« Ne faites pas échec à la justice », dit Ismail Ziada à un tribunal hollandais

Citoyen palestino-hollandais, Ziada a intenté un procès à Benny Gantz, chef de l’armée israélienne à l’époque, et à Amir Eshel, chef des forces aériennes au même moment, pour avoir décidé de bombarder la maison de sa famille au cours de l’offensive israélienne contre Gaza en 2014.

Benny Gantz, à l’époque commandant en chef de l’armée, et Amir Eshel (deuxième à partir de la gauche), chef des forces aériennes, avec d’autres hauts responsables israéliens en 2013. Les deux hommes sont au centre d’un procès aux Pays-Bas en raison des bombardements à Gaza, en 2014, qui ont tué plusieurs membres de la famille d’Ismail Ziada. (Photo : Baz Ratner Reuters)

Adri Nieuwhof, 24 septembre 2021

Deux officiers supérieurs de l’armée israélienne devraient répondre de leurs actions devant un tribunal, ont appris ce jeudi des juges hollandais à La Haye.

L’avocate des droits de l’homme Liesbeth Zegveld a déclaré devant la cour d’appel qu’un tribunal inférieur avait fait l’erreur de déclarer qu’il n’y avait pas de façon alternative de tenter d’obtenir justice pour son client Ismail Ziada.

Citoyen palestino-hollandais, Ziada a intenté un procès à Benny Gantz, chef de l’armée israélienne à l’époque, et à Amir Eshel, chef des forces aériennes au même moment, pour avoir décidé de bombarder la maison de sa famille au cours de l’offensive israélienne contre Gaza en 2014.

Gantz est actuellement ministre de la Défense d’Israël et vice-Premier ministre. La procédure civile de Ziada réclame des centaines de milliers de dollars de dommages et intérêts aux deux généraux israéliens.

Le raid israélien avait réduit en ruine l’immeuble de trois étages du camp de réfugiés d’al-Bureti.

Il avait tué Muftia, 70 ans, la mère de Ziada, ses frères Jamil, Yousif et Omar, sa belle-sœur Bayan, sa nièce Shaban, 12 ans, ainsi qu’une septième personne qui rendait visite à la famille.

Mais, en janvier 2020, le tribunal de district de La Haye avait claqué la porte au nez de Ziada en accordant « l’immunité fonctionnelle » à Gantz et Eshel sur base du fait que, lorsqu’ils avaient commis leurs crimes supposés, ils agissaient dans le cadre d’une fonction officielle.

Cette décision allait à l’encontre de plusieurs décennies de jurisprudence, suite aux procès des criminels de guerre nazis à Nuremberg, jurisprudence disant que ceux qui commettent les crimes les plus graves, y compris des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des crimes de génocide, ne peuvent s’abriter derrière l’excuse qu’ils agissaient dans le cadre d’une fonction officielle ou qu’ils obéissaient tout simplement à des ordres.

 

Pas d’autre voie vers la justice

L’audience de jeudi faisait partie de l’appel de Ziada contre la décision du tribunal inférieur. L’audience a eu lieu dans une salle presque vide. Treize personnes seulement, y compris l’auteure du présent article, avaient eu l’autorisation d’y assister.

Bien d’autres ont été déçues de ne pouvoir exprimer par leur présence leur solidarité avec Ziada.  

Zegveld, qui est très connue aux Pays-Bas en tant que représentante de victimes de violations des droits de l’homme, a également dit à l’adresse des juges qu’« Israël maintient en place un régime d’apartheid contre les Palestiniens ».

Par conséquent, la seule option valable pour Ziada est de chercher justice auprès des tribunaux hollandais.

Zegveld a constitué un dossier solide autour du fait qu’il est injustifiable d’accorder l’immunité aux deux chefs militaires israéliens.

Elle a fait remarquer qu’en 2010, la Cour européenne des droits de l’homme a décidé que,

« dans les cas où l’application de l’immunité d’État vis-à-vis de la jurisprudence restreint l’exercice du droit d’accès à un tribunal, le tribunal doit s’assurer que les circonstances de l’affaire justifient une telle restriction ».

Zegveld a prétendu qu’Israël a complètement privé les Palestiniens de Gaza de tout accès à la justice en déclarant que l’enclave côtière était une « entité ennemie » et ses résidents des « sujets ennemis ».

La législation israélienne interdit à des citoyens « ennemis » d’introduire des plaintes contre l’État dans les tribunaux israéliens.

En réponse, les avocats qui défendent Gantz et Eshel ont répété leurs arguments selon lesquels, du fait que leurs clients avaient agi au nom de l’État, leurs actes étaient protégés par l’immunité fonctionnelle.

Après le plaidoyer cinglant de Zegveld, les avocats de Gantz et d’Eshel n’ont pas laissé une forte impression.

À la fin de l’audience, les juges ont donné à Ziada l’occasion de prendre la parole.

« Je n’ai jamais pensé que ma conception de réclamer justice serait infirmée en procurant l’immunité fonctionnelle à des criminels de guerre »,

a-t-il dit à l’adresse du tribunal.

 

Mission impossible

Plus tôt cette semaine, un panel en ligne a discuté de l’effort historique de Ziada en vue de réclamer aux deux généraux israéliens.

Issam Younis, directeur de l’organisation des droits humains Al Mezan installée à Gaza, a souligné l’effet destructeur de l’impunité.

Les quatre grandes offensives d’Israël contre Gaza depuis 2008 prouvent que « le pire est encore à venir », sauf si la communauté internationale se penche sérieusement sur la question de la responsabilité, a expliqué Younis.

« C’est vraiment une mission impossible, pour les victimes, que de tenter d’obtenir justice par le biais du système juridique d’Israël »,

a déclaré Younis, après avoir expliqué les innombrables obstacles placés par Israël devant les Palestiniens de Gaza qui cherchent à accéder à ses tribunaux.

C’est pourquoi les tribunaux nationaux dans d’autres pays devraient fournir une voie d’accès à la justice pour des victimes de graves crimes internationaux, a expliqué Younis.

Le professeur de droit de l’Université d’Utrecht, Cedric Ryngaert, a fait remarquer que la législation hollandaise « propose un for de nécessité » pour « parer au déni de justice » quand une cause ne peut être entendue nulle part ailleurs et qu’elle est suffisamment liée à la juridiction hollandaise.

La citoyenneté hollandaise de Ziada fournit potentiellement un tel lien, a déclaré Ryngaert.

Et d’ajouter que la décision d’immunité du tribunal inférieur a négligé de tenir compte de l’impératif de responsabilité dans le cas de crimes internationaux.

Des individus peuvent être tenus responsables de crimes internationaux non seulement devant la Cour pénale internationale, mais aussi devant les tribunaux nationaux d’autres États.

Les derniers mots de Ziada à l’adresse des juges hollandais ce jeudi insistaient sur le fait que sa demande de justice ne portait pas seulement sur la responsabilité dans des crimes passés, mais avait également pour but d’empêcher de futures violations.

« Les crimes n’ont pas cessé en 2014 »,

a-t-il dit.

« En mai, quand Israël a de nouveau lourdement bombardé Gaza, j’ai craint de recevoir un message disant que ma famille était en danger. »

Ziada a déclaré que lors de l’attaque israélien contre Gaza plus tôt cette année, sa nièce avait dû s’enfuir de sa maison à pieds nus avec deux jeunes enfants parce que l’immeuble juste à côté avait été bombardé.

« Elle a perdu ses parents dans le bombardement de notre maison familiale en 2014. Je ne puis arrêter ces crimes »,

a ajouté Ziada.

« Vous, messieurs les juges, vous le pouvez. Ne me faites pas échec, ne faites pas échec à la justice. »  

On attend la décision des juges le 7 décembre.


Publié le 24 septembre 2021 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Lisez également : Les crimes de guerre de Benny Gantz devant la cour d’appel aux Pays-Bas

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