Israël expose les sourds de Gaza à de très graves dangers

 

Mahmoud Abu Namous et Hiba Abu Jazar discutent de la façon dont ils ont survécu à l’attaque israélienne de mai dernier contre Gaza. (Photo : Abdel Kareem Hana)

Mahmoud Abu Namous et Hiba Abu Jazar discutent de la façon dont ils ont survécu à l’attaque israélienne de mai dernier contre Gaza. (Photo : Abdel Kareem Hana)

Ruwaida Amer, 29 octobre 2021

Mahmoud Abu Namous vient d’être père pour la toute première fois.

Sa fille est née en septembre, à l’issue d’une grossesse on ne peut plus stressante. Le pire stress s’est manifesté durant les 11 jours de mai où Israël a mené une offensive majeure contre Gaza.

Mahmoud est sourd. Sa femme Fatma Dhaher devait lui rappeler régulièrement qu’il devait se tenir à l’écart des fenêtres de leur habitation à Gaza, lors de ces journées particulièrement dangereuses.

Il devait se confiner dans les parties de leur logement où il aurait été moins vulnérable en cas d’explosion.

Mahmoud partageait la peur de Fatma chaque fois qu’elle entendait une déflagration. « Je pouvais la sentir rien que d’après l’expression de son visage », dit-il.

L’offensive a ravivé des sourires douloureux. Mahmoud et sa famille avaient été déracinés de leur habitation lors d’une précédente offensive israélienne, durant l’été 2014.

À l’époque, Mahmoud préparait ses examens terminaux de l’enseignement moyen supérieur. Il se souvient d’avoir été « si frustré et fatigué » que l’avertissement de sa mère lui disant de quitter immédiatement leur domicile l’avait à peine effleuré.

La maison familiale avait été détruite, après qu’ils l’avaient évacuée.

Ne disposant pas du soutien adéquat, nombre de personnes sourdes se sont donné beaucoup de mal pour être correctement informées de ce qui se passait en dernier. Généralement, lors des émissions d’information, les chaînes de TV ne proposaient pas sur l’écran des interprètes en langage des signes.

 

« Effrayées et anxieuses »

Mahmoud a tenté de combler cette lacune en rassemblant les informations qu’il pouvait récolter et en préparant lui-même des vidéos en langage des signes. Il postait ces vidéos sur Instagram, de sorte que d’autres sourds de Gaza pouvaient les regarder.  

Saadia Miqdad et son mari Izz al-Den sont tous deux sourds. Lors de l’agression de mai, « j’ai senti que je courais un danger terrible chaque fois que la maison était ébranlée », dit Saadia. « Mais je ne savais pas où les bombes tombaient. »

Saadia vit à Gaza même mais sa famille réside dans la région de Khan Younis, dans le sud de Gaza.

« Ils comprennent le langage des signes, de sorte que je pouvais communiquer avec eux par vidéo, lors de l’attaque »,

dit-elle.

« Mais la connexion était très peu fiable en raison des coupures de courant et, de plus, nous n’avions accès à internet qu’à certains moments. »

 

Hiba Abu Jazar (Photo : Abdel Kareem Hana)

La famille de Hiba Abu Jazar n’a cessé de lui dire d’être prudente au moment où Israël bombardait Gaza. (Photo : Abdel Kareem Hana)

 

Hiba Abu Jazar est une militante de la communauté des sourds. Elle vit à Rafah, près de la frontière de Gaza avec l’Égypte. Elle rappelle comment les membres de sa famille « nous disaient en permanence d’être prudents », lors de l’offensive de mai.  

« Quand ils tiraient des obus à proximité de chez moi, nous pouvions nous réfugier chez mon oncle, où l’on était plus en sécurité »,

dit-elle.

« J’étais très effrayée du fait que je ne pouvais pas entendre ce qui se passait. »

Dans les premiers stades de l’agression, elle et ses sœurs ont visionné sur internet des photos et des vidéos des atrocités.

« Cela nous a rendues plus effrayées et anxieuses encore »,

dit-elle.

« Aussi avons-nous décidé de nous tenir à l’écart des informations. Ce n’a été qu’une solution temporaire, mais cela nous a donné un peu plus de courage pour continuer. »

 

La marginalisation des sourds

La Société Atfaluna pour les enfants sourds à Gaza a réalisé une étude sur 102 personnes peu après qu’un cessez-le-feu a mis un terme aux bombardements israéliens en mai. Plus de 84 pour 100 des personnes consultées avaient un handicap.

Plus de 38 pour 100 des personnes interrogées ont répondu que leurs maisons avaient été légèrement endommagées ; 8 autres pour 100 ont déclaré que les dégâts de leurs maisons étaient importants.

Près de 19 pour 100 ont répondu que leurs mouvements avaient été fortement entravés au cours de l’offensive et que, par conséquent, ils n’avaient pu couvrir leurs besoins élémentaires.

Les images de destruction sèment l’anxiété parmi les sourds. (Photo : Abdel Kareem Hanna)

Les images de destruction sèment l’anxiété parmi les sourds. (Photo : Abdel Kareem Hanna)

 

Umayma Helles, qui enseigne le langage des signes, a passé la quasi-totalité des 11 jours pendant lesquels Gaza a été sous attaque à essayer de procurer un soutien émotionnel à des personnes sourdes.

Les sourds, explique-t-elle, « éprouvent constamment l’impression d’être marginalisés par la société ». En mai dernier, ce sentiment de marginalisation a exacerbé les craintes de nombreuses personnes sourdes.

« La plupart des sourds à Gaza sont sans emploi », ajoute Umayma Helles.

« Il existe de nombreux emplois qu’ils pourraient assurer mais, du fait qu’ils sont sourds, on les embauche rarement. Ce n’est pas bien. Cela fait d’eux des personnes frustrées et ils perdent espoir. »

Un problème supplémentaire, c’est que, dans bien des cas, les personnes sourdes n’ont pas bénéficié de conseils, depuis l’offensive.

« Les psychologues et les travailleurs sociaux devraient tous apprendre le langage des signes de façon à pouvoir organiser des séances de soutien au profit des personnes handicapées de l’ouïe »,

ajoute Umayma Helles.

Nagla Muhammad est une mère de six enfants qui vit à Khan Younis. Comme elle est sourde, elle s’appuie sur sa fille Shams, 11 ans, pour expliquer dans le langage des signes ce qui s’est passé durant l’offensive de mai.

« C’était très difficile parce que mes enfants ne cessaient de hurler avec le vacarme des missiles »,

explique Nagla.

« J’essayais de rester tout le temps à leurs côtés, de les embrasser et de les tenir contre moi. Souvent, je sanglotais de peur. Mais mon mari me rassurait toujours en disant que l’attaque allait cesser et que nous survivrions. »

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Ruwaida Amer est journaliste et vit à Gaza.

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Publié le 29 octobre 2021 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

 

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