D’Irlande en Palestine : deux poèmes de Ciarán O’Rourke

Les deux poèmes de Ciarán O’Rourke présentés ici, « L’essor » et « Cartes postales de Palestine », constituent sa contribution à The Palestine Chronicle.

 

À Gaza, un enfant joue avec un cerf-volant aux couleurs palestiniennes pour commémorer le jour de la Naksa. (Photo : Mahmoud Ajjour / The Palestine Chronicle)

Ciarán O’Rourke, 11 septembre 2021

L’essor

D’après Tawfiq Ziad

De Nazareth : cette lumière
dans mes yeux,
cette flamme dans mon sang,
et toute la douleur
de la Palestine.

Je parle et je donne avec joie,
moi, l’orphelin affamé
qui a entendu les canons
nous envahir, les bateaux
tonner,

les murs des prisons
résonner.
Car, derrière moi,
mon peuple chante,
telle une colombe,
montée très haut
sur les vents réveillés,
ou encore ce drapeau

d’amour et d’histoire
qui porte nos voix,
lesquelles bientôt
ébranleront les montagnes,
tel l’olivier bourgeonnant.

 

°°°°°°°°

 

Cartes postales de Palestine

Les guerres bien ficelées que tu as mijotées
sur la peau de chagrin de mon corps,

les plaies que ton esprit-balle de guerre a ouvertes
bien béantes et laissées partout sur ma terre,

l’amère puanteur du métal sur tes bottines,
le boussole brutale dans tes mains,

(mon sud de villages enterrés,
mon est de lunes levées) –

tout entre là-dedans, échardes
de la voix, ou lignes dans le ciel,

dans ce qui reste et que tu crains,
mon bourreau, tout s’évadera d’ici
pour rectifier les échos, rediriger le vent…
ce fantôme, cette quasi-viduité,

dans laquelle tes symphonies de terreur
ont osé me faire croire.

°°°

Nous savons ce qu’est notre terre
dès le moment où les soldats nous expédient
dans les camps frontaliers,

et écrasent nos bouches
dans le sol.

Nous avons su ce qu’était notre maison
dès le moment où la cavalcade des drones
s’est mise à flotter,

montant, descendant
au-dessus des toits.

Nous connaissons tous nos noms
d’après les numéros
qu’ils nous attribuent,

avec notre mort à chacun déterminée
par une décimale de chagrin.

°°°

Ils n’ont pas tué que mon corps,
mais aussi ma poésie
et mes rêves –

ces présidents et généraux,
ces gouvernements
des nations,

ces hommes de science,
ces éducateurs
figés au garde-à-vous,

ces bureaucrates
à l’esprit vif
et dont les doigts
ont dactylographié notre extinction.

Je les marque tous
comme profiteurs
des massacres et des décombres.

Et aux autres,
qui ouvrent leurs fenêtres bien grandes
au soleil de demain, je dis :

Veillez sur moi
au milieu des visages disparus
de mon peuple.

°°°

Rappelez-vous mes mots
comme s’ils avaient été réchauffés par le sang de mon poignet,
comme s’ils avaient été arrachés au serpentin de ma langue.

Rappelez-vous mon chant
comme s’il avait renfermé les briques de ma ville,
ou qu’il avait fait retentir le bruit de la mer sur les rochers,
ou qu’il avait résisté à un monde sans pitié,
ou qu’il avait été arraché au souffle du squelette de ma vie.

Rappelez-vous le soleil
qui m’a prêté une ombre pour la planter dans le sol,
qui m’a donné le droit de jouir des nuages,
qui m‘a regardé tomber à la lueur vive des bombes,
qui continue à brûler la chair des maisons aux os de verre.

Rappelez-vous mes poèmes,
comme s’ils accusaient les architectes de la douleur,
lorsque je cherchais l’avenir
proclamé par la branche de l’olivier.


Publié le 11 septembre 2021 sur The Palestine Chronicle
Traduction par Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Ciarán O’Rourke est poète et vit à Galway, en Irlande. Son premier recueil, The Buried Breath (Le souffle enterré), a été publié par Irish Pages Press en 2018 et hautement apprécié par la Forward Foundation l’année suivante. Son recueil d’articles et d’essais, One Big Union (Une grande union), a été publié en 2021, et son second recueil de poèmes verra bientôt le jour. On peut trouver plus d’informations sur son œuvre sur www.ragpickerpoetry.net/books.

Vous pouvez suivre Ciarán O’Rourke sur Twitter :  @corourke91

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