous des allégations “d’incitation”. Les médias israéliens sont extrêmement biaisés, ils n’ont jamais représenté une plateforme pour nous.

 

Des villes mixtes ? Non, des villes colonisées !

« Mitrass » (**),  14 mai 2021

Alors que les forces d’occupation et les colons ciblent nos compatriotes de l’intérieur, nous entendons de plus en plus certains parler de « villes mixtes », pour parler d’Acre, d’Haifa, d’Al-Lydd et d’Al-Ramla. Il s’agit là d’une terminologie coloniale qui a vu le jour durant le mandat britannique, et plus précisément dans le rapport de la Commission Peel qui a été constituée pour réprimer la révolution de 1936.

Plus tard, ce terme a été repris pour désigner les villes palestiniennes où se sont installés des colons immigrés, et non celles où vivaient les juifs de Palestine, comme Hébron ou Naplouse.

Au début, la notion de « mixité » traduisait l’existence d’une minorité juive dans des villes à majorité arabe. Cette logique s’est inversée après la Nakba (1948) pour signifier l’existence d’une minorité arabe dans des villes colonisées à majorité juive.

L’ironie – amère – de ce terme tend à masquer et à faire oublier les politiques de répression, d’isolement et de privation que les sionistes ont fait subir aux Palestiniens dans ces villes dites « mixtes ». Ces derniers ont en effet été ghettoïsés après la Nakba, et mis à l’écart de l’espace urbain.


Publié sur As-Safir Al-Arabi le 16 mai 2021

Janan Abdu

Janan Abdu

(*) Janan Abdu est avocate, membre du « Groupe des avocat.e.s pour la défense des détenu.e.s ».

(**) “Mitrass” est une magazine en ligne

Lisez également :  Le moment des possibles en Palestine, le moment de tous les dangers aussi

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