La CPI pourrait-elle juger des Palestiniens sans inquiéter les Israéliens ?

Les positions de Human Rights Watch constituent un baromètre troublant de la façon dont la cause de la Palestine pourrait se retrouver devant la Cour pénale internationale.

En juin 2020, des combattants palestiniens des Brigades Quds, l’aile armée du Djihad islamique, participent à une parade militaire à Gaza. (Photo : Mahmoud Alhende / APA images)

Maureen Clare Murphy, 10 septembre 2021

Un rapport récent de Human Rights Watch conclut que les organisations de la résistance armée installée à Gaza ont commis des crimes de guerre en lançant en mai dernier des projectiles non guidés sur des centres de population en Israël.

Quand il s’agit des tirs de roquettes palestiniens, l’organisation installée à New York ne mâche pas ses mots comme elle le fait dans ses deux rapports sur les frappes aériennes israéliennes, pourtant bien plus meurtrières et destructrices, contre Gaza.

La détermination sans équivoque de l’organisation, quand elle dit que les combattants de la résistance palestinienne ont commis des crimes de guerre, d’une part, alors que les frappes aériennes israéliennes sont des crimes de guerre « apparents », d’autre part, constitue un baromètre troublant de la façon dont la cause de la Palestine pourrait se retrouver devant la Cour pénale internationale – au cas où elle devrait progresser un tant soit peu.

Human Rights Watch insiste pour que la CPI enquête sur

« les attaques israéliennes contre Gaza qui se sont traduites par des pertes civiles apparemment illégales, ainsi que sur les attaques palestiniennes à la roquette qui ont frappé des centres de population en Israël ».

Au cours des onze jours d’escalade, en mai dernier, au moins 260 Palestiniens de Gaza ont été tués par des frappes israéliennes, dont 66 enfants.

Selon le bureau des droits de l’homme de l’ONU,

« 129 des morts étaient des civils et 64 étaient des membres d’organisations armées, alors que le statut des 67 victimes restantes n’a pas été déterminé ».

En Israël, douze civils et un soldat ont été tués suite aux tirs émanant de Gaza au cours de la même période. Trois de ces civils sont morts d’un accident ou arrêt cardiaque tout en se précipitant vers les abris contre les bombes.

Deux des civils tués directement par les tirs de roquettes n’ont pas eu accès aux abris contre les bombes parce qu’ils vivaient à Dahmash, un village qui n’est pas reconnu par le gouvernement en raison du système israélien d’apartheid imposé aux Palestiniens sur toute l’étendue de leur propre patrie.

Bien que les résidents palestiniens des villages non reconnus possèdent la citoyenneté israélienne, Israël les prive des services et infrastructures élémentaires, et ce, dans un effort en vue de les transférer de force hors de leur terre.

À Gaza, des Palestiniens ont été tués aussi par des roquettes lancées par les organisations de résistance et qui sont retombées dans le territoire de l’enclave, au cours du mois de mai.

« Des munitions apparemment dirigées sur Israël et dont la mise à feu a été défectueuse et qui sont retombées trop tôt, tuant et blessant un nombre indéterminé de Palestiniens à Gaza »,

rapporte Human Rights Watch.

Le rapport de l’organisation des droits humains, publié sous forme de page internet, renvoie à une autre page internet du ministère israélien des Affaires étrangères consacrée aux roquettes « lancées par l’organisation terroriste Hamas, elle-même soutenue par l’Iran ».

 

Deux poids, deux mesures

Human Rights Watch a enquêté sur plusieurs attaques mortelles contre des civils israéliens et sur une frappe de roquette palestinienne à la mise à feu déficiente sur Jabaliya, au nord de Gaza, et qui a tué sept civils palestiniens.

« Au cours des combats de mai, les organisations armées palestiniennes ont violé de façon flagrante l’interdiction par les lois de la guerre des attaques sans discrimination en lançant des milliers de roquettes non guidées en direction de villes israéliennes. »

Ces propos publiés dans le rapport émanent, dit-on, d’Eric Goldstein, un directeur de projet chez  Human Rights Watch.

Dans un précédent rapport examinant le ciblage par Israël, en mai, des tours résidentielles, une opération qui a massacré des familles entières chez elles, Human Rights Watch a utilisé un langage nuancé, en disant que ces attaques, ainsi que celles menées par les organisations armées, « violaient les lois de la guerre et équivalent à des crimes de guerre apparents » (les italiques sont de l’auteure).

Par contre, dans son enquête de suivi sur les attaques palestiniennes à la roquette et au mortier en provenance de Gaza, Human Rights Watch déclare sans équivoque que des telles activités « violaient les lois de la guerre et équivalent à des crimes de guerre ».

Selon l’organisation, des allégations exprimées par la résistance palestinienne et disant qu’elle avait lancé des roquettes vers Tel-Aviv et d’autres centres de population en réponse aux attaques israéliennes « suggèrent qu’il s’agissait d’attaques délibérées contre des civils » – même le principal quartier général militaire d’Israël, le fameux HaKirya – est installé au cœur de Tel-Aviv.

On ne voit pas clairement pourquoi, dans son analyse juridique de la conduite de l’armée israélienne, Human Rights Watch ne fait pas figurer les déclarations des dirigeants d’Israël, lesquelles pourraient constituer des intentions avouées de commettre des crimes de guerre ainsi que de se livrer à des formes de torture psychologique sur des civils. 

Par exemple, Benny Gantz, ministre israélien de la Défense à l’époque, a déclaré au moment de l’escalade de mai que « aucune personne, zone ou quartier de Gaza n’est à l’abri ».

Cette menace pourrait raisonnablement être interprétée comme signifiant qu’Israël utiliserait une nouvelle fois une force écrasante et disproportionnée et ciblerait largement des infrastructures civiles, comme il l’a fait au cours des trois précédentes offensives majeures contre Gaza et lors de sa guerre contre le Liban en 2006.

Cette politique israélienne est connue sous le nom de « doctrine Dahiya » et cela fait longtemps qu’elle a été reconnue par les dirigeants politiques et militaires du pays – comme Human Rights Watch l’a mentionné dans son rapport sur l’offensive israélienne de 2008 contre Gaza, dont le nom de code était « Opération Plomb durci », mais pas dans ses rapports sur l’escalade de mai dernier. 

L’organisation des droits déclare que des attaques sans discrimination ne visant pas un « objectif militaire spécifique, ou utilisant un moyen ou une méthode d’attaque ne pouvant être dirigé vers une cible militaire directe » sont interdites par les lois de la guerre.

Les roquettes et les obus de mortier lancés par les organisations palestiniennes à Gaza

« sont démunies de systèmes de guidance et susceptibles de ratages lors de la mise à feu, ce qui les rend extrêmement inefficaces et, par conséquent, intrinsèquement dénués de toute discrimination quand ils sont dirigés sur des zones peuplées de civils »,

ajoute Human Rights Watch. Par conséquent, les lancer vers des zones civiles « est un crime de guerre ».

Comme The Electronic Intifada l’a publié précédemment, la même analyse s’appliquerait aux obus d’artillerie de 155 mm tirés par Israël sur Gaza au cours du mois de mai.

De tels projectiles d’artillerie ne peuvent être destinés qu’à tomber dans un cercle dont le rayon peut s’étendre à des centaines de mètres de la cible choisie.

Human Rights Watch a même reconnu cette inefficacité inhérente dans son rapport de 2007 sur les attaques israéliennes contre Gaza, rapport intitulé « Indiscriminate Fire » (Des tirs sans discrimination).

Les séquelles des bombardements israéliens sur la ville de Gaza, 22 mai 2021. (Photo : Mohammed Zaanoun / ActiveStills)

Les séquelles des bombardements israéliens sur la ville de Gaza, 22 mai 2021. (Photo : Mohammed Zaanoun / ActiveStills)

Mais, dans ses rapports récents, Human Rights Watch s’abstient de reconnaître la nature intrinsèquement dénuée de discrimination des armes utilisées par Israël – une application flagrante de deux poids, deux mesures.

Dans ses trois rapports récents qui examinent la légalité de la conduite des Israéliens et des Palestiniens au cours du mois de mai, Human Rights Watch évite explicitement de décrire les armes israéliennes comme frappant sans discrimination.

Pourtant, une enquête publiée par Middle East Eye démontre qu’Israël a utilisé à très grande échelle une autre arme dénuée de discrimination durant son offensive contre Gaza.

Des experts en déminage à Gaza ont déclaré dans cette publication que, sur les 2 750 frappes aériennes effectuées par Israël en mai, c’était la bombe Mark-84 « bunker-buster », prévue pour pénétrer sous des couches d’acier ou de béton, qui était utilisée le plus fréquemment par Israël.

D’abord utilisées par les États-Unis dans la guerre du Vietnam, ces bombes de 14 pieds (4,20 m) de long contiennent environ 880 livres (400 kg) d’explosifs. Les Mk-84

« ont un ‘rayon létal’ de plus de 30 mètres et créent une vague de pression supersonique quand elles explosent »,

explique Middle East Eye.

Mais la bombe peut en réalité tuer des gens jusqu’à 360 mètres de distance – une distance énorme, dans les confins d’une zone urbaine à très forte densité de population comme la ville de Gaza.

La pression émanant de la vague de choc explosive

« peut rompre les poumons, faire éclater les cavités des sinus et déchirer des membres à des centaines de mètres du site même de l’explosion »,

estime l’ONU.

On ne voit pas clairement pourquoi Human Rights Watch estimerait que le lancement par les Palestiniens de munitions non guidées vers des centres de population civile constitue intrinsèquement un crime de guerre mais pas l’utilisation par Israël d’une artillerie lourde hautement imprécise ou même des bombes de type bunker-buster, bien plus meurtrières encore, larguées sur des immeubles résidentiels dans des centres urbains.

Après tout, le fait de déterminer l’adhésion d’un camp aux lois de la guerre ne devrait pas dépendre de sa possibilité d’accès à des armes du dernier cri manufacturées aux États-Unis par des sociétés qui tirent profit de la guerre.

Une telle doctrine juridique serait extrêmement et irrémédiablement partiale en faveur des États dotés d’armées puissantes et en défaveur de populations sans État ou colonisées cherchant à se libérer d’une autorité oppressive et illégitime, comme c’est le cas des Palestiniens résistant à Gaza.

 

Protection des civils

Human Rights Watch prend également à partie les organisations armées palestiniennes parce qu’elles tirent des projectiles en se tenant à proximité de centres de population civile.

« Dans la mesure du possible, les parties en guerre doivent aussi éviter de tirer leurs projectiles à partir ou dans les parages de zones densément peuplées et, sinon, elles doivent prendre les précautions nécessaires pour contrôler la protection des civils contre toute attaque »,

écrit l’organisation.

Il s’agit ici d’une affirmation qui fait écho à des accusations formulées par Israël et les apologistes de ses crimes de guerre, accusations prétendant que les organisations armées palestiniennes utilisent des civils comme boucliers humains.  

Human Rights Watch privilégie ces accusations dans son rapport sur le ciblage par Israël de bâtiments de hautes dimensions de Gaza dont il prétend qu’ils sont utilisés par les organisations armées.

« Le déploiement d’organisations armées palestiniennes dans les tours, si c’est vrai, irait à l’encontre des exigences requérant que l’on prenne toutes les précautions possibles pour réduire les risques pour les civils »,

déclare l’organisation des droits humains.

Pourtant, Human Rights Watch ne propose pas la moindre preuve de sa part pour étayer ces assertions et admet qu’Israël n’a jamais non plus fourni de preuve soutenant ses fréquentes accusations disant que les organisations armées palestiniennes utilisaient des civils en tant que « boucliers humains ». Ainsi donc, pourquoi Human Rights Watch donne-t-elle du poids à des affirmations dont ni elle ni Israël n’ont la moindre preuve ?

Curieusement, l’organisation des droits humains ne prend pas le gouvernement israélien à partie parce qu’il n’a pas fourni des abris contre les bombes à ses citoyens du village non reconnu de Dahmas, où Nadine Awad, 16 ans, a été tuée en même temps que son frère Khalil.

Israël, en tant que puissance occupante de la bande de Gaza, a également l’obligation spéciale de protéger les civils de l’enclave.

Plus de deux millions de Palestiniensdont deux tiers de réfugiés, tous apatrides – vivent dans 140 milles carrés (environ 360 km²) à Gaza, ce qui en fait l’une des zones ls plus densément peuplées du monde.

Des roquettes lancées à partir de la ville de Gaza vers Israël, le 10 may 2021. (Photo : Mohammed Zaanoun / ActiveStills)

Des roquettes lancées à partir de la ville de Gaza vers Israël, le 10 may 2021. (Photo : Mohammed Zaanoun / ActiveStills)

Les Palestiniens n’ont pas une armée conventionnelle, et surtout pas aussi sophistiquée que celle d’Israël. La disparité dans la puissance militaire entre les organisations armées palestiniennes à Gaza et Israël est évidente dans le taux de létalité de 20 contre 1 et dans l’ampleur des destructions provoquées par leurs attaques respectives.

La plupart des 4 340 roquettes lancées depuis Gaza, comme le prétend Israël, ont été neutralisées par le système d’interception de missiles, le Dôme de Fer, d’Israël, ou ont touché le sol dans des zones non peuplées. Ces roquettes portent également des charges explosives bien plus réduites que celles de nombreux types de munitions et bombes israéliennes.

Avec ses missiles prétendument guidés avec précision, Israël a détruit plus d’unités résidentielles dans des immeubles de haute dimension à Gaza au cours des 11 journées d’escalade en mai que durant la totalité des 51 jours de guerre en 2014.

Des spécialistes indépendants des droits humains de l’ONU ont déclaré qu’« en raison et l’énorme asymétrie de la puissance, les victimes de ce conflit sont au-delà de toute proportion les Palestiniens de Gaza ».

Cette asymétrie béante n’est pas reflétée dans l’approche à « deux camps » adoptée par Human Rights Watch, qui semble traiter la résistance palestinienne et Israël comme des acteurs égaux – quoique, dans le cas d’Israël, le bénéfice du doute lui soit accordé quant à savoir si ses actions constituent des crimes de guerre.

Human Rights Watch ne tient aucunement compte des relations fondamentales entre la puissance colonisatrice et les réfugiés apatrides contre lesquels Israël fait la guerre.

Il en résulte que son analyse ignore le contexte plus large du génocide permanent commis par Israël sur les Palestiniens à Gaza ainsi que l’objectif général d’Israël qui consiste à oblitérer le projet palestinien de libération nationale afin de mieux servir ses propres ambitions coloniales.

 

La partialité impérialiste

Des champions autoproclamés des droits humains palestiniens comme Human Rights Watch doivent également reconnaître la partialité impérialiste et la partialité en faveur des États qui sont inhérentes aux lois internationales.

Ces règles et ces principes ont d’abord été développés en tant qu’outil de la « mission civilisatrice » du colonialisme en vue d’amener les « non civilisés » dans « l’ordre universel » tel qu’il est défini par l’Europe au profit de ses buts matériels.

En écrivant dans le Third World Quarterly, le professeur de droit Antony Anghie, de l’Université de l’Utah, décrit les façons dont « l’impérialisme a modelé la discipline » de la législation internationale. Il explique comment le colonialisme a occupé

« une position centrale dans la formation des lois internationales et, en particulier, de leur concept fondateur, la souveraineté ».

Selon Anghie, les lois internationales

« ont toujours été animées par la mission civilisatrice, par le projet de gouverner et de transformer les peuples non européens ».

Les lois européennes, y compris les doctrines utilisées pour traiter des relations entre États européens sur les prétentions concernant des pays non européens, sont devenues universelles par le biais de la colonisation et de l’expansion.

Le « caractère impérial » des lois internationales s’est accru dans le sillage de la Première Guerre mondiale. Les territoires des puissances vaincues se sont retrouvés sous l’autorité du système mandataire de la Société des Nations, plutôt que d’être directement acquis en tant que colonies, bien qu’ils aient toujours été pleinement subordonnés au pouvoir et aux intérêts impérialistes occidentaux.

La Palestine, précédemment sous l’autorité ottomane, était devenue un territoire mandataire de ce genre – aux mains de l’Empire britannique – avant que ne soit déclaré l’État d’Israël, en 1948.  

Finalement, « les protestations incessantes des peuples du tiers-monde » firent en sorte que la décolonisation devint « une préoccupation centrale du système international », avec l’ONU qui créa « un certain nombre de mécanismes institutionnels destinés à la poursuite de la décolonisation », explique Anghie.

Au cours de l’ère de la « guerre contre le terrorisme » des vingt dernières années, les lois internationales ont de nouveau été utilisées au profit d’une « mission civilisatrice » qui, en cette époque, « s’affirme en tant qu’autodéfense au nom de la ‘sécurité nationale’ », explique encore Anghie.

L’impérialisme est inscrit dans l’ADN des lois internationales et leur application, y compris à la Cour pénale internationale.

Jusqu’à présent, seuls des ressortissants d’États africains ont été inculpés ou jugés par ce tribunal.

Dans un même temps, aucun responsable américain n’a jamais dû rendre des comptes devant un tribunal international pour les guerres et occupations illégales de l’Afghanistan, de l’Irak et de la Libye, ou pour des exécutions extrajudiciaires par frappe aérienne à très grande distance, en dépit du coût énorme en vies humaines résultant de ces interventions impérialistes.

Et, comme l’a fait remarquer Susan Power, une spécialiste des lois internationales, il y a déjà eu 10 commissions d’enquête et d’établissement des faits autour de la situation de la Palestine et une onzième a été décidée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, après l’escalade de mai dernier.

Un rapport d’une commission d’enquête de 2019

« recommande même le transfert à la CPI des dossiers concernant des auteurs présumés de crimes commis lors de la Grande Marche du Retour »,

fait remarquer Susan Power.

Et, pourtant, il n’y a pas eu de demande de comptes un tant soit peu consistante qui aurait pu empêcher efficacement Israël de commettre d’autres crimes de guerre encore contre les Palestiniens.

Par conséquent, la Cour pénale internationale

« constitue le dernier espoir de demande de comptes pour les victimes palestiniennes »,

estime le Centre palestinien pour les droits humains.

Et en tant que « plus ancienne question non résolue incombant à la responsabilité des Nations unies », la question de la Palestine « est devenue un test décisif pour l’efficacité du système international dans son ensemble », a déclaré une assemblée d’organisations palestiniennes, régionales et internationales des droits humains.

 

Stagnation au sein de la CPI

Un peu plus tôt cette année, la Cour pénale internationale a annoncé qu’elle avait ouvert une enquête officielle sur les crimes de guerre commis en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

On ne sait toutefois pas avec certitude si l’enquête va pouvoir aller de l’avant.

Fatou Bensouda, qui supervisait l’enquête préliminaire sur la situation en Palestine, a atteint en juin la fin de son mandat de neuf ans en tant que procureure principale et elle a été remplacée par Karim Khan.

L’avocat britannique, le troisième procureur principal du tribunal, a promis d’améliorer les performances de son bureau en ne poursuivant que les cas les plus graves.  

Khan est soumis à de lourdes pressions afin de laisser tomber à la fois la cause palestinienne et celle de l’Afghanistan, qui pourraient voir l’inculpation de responsables israéliens et américains, bien qu’aucun de ces deux États ne soit membre du tribunal et que tous deux rejettent sa juridiction sur leurs ressortissants.

La juridiction territoriale a été une première pierre d’achoppement, dans le cas de la Palestine, à tel point que Bensouda a requis qu’un panel de juges de la CPI décide en la matière afin qu’elle-même n’ouvre une enquête officielle.

Bensouda défendait le fait que, bien qu’ils ne soient pas en mesure d’exercer leur droit à l’autodétermination, les Palestiniens sont les souverains légitimes de la Cisjordanie et de Gaza, qui sont sous occupation israélienne.

Les juges ont été d’accord avec la procureure pour dire que la Palestine était un État, pour les buts du Statut de Rome, fondateur de la CPI.  Bien que les juges aient tranché, Israël et ses alliés entendent continuer de contester la juridiction territoriale de la CPI.

Sans juridiction territoriale, la seule façon d’en référer à une cause devant la CPI consiste à passer par Conseil de sécurité des Nations unies, au sein duquel les États-Unis et les États européens ont longtemps été les avocats d’Israël.

Le fait que la juridiction territoriale est également requise pour que les Palestiniens puissent réclamer justice devant la cour mondiale de dernier recours démontre la partialité des lois internationales et ce, en faveur des États.

Comme le prétendait le professeur de droit Aeyal Gross, le Statut de Rome

« perpétue une prémisse coloniale sous laquelle seuls les pays auxquels a été accordé le statut d’État peuvent être des acteurs qui comptent dans l’arène juridique internationale ».

Gross d’ajouter :

« Cette exigence, en tant que caractéristique inhérente au Statut de Rome, refuse la protection à ceux qui peuvent en avoir le plus besoin, y compris ceux qui vivent sous un pouvoir d’occupation étranger. »  

De plus, le principe de complémentarité – par lequel le tribunal s’en remet aux propres enquêtes d’un État – peut également affaiblir la cause de la Palestine aux yeux du nouveau procureur principal.

Israël a un système d’auto-enquête. Mais, comme le déclare Human Rights Watch,

« tant les autorités israéliennes que palestiniennes ont un long passé où elles se sont montrées incapables d’enquêter de façon crédible sur les crimes de guerre supposés commis par leurs forces à Gaza ».

L’organisation israélienne des droits humains, B’Tselem, ne fait plus référence à des cas traités par le système israélien d’auto-enquête, dont elle dit qu’il s’agit d’une « feuille de vigne destinée à masquer l’occupation ».

Et, ensuite, il y a la recommandation de l’an dernier, émanant d’un Examen d’experts indépendants, commandité par les États membres de la CPI, disant que l’office du procureur, démuni de moyens, « mette en hibernation » les enquêtes qui ont perdu leur priorité.   

La recommandation de l’Examen disant que le tribunal « réduise ses activités afin de les adapter aux ressources dont il dispose » peut signifier qu’il donnera la priorité aux affaires les plus faciles à traiter, considérant

« la quantité et la qualité des preuves disponibles, la coopération internationale, la situation sécuritaire et la capacité de protéger les témoins ».

Une telle approche serait très éloignée du but affirmé du tribunal, qui

« a été créé spécifiquement pour intervenir et apporter la justice dans des situations où l’impunité est bien en place »,

comme le déclare Amnesty International.

Cette impunité bien établie est exactement ce qui règne en Palestine, où une population sans défense se dresse contre l’une des puissances militaires les plus fortes au monde, laquelle cherche à la déporter et à la remplacer par une population de colons.

La CPI surchargée pourrait de façon prévisible ne traiter que les aspects de la cause palestinienne qui sont assez simples, comme l’entreprise de peuplement menée par Israël en Cisjordanie.

Mais, selon le spécialiste du droit international Victor Kattan, les dirigeants du Hamas et du Djihad islamique sont « les fruits les plus à portée de main du nouveau procureur » à La Haye.  

« Non seulement le Hamas a son QG dans le territoire d’un État partie – à savoir la Palestine, mais sa direction diasporique est éparpillée dans le monde entier, avec nombre de ses dirigeants vivant dans les territoires d’États parties »,

déclare Kattan.

« Pour le dire sans détour, ce sont des proies faciles. Il est difficile d’imaginer que le moindre État partie serait désireux d’enfreindre ses obligations internationales afin de protéger proactivement des dirigeants du Hamas d’un mandat d’arrestation délivré par le procureur »,

ajoute-t-il.

Au contraire d’Israël, le Hamas a bien accueilli l’enquête de la CPI. Le Hamas a publié sur son site le rapport initial de Human Rights Watch sur l’escalade de mai, même si ce rapport déclare qu’aussi bien les forces israéliennes que les organisations armées palestiniennes ont violé les lois de la guerre.

Le Hamas a répondu au rapport de l’organisation des droits humains sur les tirs de roquettes en disant que

« la résistance est impatiente de développer ses capacités de façon à pouvoir cibler efficacement les seuls QG et activités de l’armée israélienne ».

« En nous appuyant sur la croyance que notre cause est juste et que notre peuple est victime d’une agression raciste qui dure depuis des décennies, nous réitérons notre respect des lois internationales et des lois humanitaires internationales »,

a ajouté le Hamas.

En dépit de la légitimité de la cause palestinienne et du droit d’une population occupée à la résistance armée, un scénario tout à fait plausible serait que les dirigeants de la résistance pourraient être inculpés par la CPI sans que le soient les auteurs et exécuteurs israéliens d’une doctrine militaire qui s’est traduite par la mort de milliers de civils à Gaza depuis la fin 2008.  

Avec tout ce qui se présente contre eux et dans une situation d’impunité totale pour Israël, il ne serait absolument pas étonnant que les Palestiniens prennent les affaires en main eux-mêmes et recourent à tous les moyens nécessaires pour mener une vie dans la dignité et sur leur propre terre.

Et ce, même s’ils sont condamnés en tant que criminels de guerre par Human Rights Watch, qui n’est jamais qu’un chien de garde défendant un système destiné à servir des buts impérialistes.


Publié le 10 septembre 2021 sur The Electronic Intifada sous le titre : Could ICC try Palestinians while Israel gets away with murder ? ( La CPI pourrait-elle juger des Palestiniens alors qu’Israël sortirait en toute impunité de ses tueries ? )
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Lisez également : Comment Human Rights Watch favorise Israël

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